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La Izquierda Diario
25 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Témoignage
« Le mépris envers les jeunes me révolte » : Entretien avec Alberta, militante à Révolution Permanente

Alberta, militante à Révolution permanente, revient sur son parcours politique et le sens de son engagement militant dans un entretien pour la revue Ballast.

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Crédits photos : Maya Mihindou

Nous reproduisons ici un texte originalement sorti dans la revue Ballast

Marseille, décembre 2021. Nous assistons à une discussion publique initiée par l’organisation Révolution Permanente. On y croise le syndicaliste Anasse Kazib, alors en campagne pour l’élection présidentielle, Almamy Kanouté, militant et travailleur social, Sasha Yaropolskaya, cofondatrice du média transféministe XY, et Kamel Guémari, figure de l’autonomie alimentaire de la ville. L’échange débute par l’intervention d’une militante « communiste révolutionnaire », Alberta, alors âgée de 21 ans : elle alerte de la situation de grande précarité de la jeunesse étudiante. Celle qui remplit les files d’attente de la distribution alimentaire et celle qui s’empare de la rue. « On n’a connu que des crises. On nous dit de ne pas rêver. On ne se laissera pas confisquer notre avenir ni nos rêves », clame-t-elle. Une année a passé. Nous la rencontrons à Marseille, seule, cette fois. L’occasion de revenir sur son parcours de militante.

J’ai commencé à m’impliquer au lycée pendant les mobilisations contre la loi Travail, mais c’est le mouvement des gilets jaunes, qui a coïncidé avec mon installation à Toulouse comme étudiante, qui a marqué mes débuts de militante. Le moment des révolutions arabes, notamment la révolution syrienne [débutée en 2011, ndlr], a aussi été un marqueur dans ma conscientisation : en fait, un réel désenchantement. Nous pouvions assister au soulèvement d’un peuple et à sa répression choquante. Ça m’a rendue malade, peut-être parce que j’y avais vécu. La répression était tellement injuste pour une demande aussi simple que « Pain, liberté, justice sociale », comme ils disaient en Syrie. C’est peut-être naïf mais ça m’a fait voir les choses différemment. J’étais très jeune, ça a été important de regarder, en miroir, la puissance du collectif face à la brutalité de la répression. Je ne comprenais pas pourquoi il n’y avait pas de grandes manifestations de soutien au peuple syrien ici, en France. Des enfants se faisaient tuer, les États ne faisaient rien pour les populations et, quand certains ont traversé la Méditerranée, ils sont morts en mer…

Au lycée, lors du quinquennat Hollande, on est descendus dans la rue célébrer la « victoire » de la gauche. Quelques mois plus tard, nous étions encore dans la rue contre ce même gouvernement. Ça a été la première fois que j’ai été en manifestation en mon nom. Puis il y a eu les gilets jaunes. À Toulouse, capitale du mouvement comme on disait alors, tous les ronds-points convergeaient le samedi dans la ville. Je me souviens particulièrement du premier décembre 2018 — sa marée humaine impressionnante. On marchait derrière l’endroit où se tenaient les flics. C’était incroyable ! Nous avions repris la rue. Ce même jour un ami s’est pris un tir de flashball dans la jambe. Tous les samedi, ça discutait, ça échangeait : que signifie « faire la révolution » ?, ça veut dire quoi « changer le monde » ? On assistait à un truc de ouf.

« On est plus d’un étudiant sur deux à ne pas avoir de bourses ou pour qui elles ne suffisent pas, à galérer de job en job sans réussir à valider nos années. » Contrairement aux marches syndicales et organisées, ce qui m’a frappée, dès le début, c’était les échanges qui avaient lieu. Pour beaucoup, c’était une première mobilisation. On entendait des personnes qui racontaient que ça faisait vingt ans qu’elles galéraient. Je me souviens d’une assistante maternelle qui m’a dit : « Je pensais pas qu’on était aussi nombreuses du même métier à galérer. » Elle prenait conscience de la possibilité d’unir les revendications et de changer, à plusieurs, les conditions de travail. Ce qui a été fort dans ce mouvement, c’était ça : se retrouver, mobiliser des personnes qui ne s’étaient jamais mobilisées. C’est à ce moment là que j’ai réalisé, voyant le nombre devenir insuffisant dans la rue, qu’il nous fallait un projet : j’avais envie d’une organisation. Je savais que je voulais être dans un groupe révolutionnaire. Alors j’ai adhéré à Révolution Permanente. Ce qui m’a convaincue, c’est leur effort pour dépasser les divisions des luttes. Notamment pendant le mouvement des gilets jaunes : en cherchant à organiser une jonction avec les cheminots, qui venaient de faire une grève historique, et le Comité Adama à un moment ou une bonne partie de la gauche syndicale et politique regardait de très loin le mouvement.

Je suis née en 2000 d’une mère argentine et d’un père français. On est partis vivre en Syrie quand j’étais enfant. Puis à Marseille, où j’ai grandi, du côté de la Plaine [quartier du centre-ville, ndlr] — mes parents, musiciens, sont encore là-bas. J’ai fait une licence en économie et je suis à présent en master de philosophie, psychanalyse et économie politique du sujet. C’est un master de recherche un peu OVNI à la fac du Mirail1. Je ne sais pas encore où je vais avec ça… (rires) Je travaille sur la torture psychologique et le continuum entre répression en prison et répression des quartiers populaires. À côté, je suis surveillante dans un lycée. On est plus d’un étudiant sur deux à ne pas avoir de bourses ou pour qui elles ne suffisent pas, à galérer de job en job sans réussir à valider nos années à cause de la charge que ça représente. Ce n’est pas exceptionnel entre étudiants que de réfléchir à comment on va se payer à manger ou aller chez le médecin. 25 euros pour voir le docteur, ça fait plusieurs repas. Il y a un mépris envers les jeunes qui me révolte, qui ne porte pas seulement sur les étudiants. D’ailleurs, c’est important de le dire : il y a une augmentation des jeunes qui se retrouvent sans cursus, sans chômage — des jeunes de 17 ans sans travail, sans quoi vivre, qui sont obligés de retourner chez leurs parents et n’ont même plus la possibilité d’être en études.

Quand j’étais en deuxième année de fac, un étudiant s’est immolé à Lyon. Il a voulu en faire un geste politique en disant : ce n’est pas assez de vivre avec 100 euros par mois ! Faut-il en arriver là pour libérer la parole sur la précarité étudiante ? En plus de ça, Macron commence à avancer l’idée de rendre la fac payante, après avoir déjà énormément augmenté les frais d’inscriptions pour les étrangers « extra-européens » lors de son premier quinquennat, une mesure raciste qu’on a été nombreux à combattre. Si on te demande 3 000 euros pour passer ta licence alors que tu travailles à côté, tu vas arrêter tes études. Cette question des subventions et des financements se pose à tous les niveaux de l’Université. La crise sanitaire mis en évidence ces situations terribles que vivent les étudiants. Pendant le premier confinement, je suis restée chez mes parents à Marseille. Mais avec les mesures de confinement, qui ont mis fin brutalement à tous les jobs précaires, une grande partie des jeunes se sont retrouvés du jour au lendemain sans revenus. Des milliers d’entre eux ont dû avoir recours à des aides alimentaires.

En plus de la détresse, des incertitudes, de l’angoisse liée à la sélection et à la mise en concurrence toujours plus brutale dans les facs, la faim s’est répandue comme une traînée de poudre. L’État a mis en place la politique des repas à un euro mais, quelques mois avant, il baissait les APL… Alors il y a eu beaucoup de solidarités entre étudiants. Des distributions de colis alimentaires, via des banques alimentaires, des maraudes… Ces situations n’étaient pas nouvelles, mais elles ont été considérablement aggravées. En réalité, ça n’a pas vraiment cessé depuis, simplement ça ne fait plus la une des journaux. Des jeunes font toujours la queue, à Paris, pour un colis alimentaire. Le pire, c’est qu’on subit ces conditions de précarité extrême tout en constatant que les diplômes garantissent de moins en moins une amélioration de cette situation une fois les études finies.
« À une jeune mobilisée qui hurlait On va crever, la planète brûle !, l’un d’eux a répondu : Crève et fais pas chier. C’était un des actionnaires. »

Depuis la rentrée et cet été d’incendies et de sécheresses, une nouvelle génération de jeunes énervés par les excès de consommation des riches, les jets privés, les terrains de golf, portent une sensibilité anticapitaliste. Et dans les mobilisations récentes pour le climat, on essaie de montrer que ce sont les mêmes riches, ceux qui volent en jet privés, qui décident de la production du gaz et de l’électricité et sont responsables de la destruction de la planète comme de la hausse de nos factures. On disait en manif : « Et un, et deux, et trois degrés : c’est Total qu’il faut exproprier ! » Il ne faut pas oublier qu’en mai dernier, de jeunes activistes du climat ont empêché la tenue de l’assemblée des actionnaires de Total. À une jeune mobilisée qui hurlait « On va crever, la planète va brûler ! » l’un d’eux a répondu : « Crève et fais pas chier. » C’était un des actionnaires principaux, en costard. Que cet actionnaire puisse se permettre de répondre ainsi reflète un immense mépris. Ça m’a fait penser au message qui circule beaucoup en manif : « Travaille, consomme et ferme ta gueule ». Récemment la grève des raffineurs a imposé le thème de la précarité au travail et la question des salaires dans le débat national. Et comme ils sont en première ligne de l’exploitation chez Total, ce n’est qu’à leurs côtés qu’on pourra faire tomber les Patrick Pouyanné [PDG du groupe TotalEnergies, ndlr].

Plus que d’autres sans doute, nous sommes une génération qui a peu confiance en l’avenir. On va nous dire qu’on est jeune, que c’est normal d’être indécis… Ce que révèle le coup d’éclat des étudiants d’AgroParisTech, ces étudiants destinés à devenir ingénieurs et qui ont décidé de « démissionner » en lisant un puissant discours anticapitaliste2, c’est cette prise de conscience qui se généralise, y compris dans les grandes écoles : de plus en plus de jeunes refusent de devenir les rouages d’un système qui exploite la Terre, les travailleurs, et emmène l’humanité tout droit à la catastrophe. Avec Révolution Permanente, on a un collectif d’étudiants qui s’appelle Le Poing levé. On ne restreint pas notre activité à des revendications sectorielles qui ne concerneraient que les étudiants, au contraire. On est là pour renverser la table, on est un collectif de jeunes communistes révolutionnaires. L’une des batailles menées a concerné l’inscription et la régularisation de tous les étudiants réfugiés arrivant d’Ukraine, qui sont triés par la France et les universités selon leur nationalité. On est bien entendu opposés à cette guerre menée par Poutine mais on refuse de nous aligner derrière l’OTAN, qui ne cherche qu’à renforcer sa puissance au travers de ce conflit.

Le féminisme et l’antiracisme ? Il est clair que la jeunesse se politise beaucoup sur ces questions. Dès le lycée, des élèves remettent en cause leurs cours, réclament d’étudier la colonisation, confrontent les programmes ! Ça arrive de plus en plus car il y a des prises de consciences qui émanent des mouvements antiracistes et féministes, mais aussi, il me semble, d’un système qui ne peut plus nous garantir un taf. Les jeunes qui affirment très tôt ne plus vouloir vivre dans un modèle comme le nôtre sont de plus en plus nombreux. En fait on ne peut plus accepter ça. La crise du Covid a marqué une génération. Macron a dit, en 2020, « c’est dur d’avoir 20 ans ». À ça je réponds que, ce qui est « dur » en réalité, c’est d’avoir vu le gouvernement piétiner les soignants et notre santé pendant la crise sanitaire, et rester du côté des grands patrons quand il s’agissait de réquisitionner les grévistes. Par ailleurs, pourquoi on augmente en continu le budget de la police et de l’armée alors que les élèves s’entassent dans les classes, que les universités sont à court de moyens, qu’on ferme des services d’urgences hospitalières ?

Si la répression sur les mouvements antiracistes et les violences policières est aussi forte, c’est parce que la mobilisation après le meurtre de George Floyd a rassemblé des centaines de milliers de personnes. Le meurtre de George Floyd, les rassemblements pour Adama Traoré : tout ça marque une génération. On ne peut plus accepter qu’un mec se fasse tuer devant tout le monde alors qu’il hurle qu’il ne peut plus respirer. Il y a une intolérance face au racisme d’État et aux injustices beaucoup plus forte qu’auparavant. Nous sommes la génération climat, la génération Adama, une génération féministe et qui lutte pour les droits des personnes LGBTQI+. Est-ce que je me souviens de Charlie [attaque du 7 janvier 2015, ndlr] ? Oui, on en avait parlé à l’école. C’était choquant. L’instrumentalisation aussi, ça a été choquant. Par exemple, au lycée, l’état d’urgence a eu pour conséquence la mise en place des agents de sécurité et des fouilles sur les gamins. L’assassinat de Samuel Paty a été terrible, et il a lui aussi été instrumentalisé… Le gouvernement a appelé à l’« unité nationale » derrière Darmanin et en a profité pour voter la loi « contre le séparatisme », qui permet aujourd’hui de dissoudre plus facilement des organisations comme Palestine Vaincra. Ou d’autres organisations antifascistes. Et d’entretenir des amalgames dangereux.

« On ne pourra pas renverser ce système sans ceux qui le font tourner. C’est pour cette raison qu’avec mes camarades on accorde énormément d’importance au soutien des grèves. »
Pour les prochains combats, il va falloir qu’on se lie au mouvement ouvrier, aux gilets jaunes et aux travailleurs qui, en faisant grève contre la réforme des retraites en 2019, ont paralysé la capitale. On ne pourra pas renverser ce système sans ceux qui le font tourner. C’est pour cette raison qu’avec mes camarades on accorde énormément d’importance au soutien des grèves, notamment à celles qui revendiquent des augmentations de salaires en ce moment.

C’est sûr que c’est démoralisant d’aller en manif tous les jours et de ne rien obtenir. De se retrouver encore avec Macron. Les gilets jaunes clamaient « Macron démission » et il y a une « nouvelle gauche » qui a cultivé l’espoir d’une cohabitation. On est passé de « Révolution » et « Macron démission » à « Premier Ministre de Macron ». J’ai beaucoup entendu, ces derniers temps, que si on avait eu peu de victoires ces dernières années, c’est parce que les luttes « ça marche plus » et qu’on devrait se contenter des vieilles recettes parlementaires d’une gauche institutionnelle qui a déjà tellement trahi. Dire ça, c’est refuser de tirer les bilans sérieux de ces luttes, et de se demander pourquoi elles n’ont pas été jusqu’au bout. La réalité c’est que depuis que je suis engagée et militante, j’ai participé à beaucoup de luttes ouvrières et de mouvements sociaux, avec des dizaines voire des centaines de milliers de personnes en grève ou dans la rue, de secteurs qui n’ont pas su s’unir. Et ce problème ne peut pas être délié du rôle des directions syndicales, qui consacrent un effort très important à cloisonner les luttes — comme quand elles ont dénoncé les « violences des gilets jaunes » alors même que ce mouvement était en train de créer les conditions pour faire plier Macron une bonne fois pour toutes, si on s’y mettait tous !

C’est important de faire ce type de bilan car, sinon, les défaites sont démoralisantes. Alors que quand on y regarde de plus près, il y a eu énormément de révoltes ces dernières années ! J’ai été touchée par les mouvements au Chili, à Hong Kong, par Black Lives Matter et, en ce moment, par la jeunesse en Iran. Et qui aurait pensé voir ces images des manifestants sri-lankais profiter de la piscine de leur président ! Personne n’a envie de lutter toute sa vie sans espérer gagner. Personne, militants ou non, n’a envie de voir son horizon des possibles réduit. Mais on nous répond : « Crève et fais pas chier. » La répression sera brutale, et attendre les prochaines élections ne nous prépare pas à lutter ! Pendant la campagne d’Anasse Kazib, on a dit que c’était une campagne pour redonner espoir, justement, car nous voulions articuler la lutte des classes avec toutes les oppressions. Et montrer le potentiel que ça aurait si on luttait contre les bureaucraties qui veulent segmenter les luttes et qui empêchent le mouvement ouvrier de rêver plus haut ! On veut construire un mouvement ouvrier qui s’empare jusqu’au bout des questions d’écologie ou de genre. Je ne sais pas si vous avez suivi la grève qu’il y a eu à la raffinerie de Grandpuits ? Là, les grévistes ont montré que ça n’était pas Total qui allait opérer la transition écologique, mais bien ceux qui connaissent le mieux l’outil de production : les travailleuses et les travailleurs.

NOTES

1. Renommée depuis quelques années Université Jean-Jaurès.↑
2. À l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes de l’école d’ingénieurs en mai 2022, un collectif d’étudiants et d’étudiantes a prononcé un discours invitant les futurs ingénieurs de leur génération à déserter l’industrie pour explorer d’autres métiers et façons de vivres, affirmant entre autres que « l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre ».↑

 
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