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La Izquierda Diario
21 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

6.500 morts sur les chantiers
Coupe du monde au Qatar : le boycott ne doit pas masquer la responsabilité de l’impérialisme français
Erell Bleuen

Jusqu’au 18 décembre 2022, le Qatar accueille la Coupe du Monde 2022. L’attribution du championnat au pays, la mort de milliers de travailleurs sur ses chantiers et le drame écologique que représente l’évènement suscitent la polémique et de nombreux supporters vont boycotter la compétition.

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Du 20 novembre au 18 décembre 2022, le Qatar accueillera la Coupe du Monde 2022. L’attribution du championnat à la péninsule, qui date de 2010 et pour laquelle l’ex-président Nicolas Sarkozy est accusé de corruption, suscite la polémique, et alors que la compétition est lancée depuis dimanche, les appels au boycott se multiplient.

Les appels au boycott du « Mondial de la Honte » se multiplient

Plusieurs clubs de supporters ont ainsi manifesté leur opposition au championnat : à Guingamp, une banderole « Boycott Qatar 2022 » a été déployée sous les yeux du président de la FIFA présent dans le stade, et les mêmes mots d’ordres ont été affichés par les supporters du TFC à l’occasion du match contre le Stade Rennais. Du côté de la presse, Le Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien a annoncé qu’il ne couvrirait pas l’évènement car « cette coupe cristallise des atteintes intolérables à la dignité et aux libertés humaines, elle a piétiné les droits des travailleurs et des minorités et a balayé le respect de l’environnement ».

Et en effet, des scandales il y en a. Depuis la publication de l’enquête de The Gardian en 2021 qui révélait que plus de 6.500 travailleurs migrants originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka étaient décédés sur les chantiers de la Coupe du Monde, pour de nombreux supporters c’est l’indignation qui prime. Dans l’Obs, l’un d’entre eux explique ainsi qu’il ne se rendra pas au Qatar, car « je me suis imaginé arpenter les tribunes, et je n’ai pas pu faire abstraction des charniers sur lesquels j’aurais marché », tandis qu’un autre dénonce « ce Mondial [qui] est celui de tous les excès. Je ne peux pas cautionner ces pratiques criminelles ».

D’autres pointent le traitement des femmes et des personnes LGBTI par l’État qatari, qui promet la prison aux personnes accusées de relations sexuelles hors mariage ou d’homosexualité, et qui ont d’ailleurs sommé les supporters d’éviter « les démonstrations d’affections en public » lors du championnat. L’aberration écologique est également mise en cause. Dans une période où la crise climatique ne cesse de s’approfondir et où la crise énergétique fait planer le risque de pénurie sur l’Europe, la construction dans un désert de sept stades climatisés et la mise en place de 160 vols quotidiens pour l’occasion a de quoi susciter la colère.

Les Coupes du Monde : un rôle de soft-power incontournable pour faire sa place dans l’échiquier mondial

Alors que le phénomène a pris une ampleur politique nationale, Emmanuel Macron a dû, sous pression, se positionner ce jeudi et batailler ouvertement contre le boycott, expliquant « que la question soit climatique ou qu’elle soit sur les droits de l’homme, on ne va pas se poser la question à chaque fois que l’événement est là » et qu’il « ne faut pas politiser le sport ». Le RN, tout en ayant dénoncé de façon islamophobe « un pays islamiste » se retrouve, institutionnalisation oblige, à défendre également une telle ligne, à l’instar de Marine Le Pen qui expliquait « que le sport doit être découplé de la politique ». Des positions qui cherchent à invisibiliser le rôle énorme de soft-power joué par les évènements sportifs internationaux pour les capitalistes et leurs régimes politiques.

En effet, dès la deuxième édition de la Coupe du Monde en 1934, attribuée à l’Italie, le championnat a servi de tribune au régime fasciste de Mussolini. Le général de l’armée le présentait d’ailleurs comme tel : « Le but ultime de la manifestation sera de montrer à l’univers ce qu’est l’idéal fasciste du sport ». A ce titre, la victoire sportive obtenue – non sans corruption – par l’Italie servit de victoire politique pour Mussolini. Dans l’histoire bien plus récente, Macron a largement tenté d’instrumentaliser la Coupe du Monde de 2018 alors qu’il était au plus bas dans les sondages, pour tenter de regagner en légitimité en transformant la victoire de la France en une opération patriotique et chauvine.

De fait, chaque Coupe du Monde comporte son lot de décisions et de prises de positions très politiques. En 1966 par exemple, les équipes du continent africain boycottaient la Coupe du Monde en Angleterre suite à la décision colonialiste de la FIFA de ne proposer qu’une seule place qualificative pour la phase finale à l’Afrique, l’Asie et l’Océanie. En novembre 1973, quelques semaines après le coup d’État de Pinochet, l’équipe soviétique, qui devait disputer les barrages pour la qualification à la Coupe du Monde de 1974, avait demandé à ne pas jouer dans le stade de Santiago au Chili, où la dictature avait tué des milliers d’opposants. La FIFA et le Chili ont refusé de céder à cette demande et l’équipe de l’Union Soviétique a décidé de ne pas se présenter, perdant ainsi sa possibilité de se qualifier au Mondial qui allait se disputer en Allemagne de l’Ouest.

Cinq ans plus tard, le choix de la dictature argentine pour tenir la coupe du monde avait provoqué la colère, notamment en France où une campagne de boycott a été organisée par le COBA (Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de Football) qui dénonçait la tenue de la compétition à quelques kilomètres des centres de torture et les relations militaires de la France avec l’Argentine. Une campagne à laquelle la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) et le Parti Socialiste Unifié (PSU) ont pris activement part, organisant aux côtés du COBA plusieurs manifestations, dont la plus importante a réuni plus de 8000 personnes à Paris.

En réalité, par-delà la compétition sportive, se joue une bataille entre les États qui cherchent à s’imposer sur la scène internationale, à l’instar du Qatar qui s’efforce depuis maintenant plus de 10 ans à renforcer son soft power pour se construire comme puissance régionale, notamment au travers du football. Dans Le Petit Journal, Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS, explique ainsi : « Grâce au foot et au sport plus largement, il y a eu une connaissance et une reconnaissance du pays sur la scène internationale. Un deuxième objectif était celui de diversifier ses filières économiques ; là aussi je pense que c’est quelque chose de plutôt bien mené. On a vu une diversification au niveau des médias, au niveau des sponsors, au niveau du merchandising, entre les investissements réalisés dans les clubs et les retombées qu’il peut y avoir par ailleurs ».

Derrière le Qatar, l’hypocrisie et la responsabilité des puissances impérialistes comme la France

Ainsi, la dynamique de boycott « par en bas » pointe, à raison, les scandales politiques derrière le championnat. Elle a d’ailleurs mis sous pression Emmanuel Macron, en raison du rôle particulier joué par la France dans l’attribution de la coupe du monde au Qatar. Alors que plus de la moitié de la population française n’adhère pas à cette compétition d’après un sondage, le Président a été mis à la défensive, obligé de défendre préventivement sa venue au Qatar, en la conditionnant à la participation de la France aux demi-finales, tout en envoyant Gérald Darmanin représenter la France à la cérémonie d’ouverture.

En revanche, les réactions des politiques, qui ont émergé ces derniers jours en France autour du boycott, cherchent à profiter de la situation. François Hollande, par exemple, déclarait en septembre dernier : « si j’étais le chef de l’Etat, je ne me rendrais pas au Qatar », tandis que des municipalités de plusieurs villes, dirigées par le PS, le RN ou LR ont décidé de ne pas diffuser la compétition dans leurs villes. A Saint-Étienne par exemple, la mairie remportée par LR aux dernières élections annonçait que « les valeurs portées par cette manifestation sportive internationale sont aux antipodes de celles de Saint-Étienne, ville inclusive et durable Unesco et du plan de mandat de l’équipe municipale qui repose sur les trois piliers que sont le bien-être social, le développement durable et les valeurs de la République ».

Et pour cause, l’alliance historique entre la France et le Qatar s’est tissée, depuis les années 70, sous l’égide des partis qui se sont succédés au pouvoir en France jusqu’à aujourd’hui. Les sorties de membres du Parti Socialiste ou des Républicains sont donc d’une hypocrisie totale, car ce sont les mêmes qui n’ont eu de cesse de se lier à des régimes sanguinaires pour défendre les intérêts économiques ou géopolitiques de l’impérialisme français : la vente d’armes à l’Arabie Saoudite dans le cadre de la guerre au Yémen ou « l’idylle » entamée par Hollande avec le général Al-Sissi en Egypte ne sont que quelques exemples récents des alliances que les partis de la bourgeoisie sont prêts à tisser, peu importe « l’humanisme » des régimes en place.

Quant au traitement inhumain réservé aux travailleurs immigrés sur les chantiers de la Coupe du Monde, la France et ses patrons ne sont pas en reste. Mediapart publiait récemment une enquête qui incrimine le groupe français Vinci, soupçonné d’avoir participé à l’exploitation des travailleurs migrants en retenant « leurs passeports une fois arrivés sur leur lieu d’emploi » et en leur imposant « des conditions de travail sous des chaleurs extrêmes (proches de 50 °C) pendant une dizaine d’heures par jour, six jours par semaine, sans mise à disposition d’aires de repos permettant de se rafraîchir sur les zones des chantiers  ».

Ainsi la France, comme le reste des pays impérialistes, dont les États-Unis qui font du Qatar un allié privilégié « non-membre de l’OTAN », ou encore la FIFA qui réalise des bénéfices énormes grâce aux entreprises qui sponsorisent et financent les évènements, sont autant de responsables de la tenue de la Coupe du Monde dans la péninsule. Une réalité que les partis politiques cités se gardent bien de dénoncer.

Au-delà du boycott, c’est à l’État français et aux grandes entreprises qu’il faut s’attaquer !

Les appels « par en bas » au boycott ont déjà permis de mettre sur le devant de la scène les nombreux scandales de la Coupe du Monde de 2022, qui repose sur le sang de milliers d’ouvriers ayant travaillé dans des conditions semi-esclavagistes, sur le mépris des droits des femmes et des personnes LGBT+ et de la crise climatique. Au point que près de 25% des supporters français pourraient boycotter la compétition selon un sondage. Un chiffre important en l’absence de véritable campagne politique organisée et une dynamique qui, si elle reste sur le terrain de la dénonciation individuelle, exprime un discrédit important des classes dirigeantes qui avaient organisé cette compétition. Notre soutien va évidemment à toutes celles et ceux qui entendent ainsi dénoncer les coulisses scandaleux de cette coupe du monde.

En revanche, cette dénonciation et ces actions de boycott à la base ne doivent pas masquer la responsabilité des puissances impérialistes, leur rôle réactionnaire et leur hypocrisie, en opposant un « méchant » Qatar à de « gentils » États occidentaux démocratiques. Ainsi, toute dénonciation sérieuse de la compétition doit aller de pair avec une dénonciation du rôle réactionnaire des puissances impérialistes, qui contrôlent de facto les institutions internationales du football.

En France, celle-ci implique de rappeler ce qu’est l’impérialisme français, en soulignant non seulement son rôle de soutien au Qatar depuis des décennies et les profits faramineux réalisés par ses entreprises comme Vinci grâce à la compétition, en rappelant sa longue tradition de soutien à des régimes criminels, qu’il s’agisse de dictatures comme l’Égypte d’Al-Sissi et le Tchad de Idriss puis Mahamat Déby ou d’États pseudo-démocratiques comme Israël ou les Etats-Unis, mais également en rappelant ses interventions meurtrières directes comme en Libye ou au Sahel.

De ce point de vue, les récents appels à un « boycott diplomatique », portés notamment par La France Insoumise, qui souhaiterait que Macron et les membres du gouvernement ne se rendent à la compétition malgré la participation de l’équipe nationale, sont non seulement impuissantes mais ne peuvent que semer des illusions sur le rôle de l’État français, qui n’est pas seulement un complice mais fait partie des responsables de la mort de milliers de travailleurs au Qatar.

A ce titre, et pour élargir la focale, il faut rappeler combien l’organisation des Jeux Olympiques 2024 en France va elle aussi servir à une offensive anti-ouvrière d’une nature différente, en servant de prétexte à Macron pour opérer un véritable tri social des habitants de Saint-Denis, renforcer la présence des forces policières dans le département et attaquer le droit de grève. De quoi souligner combien, entre les mains des capitalistes, toutes les compétitions mondiales servent en dernière instance d’arme contre les intérêts des travailleurs. Et si les débats sur le boycott de la coupe du monde ouvrait la discussion sur toutes ces questions ?

 
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