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La Izquierda Diario
4 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

On strike !
Royaume-Uni. Après l’été du mécontentement, vers une grève générale à l’automne ?
Rafael Cherfy

Au Royaume-Uni, après un été marqué par des grèves massives, les mobilisations se poursuivent et menacent de s’étendre au secteur public. Dans un contexte de crise politique et d’approfondissement de la crise économique, le spectre d’une grève générale plane sur le pays.

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Retour sur un « été du mécontentement »

Le Royaume-Uni a connu un été particulièrement chaud sur le terrain de la lutte de classe. Face à une inflation record qui devrait atteindre les 13 % avant la fin de l’année selon les projections de la Bank of England, de nombreux secteurs du travail se sont mobilisés de manière massive pour des augmentations de salaires.

Après des mois de grèves locales dans différents secteurs, souvent organisées par le syndicat Unite, le début de « l’’été du Mécontentement » a été marqué par le lancement, au mois de juin, du plus grand mouvement de grève dans les transports depuis 30 ans. La première journée de grève du secteur ferroviaire a mobilisé plus de 40 000 salariés. Les travailleurs du rail ont renouvelés l’expérience avec une nouvelle journée fin juillet, puis trois jours de grève le 18, 19 et 20 août, et se préparent à une nouvelle mobilisation en septembre. Un mouvement historique très suivi dans le secteur auquel se sont ajoutées des grèves aux bus et au métro sur des dates différentes.

Le deuxième gros secteur ouvrier à entrer en grève, ce sont les dockers. Environ 2 000 salariés du port de Felixstowe, par lequel transite 48 % du trafic de conteneurs du pays, se sont mis en grève pour huit jours à partir du dimanche 21 août. En grève pour 10 % d’augmentation de leur salaire, ils n’ont pas cédé aux propositions de la direction qui a tenté de d’arrêter le conflit en proposant seulement 7,5 % d’augmentation. La grève a été soutenue par les dockers de Liverpool qui ont aussi voté leur propre date de mobilisation pour le mois de septembre.

A cela s’ajoute les postiers en grève ce 26 août avec plus de 115 000 salariés mobilisé selon le Syndicat des travailleurs de la communication (CWU). Les travailleurs de Royal Mail ont déjà annoncé qu’ils seront de nouveau en grève les 8 et 9 septembre. Le syndicat CWU a également mobilisé chez l’opérateur British Telecommunication pour la première fois depuis 35 ans. 40.000 employés de l’opérateur historique BT se sont mis en grève le 29 juillet et le 1er août. Mercredi 31 aout a été une journée de mobilisation inédite avec un appel du syndicat CWU qui a réuni plus de 150 000 salariés de Royal Mail, BT et Openreach.
 
On assiste aussi à des grèves chez les éboueurs, notamment chez ceux de Newham dans l’est de Londres en grève ce mercredi 31 aout. A noter aussi l’entrée en grève de 1.000 journalistes ce mercredi 31 aout qui ont déjà voté trois nouveaux jours du 13 au 15 septembre. Les travailleurs des raffineries et des centrales électriques se sont également mobilisés dans l’été. Plus inédit encore, des grèves « sauvages » se sont produites en aout dans des secteurs ou le syndicalisme est historiquement moins présent. C’est le cas chez Amazon, mais aussi dans le bâtiment ou dans l’énergie.

L’été a donc été marqué par de nombreuses grèves inédites pour les salaires mais avec des mobilisations en ordre dispersé, chaque secteur se mettant en grève sur des dates spécifiques avec ses revendications propres

L’été a aussi été le lieu d’une hausse importante de la syndicalisation à la suite de la grève du rail. Tous les signaux sont là : la classe ouvrière britannique est prête à livrer une grande bataille.
 

« Enough is Enough », une campagne de protestation qui rencontre un fort écho

Dans ce contexte de montée de lutte des classes, le mouvement « Enough is enough » a été initié début août par différentes organisations associatives, syndicales, mais aussi par deux députés travaillistes Zarah Sultana et Ian Byrne. Le mouvement est implanté dans plus de 70 villes du Royaume-Uni et multiplie les meetings très fréquentés sur l’ensemble du territoire. « Enough is enough » revendique plus de 500 000 inscrits sur leur site.

Il s’appuie sur des figures syndicales et associatives et quelques parlementaires de la gauche du Labour pour développer un discours politique général sur la situation. Mick Lynch du syndicat des transports RMT (les transports ayant donné le coup de sifflet pour la vague de grèves) en est une des principales figures, lui qui affirme que « la classe ouvrière est de retour en tant que mouvement » mettant en avant un discours de classe qui rencontre un fort écho.

Le mouvement porte comme revendication une hausse générale des salaires avec un salaire minimum de 15 livres sterling par heure (équivalent à 18 euros de l’heure). Aussi face à l’explosion des prix de l’énergie, il revendique un plafonnement des factures d’énergie, la création de 100 000 logements sociaux par an et la rénovation thermique des bâtiments. Un ensemble de mesures sociales qui doivent être financées par une taxe sur les plus grandes fortunes.

Le succès rencontré par le mouvement fait écho à l’hostilité ouverte de l’establishment du Labour Party aux mouvements en cours. Une occasion pour les partisans de Corbyn de se repositionner après leurs défaites et exclusions de certains de ses proches au sein du parti travailliste. Si le mouvement commence à prendre une forme qui dépasse les simples meetings, en appelant par exemple à une journée nationale de manifestation le samedi 1er octobre, il ne cherche pas à dépasser la division orchestrée par les directions actuelles entre les secteurs mobilisés.

Ni même la division des tâches entre les apparatchiks du Labour (cibles de rares critiques très policées lors de ses meetings) pensés comme devant être l’opposition aux conservateurs au Parlement et éventuellement gagner les prochaines élections ou voter de meilleures lois, et les syndicats qui organisent des grèves de pression pour négocier avec le patronat. Comme l’affirme Zarah Sultana, Enough is Enough doit être « un pont entre les mouvements sociaux, la politique parlementaire et le mouvement ouvrier, tous travaillant ensemble pour gagner pour les travailleurs ». Pourtant toutes ces forces ne tirent pas dans le même sens et parviennent pour le moment à contenir les éléments les plus subversifs de la situation.

A cela s’ajoute le mouvement « Don’t pay UK  », une campagne lancée en juin sur les réseaux sociaux qui appelle les Britanniques à refuser massivement de payer leurs factures à partir du 1er octobre. C’est à cette même date que sera appliquée la hausse monumentale de 80 % du prix de l’électricité et du gaz annoncée par le régulateur de l’énergie britannique (OFGEM). Une campagne lancée anonymement qui réunit déjà 131 163 participants et qui se fixe l’objectif d’atteindre les un million d’ici le premier octobre. De quoi réveiller les souvenirs au Royaume-Uni de la grande mobilisation contre la poll tax (boycott et révoltes) en 1989-1990 qui a notamment conduit à faire tomber Thatcher.

Ces deux mouvements témoignent d’une forte politisation de la de crise économique que traverse le Royaume Uni. L’écho rencontrés par ces campagnes, malgré leurs limites, témoignent de la volonté de la classe ouvrière anglaise de l’aspiration de la population laborieuse anglaise à dépasser la cadre corporatiste qui prédomine dans les grèves menées durant l’été.

Vers une grève générale à l’automne ?

La situation économique anglaise menace de s’empirer avec une inflation qui pourrait dépasser 20% au début de l’an prochaine selon les projections de la banque Goldman Sachs qui alerte aussi sur le risque d’une récession de l’économie britannique. Concernant les prix de l’énergie, le plafond de tarification autorisé qui est actuellement de 1971 livres par an par foyer menace de passer à 3549 livres.

En parallèle, le pays connaît une forte instabilité politique avec la désignation, le 5 septembre, du successeur du Premier ministre Boris Johnson. La candidate ultra conservatrice [Elisabeth Truss semble favorite et se revendique elle-même de Magaret Tatcher avec une ligne politique très droitière et anti grève. Cette dernière présente un programme de mesures antisyndicales, tel que la nécessité d’un vote positif de 50 % de l’ensemble d’un effectif de salarié pour faire grève (contre 40 % aujourd’hui), la hausse des niveaux de service minimum pour les services publics mais aussi l’augmentation du délai de prévention pour un préavis de grève qui pourrait passer de deux à quatre semaines.

C’est donc tout un programme anti ouvrier de riposte à la vague de luttes en cours que la candidate a déclaré vouloir appliquer dans les trente jours après son arrivée au poste de première ministre. De l’autre côté, son opposant Rishi Sunak s’inscrit lui aussi dans une ligne anti-syndicale. Par ces potentielles nominations, la bourgeoisie anglaise se prépare à mener une véritable guerre de classe contre le réveil ouvrier qui secoue le pays.
 
C’est dans ce contexte de forte instabilité politique et économique que les secteurs mobilisés durant l’été, dont la plupart n’ont pas obtenu satisfaction, se préparent à reconduire leur mouvement en septembre. Ces derniers seront rejoints par le secteur public qui ne s’est pas encore mobilisé. Comme l’explique Marc Lenormand, maître de conférence en civilisation britannique à l’Université Paul Valéry de Montpellier, dans un entretien pour Rapport de force : « Il y a un effet d’entraînement qui part du secteur privé, en particulier des chemins de fer et de la Poste, susceptible d’entraîner le secteur public ».

Dans les collectivités locales, une consultation des 100.000 adhérents du syndicat GMB a été lancée. Le principal syndicat des universités (UCU) vient de faire de même et la perspective d’une grève se pose aussi dans l’éducation nationale comme chez les travailleurs sociaux. A cela s’ajoute les avocats pénalistes d’Angleterre et du pays de Galles qui ont décidé de rentrer en grève illimitée à partir du 5 septembre. Pour finir, le principal syndicat de la santé en Angleterre et au Pays de Galles a lancé une consultation sur une mobilisation au mois de septembre.

L’automne s’annonce donc encore plus explosif que l’été. Cependant malgré l’ambiance combative qui existe très largement dans la population, les futures mobilisations prévues se feront a priori en ordre dispersé avec des directions syndicales qui maintiennent une logique de mobilisation corporatiste. Ainsi, si toutes les conditions sont réunies pour envisager une large extension du mouvement et la généralisation de la grève, cette perspective est pour l’instant empêchée par les différentes directions syndicales qui maintiennent une logique de dialogue social entreprise par entreprise et contiennent les forces qui se réveillent.

La nécessité d’un plan de bataille unitaire pour imposer une victoire d’ensemble

La combativité des travailleuses et des travailleurs britannique est évidente. Seulement cette dernière se retrouve bridée et épuisée par les plans de division des directions syndicales. Au sein d’un même corps de métiers certaines grèves ont été menées de manière désynchronisée comme l’illustre la mobilisation des dockers ou encore dans le rail, ou les deux principaux syndicats, l’ASLEF et la RMT, n’ont jamais appelé à une journée de grève commune. Refusant de prendre l’initiative de la convergence, ils s’en remettent pour le moment aux bons vouloirs duTUC, principale confédération du pays, dont le congrès s’ouvrira le 11 septembre.

Certaines résolutions émanant de syndicats comme le RMT, le PCS, Unite, Unison ou encore le NEU, demandent en effet à la confédération syndicale de « coordonner une campagne d’action industrielle dans les secteurs public et privé pour obtenir des augmentations de salaire ». Mais la direction de la confédération continue de botter en touche, comme sa secrétaire générale le déclarait en juin face aux accusations de la droite de préparation d’une grève générale : « On m’a demandé à plusieurs reprises où nous allions coordonner l’action, et je ne l’exclurais pas […] Mais le fait est que les travailleurs se coordonnent entre eux, non pas dans le cadre d’une stratégie délibérée, mais parce que des millions de travailleurs sont aujourd’hui confrontés à des bas salaires, à l’insécurité et à des réductions réelles de leur enveloppe salariale. »

A l’heure actuelle, il n’y a donc pas de perspectives concrètes de coordinations des différents secteurs et chacun avance sur son propre calendrier pour les mois de septembre et d’octobre. Si la pression à l’unité se fait sentir dans les bases syndicales, les directions syndicales anglaises jouent un rôle de division de la mobilisation, en poussant à des dates désynchronisées et en laissant les grévistes se mobiliser en ordre dispersé.

Pour contrer le travail de division opérée par les directions syndicales, la clé réside dans le développement de l’organisation à la base des différents secteurs de grévistes. Avec la création d’assemblées générales, de comités de base pour organiser les grèves et leurs coordinations par l’élection de délégués dans chaque assemblée, les grévistes pourraient réellement prendre en main le mouvement et imposer un plan de mobilisation unitaire qui aille vers une grève générale.

L’initiative du TUC d’une manifestation devant le parlement anglais le mercredi 19 octobre et les manifestations nationales du 1er octobre appelées par le mouvement « Enough is enough », même si elles sont pensées comme des ballades pour occuper la colère des gens, pourraient devenir un pas important dans ce sens. Ces dates pourraient permettre aux différents secteurs de grévistes de se rencontrer et de se structurer à la base dans la perspective d’un plan de bataille général, pour l’ensemble des secteurs du monde du travail, des chômeurs, mais aussi de la jeunesse. 

C’est seulement avec une grève générale reconductible - qui se fixe un programme offensif tel que l’augmentation générale de tous les salaires, leur indexation sur l’inflation, mais aussi l’abrogation des lois anti syndicales, la nationalisation sans indemnités ni rachat des grandes entreprises qui profitent de la crise et leur mise sous contrôle ouvrier pour organiser la production dans le sens des besoins de la population - qu’une issue favorable peut s’offrir à l’ensemble des travailleurs du Royaume-Uni dans le climat de crise économique profonde que traverse le pays.

Le niveau de combativité de la classe ouvrière anglaise montre que le champ des possibles est ouvert. Face à la crise que veulent nous faire payer les capitalistes, la situation anglaise nous montre qu’il est possible de lutter et même de gagner.

 
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