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7 de juillet de 2022 Twitter Faceboock

Entretien exclusif
« C’est de la répression politique » : entretien avec les profs ayant « chantillyé » Blanquer
Louis McKinson

Samedi 4 juin à Montargis, Jean-Michel Blanquer reçoit de la chantilly alors qu’il fait campagne pour les élections législatives. Les deux « chantillyonneurs » - des enseignants, Christophe et Olivier - devaient comparaitre en CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) mais ont finalement été convoqués lundi dernier devant une chambre correctionnelle le 5 septembre prochain. Révolution Permanente s’est entretenu avec eux à propos de cette répression politique.

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Révolution Permanente : Vous êtes accusés d’avoir aspergé de chantilly l’ancien ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer et cela vous a déjà valu une garde-à-vue de 8 heures. A la suite cela, vous êtes convoqués pour une audience alternative au procès, une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ? Vous aviez reconnu les faits ?

Olivier : Oui, comme on n’avait pas préparé tout ça, quand on est passé devant l’OPJ [officier de police judiciaire] et qu’on nous a demandé si on reconnaissait les faits, on n’avait pas forcément mesuré que ça entraînait une reconnaissance de culpabilité sur un plaider coupable, etc. On n’avait pas bien étudié le fait judiciaire...

Christophe : On nous a interrogés séparément, on a assumé chacun notre tour avoir déposé de la chantilly sur la casquette de Blanquer. Mais on était pas au courant de ce qu’impliquait la CRPC, c’est à dire une audience à huis clos, avec un procureur qui allait nous attribuer une peine, qu’on aurait pu refuser ou accepter, etc. Mais là, il nous en a pas laissé l’occasion de toute façon.

Révolution Permanente : Comment s’est décidé le renvoi en correctionnel ?

Olivier : Notre avocat avait demandé le dossier pratiquement immédiatement après les faits, il y a un mois. Et alors, apparemment à cause d’un problème de messagerie, le tribunal n’avait pas reçu la demande de dossier. Finalement notre avocat ne l’a reçu que vendredi dernier. On avait que le week-end pour être conseillés pour la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) du lundi 4 juillet, c’était un peu court.

Christophe : Notre avocat avait fait une demande de renvoi en disant que c’etait trop court. Selon lui, le procureur aurait pu au moins lui renvoyer un mail en lui disant "non, on n’accepte pas la demande de renvoi, et présentez-vous". S’il nous avait dit il faut y aller lundi on y serait allés. On y était pas opposés, contrairement à ce qui apparaît un peu dans tous les médias… Surtout qu’on avait deux dates de CRPC, on avait la date du 4 juillet et du 5 septembre. Ce qui s’est passé, comme l’expliquait notre avocat à l’AFP, c’est qu’ils ne sont pas venus vers nous pour la CRPC parce qu’il y avait une volonté politique de nous balancer directement en correctionnel.

Révolution permanente : Ce passage en correctionnel, c’est une nouvelle étape franchie dans l’acharnement judiciaire à votre encontre. Comment vous interprétez cette décision du procureur ?

Christophe : Ça monte crescendo ! On peut rejoindre les propos de notre avocat : c’est une décision politique, ils veulent un procès. Bon, l’avantage, c’est que ce sera une audience publique. Donc les gens pourront venir assister à des débats. Et puis ça nous permettra aussi de nous exprimer par rapport aux revendications qu’on peut avoir. Parce que l’idée n’était pas juste d’asperger un peu de chantilly sur la casquette de Blanquer.

Révolution Permanente : Dès le début, votre geste est politique : « La députation est une chose sérieuse », « Éducation en déroute, Jean-Michel Blanqueroute ». Quel était votre but ?

Christophe : Il y a eu le parachutage de Blanquer dans un territoire qu’il ne connaissait pas et effectivement c’était indécent et choquant - pour des gens qui ambitionnent d’être nos représentants ! Alors des parachutés, il y en a plein, mais lui, c’était un peu symbolique. Et puis le fait qu’on soit prof, il avait aussi tout son mandat de ministre derrière lui, mandat qui a été une catastrophe pour nous, et d’une violence considérable. Et on pourrait revenir plus loin puisque Blanquer est aux manettes depuis 2007 quand même.

Révolution Permanente : c’était une façon de dénoncer la politique de Blanquer du « sois prof et tais-toi » ?

Olivier : Oui évidemment. Ça fait quand même des années qu’on manifeste, qu’on gueule des slogans, qu’on fait des chansons, qu’on fait grève, etc. On le reproche suffisamment aux profs mais bon, la situation se dégrade à vue d’œil et dans tous les services publics. Au bout d’un moment, on se dit on va marquer le coup. Blanquer n’était plus ministre, il n’était pas encore élu, c’était un citoyen, on a vu une « fenêtre de tir ». (Rires) Mais apparemment, ils ne sont pas d’accord avec cette idée de « fenêtre de tir ». Au final on a eu la confirmation qu’il y a des gens pour qui les élus sont des personnes sacrées dans ce régime.

Révolution Permanente : Ça fait des décennies qu’ils cassent le statut et nous imposent des conditions de travail toujours plus impossibles, c’est une bataille absolument centrale. C’est ce que vous mettez particulièrement en avant dans vos interventions. Pourquoi c’est une question fondamentale pour vous ?

Olivier : Parce qu’on a l’impression d’aller au front et qu’on a les généraux qui nous bombardent d’obus par derrière. Par exemple, Blanquer, quand il parle à quelqu’un de l’Education nationale, il dit « Vous êtes de la maison ? ». Oui, mais on est pas tous au même étage. Et nous, on est de plus en plus dans les sous-sols. Alors quand on nous parle de « violence aggravée » pour de la chantilly ça nous fait doucement rigoler.

On l’a déjà dit plein de fois, nous la violence on la subit au quotidien, c’est une violence institutionnelle, organisée : c’est les profs qui sont recrutés en une demi-heure, c’est les gamins qui n’ont pas de prof devant eux, c’est le nombre de contractuels, etc. En termes de statut, on sait très bien qu’il y a un projet délibéré de casser la fonction publique, tous les services publics – parce qu’ils sont en dehors du marché. Les services publics, ce sont des secteurs entiers de l’économie qui sont en dehors du marché capitaliste. Et là ils ont un intérêt, des marchés à prendre. Donc il faut privatiser et externaliser un maximum de choses : développement des cours privés, l’école privée évidemment, mais aussi externaliser tout ce qu’il y a dans l’Education nationale et qui peut être fait par quelqu’un d’autre.

Révolution permanente : Est-ce que vous voyez aussi dans ce mouvement de privatisation de l’Education la construction d’une école à deux vitesses ?

Olivier : Bien sûr il y a des inégalités, et ces inégalités perdurent parce qu’on ne donne pas aux gamins les moyens d’y arriver. Quand on envoie en sixième des élèves qui ne savent pas tous lire et écrire, on sait qu’il y en a un certain nombre qui vont passer quatre ans à glander, parce qu’ils sont hors du circuit. Et là-dessus, vous rapprochez les parcours d’orientation, avant c’était en troisième, maintenant ils les ont descendus en cinquième ; vous couplez, dernière nouvelle, l’enseignement professionnel avec le ministère du Travail. C’est une accumulation inouïe en fait. Et le but évidemment c’est de diriger les enfants des classes populaires là où il faut et les enfants des classes bourgeoises là où il faut. Ça c’est clair et net.

Christophe : Le deuxième doublon, c’est avec l’armée maintenant.

Olivier : Oui voilà, belle perspective pour notre jeunesse.

Révolution permanente : Il y a eu une recrudescence des cas de répression, notamment de l’acharnement comme vous concernant, je pense aussi au collègue de Pantin qui a été attaqué pour un poème. Que pensez-vous de cette situation ?

Christophe : C’est fou. Ça a explosé sous le ministère de Blanquer. On a vu des syndicalistes qui ont été poursuivis pour des faits de grève. Il y a vraiment eu une répression exceptionnelle qui s’est mise en place brutalement et qui a imposé un « Sois prof et tais-toi » qu’on ne connaissait pas.

Révolution permanente : Comment vous comprenez ce raidissement ?

Olivier : On ne le comprend pas. On constate qu’on se dirige vers une société de plus en plus autoritaire. Il faut faire peur. On le voit tout de suite, si on questionne le choix des mots. La rectrice par exemple nous reproche des faits d’une particulière gravité. Mais quand on voit la violence qu’on vit, nous, au quotidien dans nos établissements scolaires, comment elle va pouvoir la nommer ? Si une projection de Chantilly sur la casquette de l’ancien ministre c’est un fait d’une extrême gravité, comme on nomme la violence ? Celle qu’on vit quotidiennement dans nos classes, à l’extérieur de nos classes, dans les couloirs, etc. Qu’est-ce que c’est pour elle ? Quand on a été placé en garde à vue, on a tout de suite parlé sur la plupart des médias de « violences aggravées », il faut redonner un sens aux mots, là c’est aberrant.

Révolution permanente : Comment faire face à toutes ces attaques dans l’éducaction ?

Olivier : Ce n’est pas que l’éducation, il faut comprendre que c’est tout le monde qui est concerné par tout le service public. Quand on voit la situation de l’hôpital c’est une catastrophe. Et encore plus quand, comme nous, on est dans un territoire qui est un véritable désert médical. Trop souvent les discussions au sein des milieux populaires tourne autour de la casse du métier d’à côté. Les fonctionnaires sont ceci, les profs cela. C’est un discours qui divise des gens qui devraient être unis, et on l’entend en boucle. Donc évidemment l’éducation parce que ça concerne tout le monde. Mais plus généralement, c’est ce que je disais tout à l’heure, ils sont en train de s’accaparer des parts de marché et ils le font de manière extrémiste. Ce sont des extrémistes, capitalistes mais extrémistes. Macron est un extrémiste, c’est pas un centriste, c’est pas un progressiste.

Christophe : Fais gaffe, la police t’écoute ! (rires)

Révolution permanente : Après le chantillyonage, Pap Ndiaye s’est fendu d’un tweet pour secourir son prédécesseur au nom de « la vie démocratique » qui « ne peut exister que dans un débat d’idées respectueux des hommes et des femmes qui s’engagent ». Vous le sentez bien le "renouveau démocratique" avec Ndiaye ?

Olivier : Il y a une classe dominante qui se serre les coudes. Que ce soit le tweet d’Elisabeth Borne, de Blanquer et on pourrait même mettre Mélenchon, puisqu’il a pris la parole pour se faire solidaire de Le Pen et de son œuf, de Blanquer et de sa chantilly, bref, solidaire de la classe dominante. Il s’est quand même fait applaudir par Cohn-Bendit sur LCI !

Révolution permanente : il va falloir beaucoup de chantilly alors ?

Christophe : C’est la prochaine pénurie à venir. (rires)

Olivier : Il y a des gens qui sont horrifiés par ce geste, qui pense qu’il faut du respect à ses gens-là. Mais quand on est plus entendu, il vaut mieux un petit peu de chantilly que des pavés ou des parpaings non ?

Christophe : C’est ce qu’on nous a le plus reproché, pas avoir balancer plus. (rires)

Olivier : On ne voulait pas que ce soit violent.

Christophe : C’était une action non violente ! Même si ça peut paraître violent aux yeux de certains, c’était vraiment une façon de les faire regarder un peu en bas, à eux qui osent tout.

Pour soutenir les chantillyonneurs, rendez-vous le 5 septembres au tribunal de Montargis !

En attendant, vous pouvez participez à la cagnotte leetchi, mise en place notamment pour leurs frais d’avocats, et les suivre sur leur compte Twitter.

Contre la répression, soutien total à Christophe et Olivier !

 
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