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24 de juin de 2022 Twitter Faceboock

Extrême-droite
Législatives : une percée du RN sur fond d’effondrement du « front républicain » et de colère anti-Macron
Mahdi Adi

Avec 89 députés, le RN devient le premier groupe parlementaire d’opposition à l’assemblée devant La France Insoumise, et capitalise sur la colère populaire anti-Macron, sur fond d’abstention et d’effondrement du « front républicain ». Face à l’extrême-droite, il s’agit de construire la riposte contre l’offensive antisociale et autoritaire qui fait son lit, et de batailler contre les idées racistes et xénophobes qu’elle véhicule dans le monde du travail.

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Crédit photo : Christophe ARCHAMBAULT / AFP

En faisant élire 89 députés, le RN opère une percée historique pour une élection intermédiaire et se constitue comme l’une des deux principales forces d’opposition à Macron à l’Assemblée nationale. Déjouant les sondages qui ne lui en promettaient qu’une soixantaine, le RN crée la surprise et vole à La France Insoumise le statut de principal groupe parlementaire (84 députés). Il devance aussi la droite classique (61 élus) et lamine son concurrent à l’extrême-droite Eric Zemmour dont le parti en crise pourrait imploser. Tout cela, dans le cadre d’un scrutin qui ne lui est structurellement pas favorable de par sa nature anti-démocratique, mais aussi au regard de la très forte abstention (54%).

Succès électoral éclatant pour le RN : une percée historique à l’Assemblée nationale

Un score inédit aux législatives pour l’extrême-droite dans l’histoire de la Vème République, puisque le parti lepéniste dépasse désormais de loin le record des 35 sièges que le FN avait réussi à obtenir à l’occasion du scrutin à la proportionnelle de 1986. Ses 89 sièges lui permettent même de constituer le premier groupe parlementaire d’opposition, étant donné que les députés NUPES siégeront de leur côté dans quatre groupes différents (LFI, PS, PCF, EELV) et que le plus important d’entre eux (LFI) ne compte pour l’instant que 84 élus.

Outre la possibilité de prendre la présidence de la commission des finances, cette nouvelle position confère davantage de temps de parole dans l’hémicycle aux élus RN, qui pourront également saisir le conseil constitutionnel ou encore déposer une motion de censure contre le gouvernement. Soit autant d’outils parlementaires pour développer leurs thématiques racistes et xénophobes dans le débat politique.

Enfin d’un point de vue des avantages financiers, Libération explique que « à raison d’1,64 euros par voie obtenue au premier tour des législatives et 37 000 euros par parlementaire, le RN devrait engranger plus de dix millions d’euros d’argent public chaque année. Soit un peu moins de la moitié de sa dette, estimée à 24 millions d’euros ».

« Normalisation du RN et effondrement du « front républicain »

Si le RN a créé la surprise, ce succès électoral ne vient pas de nulle part. Il est la continuité logique d’une dynamique de progression quasi continue - excepté les élections intermédiaires - depuis l’accession du FN au second tour en 2002. Cette progression est le résultat d’une stratégie de dédiabolisation entamée par Marine Le Pen qui a cherché à incarner la colère « antisystème » s’appuyant d’abord sur le discrédit généré par les partis traditionnels de gauche et de droite, puis en détournant la colère légitime qui existe contre Macron sur un terrain réactionnaire.
Pour ces législatives, le RN a cherché à capitaliser dans la continuité des présidentielles sur le contexte économique où l’inflation généralisé attise la colère. Mais pour réussir à percer le plafond de verre des élections intermédiaires auquel il se heurtait jusque-là, le RN a adapté sa tactique électorale. L’historien spécialiste de l’extrême-droite, Nicolas Lebourg, estime dans Libération que « le RN a gagné à ne pas mener campagne et à ne pas activer de surmobilisation à son encontre ».

En d’autres termes, alors que selon les analystes, la « non-campagne » d’Emmanuel Macron aux législatives n’a réussi qu’à « nourrir l’abstention et étouffer dans l’œuf la dynamique que la présidentielle aurait pu créer en sa faveur », le RN a de son côté profité d’une campagne menée « mezza voce pour mieux avancer » et éviter de polariser un « front républicain » contre ses candidatures. Une tactique testée et approuvée par Louis Aliot (RN) à la municipalité de Perpignan explique encore Nicolas Lebourg, qui conclut : « les scores de Reconquête le démontrent pour la millième fois : la radicalité fait perdre les seconds tours ».

Mais la « banalisation » n’est pas uniquement le fait d’une dynamique interne au parti d’extrême-droite. Elle résulte également d’un processus continu d’effondrement du « front républicain », qui tend à s’affaisser après 20 ans de bons et loyaux services au service du bipartisme PS-droite traditionnel. 2022 a marqué son sabordage. Après un dernier service in extremis qui a permis la réélection sur le fil de Macron au second tour de la présidentielle, la digue a totalement cédé pour les législatives. Pire, en crise et désemparés, les macronistes eux-mêmes ont fini par l’abandonner de sorte que la coalition présidentielle Ensemble ! n’a donné aucune consigne de vote nationale pour battre le RN en cas de duel avec la gauche au second tour. Un comble quand on se rappelle les injonctions adressées par la macronie aux électeurs pour « faire barrage » à Le Pen, lorsqu’il s’agissait de faire réélire Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle. Le Monde rapporte ainsi que pour 61 circonscriptions dans lesquelles un candidat d’extrême-droite (RN, Debout La France ou autre) se retrouvait en duel face à la NUPES au second tour, les candidats de la coalition présidentielle n’ont donné de consigne de vote claire que dans 32 d’entre elles. Dans toutes les autres, Ensemble ! a renvoyé dos-à-dos les candidats NUPES et RN.

Conséquences : l’institut de sondage Ipsos estime que lors des duels au second tour opposant la NUPES et le RN, les électeurs d’Ensemble ! se sont abstenus à 72%, et ont voté à 16% pour la gauche et à 12% pour l’extrême-droite. Si les électeurs LR sont également majoritaires (53%) à s’abstenir dans ce cas de figure, ils sont 35% à faire le choix du candidat lepéniste contre seulement 12% pour la NUPES. « Clairement, dans ce segment de l’électorat, le front républicain a fait son temps quand la gauche est présente [au second tour] », acte donc Abel Mestre dans Le Monde.

Si la « banalisation » de l’ex-FN est un phénomène au long cours, le macronisme, bien aidé par les grands médias, a joué un rôle de premier plan dans ce processus. Abel Mestre pointe ainsi la responsabilité de la macronie, qui a permis à Marine Le Pen de bénéficier « d’une sorte de "dédiabolisation par procuration" ». On se rappellera ainsi du débat entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen, à l’occasion duquel le ministre de l’Intérieur avait reproché à la cheffe du parti d’extrême-droite d’être « trop molle ». Ou encore la politique du gouvernement qui a contribué à installer les idées xénophobes, autoritaires et islamophobes de l’extrême-droite dans le débat public avec les lois Asile et Immigration, Sécurité Globale, et Séparatisme. De même Eric Zemmour, lancé par Bolloré sur CNEWS, a participé par radicalité à adoucir Marine Le Pen que les grands médias n’hésitaient pas à présenter entourée de chats.

Le vote RN : un débouché ultra-réactionnaire à la colère anti-Macron

Grâce à ces résultats aux législatives, le RN opère un « renforcement dans les bastions désindustrialisés » note Marianne, notamment dans le Nord et dans le Sud-Ouest, en profitant de la colère anti-Macron. Ainsi, il réalise de gros scores en battant notamment la ministre de la Santé macroniste Brigitte Bourguignon dans le Pas-de-Calais. Tandis qu’il remporte quatre circonscriptions dans les Pyrénées Orientales, le département fief de Louis Aliot qui compte le taux de chômage le plus haut du pays.

Par ailleurs, le parti lepéniste s’étend désormais dans le Sud-Est où le RN capitalise sur le désaveu des figures LR ralliées à Macron. A l’image des Alpes-Maritimes où trois circonscriptions tombent aux mains de l’extrême-droite, alors que les maires de Nice et Toulon, Christian Estrosi et Hubert Falco, sont des figures de la droite locale ralliées à Macron. Idem dans les Bouches-du-Rhône, dont le conseil départemental était dirigé par Martine Vassal élue LR elle aussi ralliée à la candidature d’Emmanuel Macron en 2022, et où « le déferlement RN se confirme » toujours selon Marianne puisque cinq de ses députés y sont élus. Dans la région, les seuls députés de droite classique réélus l’ont été sur une ligne d’opposition au macronisme, à l’instar de la « droite dure » incarnée par Eric Ciotti sur les questions d’immigration et de sécurité. Dans le Var, bastion des mobilisations contre le pass sanitaire, le RN rafle sept circonscriptions sur huit.

Enfin, le RN s’implante dans des territoires où il n’était que peu présent jusque-là. Comme en Nouvelle Aquitaine où il gagne six députés, ou en Normandie. Ainsi, les quatre circonscriptions de l’Eure gagnées par des députés macronistes en 2017 – dont Bruno Lemaire – ont été prises par le parti d’extrême-droite. Dans les communes de taille modeste, Gilles Ivaldi décrit « une troisième France du Rassemblement National » où « le parti mobilise ces électeurs sur les problèmes spécifiques de cette France périphérique, notamment sur le pouvoir d’achat ». Le chargé de recherche au CNRS conclut en observant « une corrélation assez nette entre les circonscriptions ayant un député RN et celles où les actifs prennent le plus leur voiture ».

Pour expliquer ce « vote sanction » contre Emmanuel Macron, Romaric Godin souligne dans Mediapart que « le gouvernement paie cher son refus de prendre l’inflation au sérieux ». Si force est de constater que la colère contre le projet macroniste néo-libéral et autoritaire est canalisé sur le terrain ultra-réactionnaire raciste et xénophobe de l’extrême-droite, c’est parce que « le Rassemblement national (RN) a pu jouer de son pseudo-positionnement social comme alternative à la passivité gouvernementale » alors même que son programme « ne traite nullement la question de fond de l’inflation ».

C’est ainsi que les candidats lepéniste ont réussi à remobiliser une part de leur base électorale qui en général se désintéresse des législatives, recueillant 45% des suffrages exprimés par des ouvriers au premier tour, et 25% par des employés (contre respectivement 18% et 31% pour la NUPES) selon Ipsos. Qui plus est, « comme l’essentiel de ses mesures repose sur des baisses d’impôts, la majorité présidentielle ne viendra pas le chercher sur ce plan », et le RN a pu jouir d’une relative bienveillance de la part des grands médias, contrairement à la NUPES dont le programme keynésien a été caricaturé par l’ex-patron des députés LREM, Christophe Castaner, comme un projet de « régulation soviétique où tout est interdit ou organisé ».

Vers une institutionnalisation accélérée du RN et une intégration au régime ?

Avec 89 députés, les tendances à l’institutionnalisation du RN, qui a déjà fait un saut dans la « technocratisation » de son discours lors du second tour de la présidentielle, vont s’accentuer comme jamais. En ce sens, face à la perspective de blocage institutionnel consécutive à l’absence de majorité absolue au parlement pour la coalition présidentielle, Marine Le Pen promettait le soir des résultats d’incarner « une opposition ferme mais responsable et toujours constructive ». Des déclarations dans la lignée des gages de « crédibilité économique » donnés au patronat, mais aussi à l’électorat de droite traditionnelle et retraité parfois rebuté par le discours national-populiste de la candidate RN. L’abandon de la sortie de l’euro dans le programme du RN, les rétropédalages de Marine Le Pen sur la retraite à 60 ans ou encore de son engagement répétés à mener les réformes néolibérales nécessaire pour rembourser la dette publique, relèvent de cette stratégie de « normalisation » du parti d’extrême-droite.

Dans la même veine, interrogé lundi par BFM TV sur la capacité du RN à diriger la commission des finances de l’assemblée, dont la présidence est par coutume dévolue au premier groupe d’opposition, Jordan Bardella a répondu qu’il y a au RN « pas un technicien, mais plusieurs ». Pour illustrer son propos, le président du RN pris l’exemple du nouveau député RN du Var, Philippe Lottiaux, décrit comme « quelqu’un qui connaît parfaitement l’administration, qui est énarque et qui pourra évidemment demain prendre des responsabilités ». Une manière là encore de donner des gages et de répondre aux critiques réitérées sur le manque de professionnalisme du parti d’extrême-droite pour gérer les affaires du patronat.

Au-delà des considérations tactiques qui poussent la macronie à une forme de bienveillance envers le RN afin de ménager leurs potentiels alliés de droite (LR) et diluer le poids de l’opposition NUPES à l’assemblée, s’appuyer sur le parti d’extrême-droite pour gouverner présente l’avantage pour la coalition présidentielle de profiter du vernis « social » du RN qui s’est installé dans une partie de l’opinion publique. Dans un contexte de crise de gouvernabilité de régime, la macronie même si elle est divisée à ce sujet, pourrait chercher à s’appuyer de manière ponctuelle sur le RN comme une manière de canaliser la défiance populaire vis-à-vis du macronisme. Une perspective à double tranchant puisqu’en actant sa normalisation totale, le macronisme sera considéré comme un agent de la banalisation du RN, et jouerait un rôle actif en tant que rampe de lancement du RN pour la présidentielle 2027.

Quelle leçon tirer de la percée de l’extrême-droite ?

De son côté, la NUPES de Jean-Luc Mélenchon qui faisait le pari d’être le rempart au RN et de ramener aux urnes les abstentionnistes (62% chez les ouvriers et 65% chez les employés selon Ipsos), s’est avérée « incapable de remobiliser un électorat qui aurait pourtant dû être plus captif » note Stéphane Alliès dans Mediapart, qui constate que « la dynamique d’union de la gauche n’a pas emballé les citoyens français au-delà du socle électoral riquiqui de gauches pas encore remises de la fractures ouverte par la trahison du pouvoir de François Hollande ». Concrètement la NUPES échoue à convaincre d’importants secteurs de notre classe séduits par le RN, et ne parvient pas à mobiliser l’électorat populaire abstentionniste. Si le journaliste explique que « le succès du RN [montre que] la conquête méthodique et l’implantation durable sont les meilleures recettes du succès électoral », l’absence « des cadres organisationnels » et « d’un nouveau parti […] aux formes délibératives et aux procédures internes adaptées au XXIème siècle » ne suffit toutefois pas à expliquer l’échec de cette nouvelle coalition des partis de gauche.

En réalité, la nouvelle NUPES, qui a intégré et réhabilité les pires responsables des trahisons passées comme le PS de François Hollande, premiers responsables de la montée de l’extrême-droite, n’avait de facto aucune chance de convaincre la part de travailleurs qui votent pour le RN. Il n’a pas non plus convaincu les abstentionnistes ni même une petite partie de ceux qu’il avait pourtant réussi à mobiliser aux présidentielles dans les quartiers populaires. Voulant reconstruire une nouvelle gauche de gouvernement, loyale aux institutions, qui s’inscrit dans l’héritage de l’Union de la gauche de 1981-84 et de la Gauche plurielle de 1997-2002, le projet de la NUPES s’inscrit en décalage avec la colère de secteurs des classes populaires qui sont la cible électorale du RN, notamment dans les villes désindustrialisées et les secteurs ruraux.

Des limites de la NUPES que pointe notamment François Ruffin dans une interview publiée par Le Monde, mais qu’il cherche à résoudre de manière réactionnaire. Le député de la Somme s’est par exemple délimité des déclarations certes minimales mais correctes de Mélenchon sur « la police [qui] tue », dans l’objectif de réhabiliter l’institution policière qu’il s’agirait de ne surtout pas critiquer pour ne pas « heurter » l’électorat du RN. Un débat tactique entre le populisme de gauche de François Ruffin et la perspective d’union de la gauche dans laquelle s’est inscrit Jean-Luc Mélenchon dans la dernière séquence, qui reste toutefois enfermé dans les limites de la stratégie institutionnelle de « par les urnes » qu’ils partagent.

Pour mener la bataille contre le RN et des idées d’extrême-droite qu’il instille dans le monde du travail, il s’agit à rebours de ces considérations électoralistes de construire la riposte sur le terrain de la lutte des classes, face à l’offensive antisociale et autoritaire. A commencer par la question de l’inflation et de la vie chère, face à laquelle les directions syndicales et politiques du mouvement ouvrier restent pour l’heure l’arme au pied, alors qu’il s’agirait de construire un plan de bataille en cherchant à coordonner à la base et à étendre autour de revendications pour l’augmentation générale des salaires les luttes existantes à Roissy, chez Total ou encore à la SNCF. Pour empêcher l’extrême-droite de capitaliser sur la colère sociale, cela passera par non seulement commencer à répondre aux attaques visant les travailleurs, mais aussi par l’obtention de victoires sur le terrain déterminant pour la constitution du rapport de force, celui de la lutte de classes.

A l’inverse de la perspective parlementaire qui cherche à canaliser la colère sur le terrain institutionnel, il est urgent de construire une gauche révolutionnaire à l’offensive capable d’intervenir dans les luttes à venir et de bâtir un front de résistances contre Macron et l’extrême-droite. Un outil qui cherche à lier la lutte contre les attaques antisociales en cours et à venir, avec la lutte contre le racisme d’État, les violences policières et toutes les formes d’oppression, qui défende la régularisation de tous les sans-papiers et la solidarité internationaliste entre les travailleurs dans la perspective d’unifier notre camp social.

 
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