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La Izquierda Diario
13 de mai de 2022 Twitter Faceboock

Course à la militarisation
Ukraine. Le Congrès américain en passe de débloquer 40 milliards, l’industrie de l’armement applaudit
Wolfgang Mandelbaum

La Chambre des représentants des États-Unis a voté une aide de 40 milliards de dollars pour l’Ukraine, soit 7 milliards de plus que le montant demandé par Joe Biden. Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Le gros du pactole se décline évidemment en livraisons d’armement et en commandes à des fabricants d’armes.

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Crédit photo : Daniel SLIM/AFP

40 milliards de dollars. Auxquels s’ajoutent les près de 14 milliards déjà envoyés depuis le début de la guerre Russo-Ukrainienne. À titre de comparaison, le budget annuel alloué à la guerre en Afghanistan était de 45 milliards de dollars. Le vote, qui doit encore être entériné par le sénat, illustre la volonté bipartisane de la classe politique étatsunienne de faire un saut dans son soutien à la guerre sur le très long terme, avec pour objectif premier l’affaiblissement de l’économie russe. Il permet également de rebooster son complexe militaro-industriel, qui tourne au ralenti suite au vide créé par la fin de la guerre en Afghanistan.

Les Représentants Démocrates ont à l’unanimité voté ce nouveau paquet d’aides, tout en l’agrémentant pour se délimiter des Républicains d’une aide dite humanitaire qui servira surtout à chercher à maintenir une stabilité dans une région dévastée mais surtout à préparer ses pions pour les futurs marchés à venir. Cette aide « humanitaire » est largement destinée à l’industrie agro-alimentaire ukrainienne dont dépendent de nombreux pays d’Asie et d’Afrique du Nord, et à subvenir aux manques à venir dans les pays importateurs. Une aide qui n’a d’« humanitaire » que le label, et qui sert surtout à cautionner les milliards données à l’armements.

Régénérer l’industrie de l’armement

La perte du marché de l’Afghanistan à été un coup dur pour les marchands d’armes étasuniens, en premier lieu pour les géants Raytheon et Lockheed Martin. Ce nouveau conflit est donc une aubaine pour cette industrie et ses lobbies, qui ont depuis le début de la guerre à maintes reprises exprimé leur soutien envers le peuple ukrainien et la nécessité de lui fournir l’équipement nécessaire à sa propre défense. Les atermoiements de l’industrie de l’armement concernant des stocks d’armes insuffisants et le besoin de fonds pour les renouveler a payé : en plus des commandes destinées à l’Ukraine, les fabricants d’armes vont directement profiter de cette « aide à l’Ukraine », puisqu’une partie conséquente de celle-ci ($9 milliards) est destinée à renouveler leurs stocks. Sans doute le budget de la défense américain, qui se rapproche du trilliard de dollars annuel, n’est-il pas assez généreux pour les pourvoyeurs d’armes et le secteur privé de l’armement, puisque seule la moitié de ce budget leur est allouée.

Biden, qui a visité il y a quelques jours une usine de fabrication de Javelin de Lockheed Martin en Alabama, les a présenté comme des parangons de la défense de la liberté des Ukrainiens, en appuyant sur le fait que cette guerre est tout-bénéfice pour les USA, puisqu’aucun soldat américain n’a à mourir dans une énième guerre, dans une contexte de méfiance des Américains après deux décennies de guerre lourdes en pertes militaires.

Une aubaine pour l’impérialisme étasunien

Les cris d’orfraie poussés par la classe politique vis-à-vis des souffrances endurées par les Ukrainiens cachent une cynique euphorie : en plus de créer des opportunités économiques, la guerre d’oppression de la Russie sur l’Ukraine est un parfait exutoire des volontés à résoudre en partie la crise de l’hégémonie américaine qui s’est dernièrement illustrée par la catastrophe en Afghanistan. Une crise qui s’illustre par le changement de stratégie : le moment de la guerre contre le terrorisme, qui a marqué les 20 dernières années, et la volonté des États-Unis d’assoir leur influence sur le proche- et Moyen-Orient et leurs productions pétrolières, touche à sa fin. Depuis quelques années s’opère un déplacement dans leur stratégie, et le terrain sino-russe, devenant le principal point d’attention des Etats-Unis. . De ce point de vue, la guerre en Ukraine représente ainsi une opportunité inespérée pour les États-Unis d’affaiblir une Russie qui est déjà en difficulté face une guerre bien plus difficile que prévue.

C’est ainsi qu’il faut voir cette nouvelle aide à l’Ukraine : non pas comme un altruisme ou un réel souhait de venir en aide à un peuple injustement agressé, mais bien plutôt comme la confirmation que le terrain ukrainien est un enjeu stratégique majeur pour les USA dans sa volonté d’affaiblir à tout prix la Russie. À peu de coûts 一 humains, financiers, et sans grand risque d’écorcher leur image 一, les États-Unis sont en position d’infliger un revers majeur à leur adversaire, ce qui explique la prodigalité du congrès.

Aux divers paquets d’aides des États-Unis, militaires ou non 一 au total plus de 50 milliards de dollars 一 s’ajoutent bien entendu ceux des pays européens qui, s’ils ont également d’autres raisons d’affaiblir la Russie (notamment l’impératif plus ou moins justifié de maintenir leur intégrité territoriale), expriment désormais des divergences quant à la durée de cette guerre. Sans jamais franchir la ligne rouge des no-fly zones, l’UE et les pays d’Europe ont déboursé sans compter dans leurs livraisons de matériel militaire, au point où l’Allemagne, historiquement réticente à fournir des armes à des belligérants dans des zones de conflit, a opéré un changement majeur dans sa stratégie et est désormais un des principaux pays exportateur d’armes en Ukraine. Pour autant, des dissensions commencent à fissurer le front occidental, entre les Etats-Unis d’un côté, l’Europe de l’autre. En un sens, le fait que l’Europe porte la majorité du coût économique et politique de la guerre sans compter les risques pour la paix sociale notamment pour l’Allemagne. De la sorte, Macron affirmait notamment qu’il fallait éviter "d’humilier" les Russes.

Si la situation actuelle est riche en opportunités pour l’impérialisme étasunien, ce n’est encore rien face aux possibilités qu’offrira l’après-guerre. Car en effet, nombreux sont ceux qui, tels des vautours, cherchent déjà des manières de tirer profit de ce que sera l’Ukraine au lendemain de la guerre. Un pays dévasté et affaibli sur tous les plans présentera une possibilité d’ingérence accrue dans la politique de l’Ukraine 一 possiblement même jusqu’à aspirer complètement le pays dans la sphère d’influence de l’OTAN.

Cynthia Cook, du Center for Strategic and International Studies, dans un mémorandum sur la reconstruction de l’Ukraine, souligne bien la nécessité pour les pays occidentaux de tirer partie des opportunités que présenteront la reconstruction du pays, notamment par un envoi massifs de fonds comparable au plan Marshall, un « objectif stratégique » dans une démonstration de force de l’unité occidentale face à ses adversaires. Une double chance donc : pour les Etats-Unis, faire de l’Ukraine un nouveau terrain pour unifier le bloc occidental, derrière lui, et regagner une hégémonie en déclin, mais aussi une chance économique, puisque cette aide financière se matérialisera sans nul doute par des chantiers offerts aux investisseurs américains et européens, comme ça a été le cas après d’autres guerres, notamment en Irak. Le montant de l’aide accordée par le congrès, quoique conséquent, n’est donc rien face aux retombées économiques et stratégiques positives qu’engendrera l’après-guerre.

 
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