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30 de mars de 2022 Twitter Faceboock

A propos du "vote utile" pour Mélenchon
« On s’en mêle » : Mélenchon et l’UP, une perspective pour l’antiracisme et les quartiers populaires ?
Anasse Kazib
Paul Morao
Gabriel Ichen

Dans une récente tribune, 120 militants de l’antiracisme et des quartiers populaires appellent à voter pour Jean-Luc Mélenchon en 2022 mais aussi à prendre part aux recompositions politiques à venir. Leur appel soulève des débats stratégiques importants et nous avons voulu y répondre.

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Crédits photo : O Phil des Contrastes - Rassemblement contre les violences policières et le racisme à l’appel du Comité Adama le 3 juin 2020

« On s’en mêle » : un appel à voter Mélenchon face à la « ratonnade politico-médiatique en bande organisée »

La semaine dernière paraissait « On s’en mêle », une tribune d’appel au vote pour Jean-Luc Mélenchon de la part de militantes et militants historiques des quartiers populaires, parmi lesquels des figures de la Marche pour l’égalité de 83, du MIB ou encore du MTA. Dans leur texte, ces derniers partent du constat de la « situation dramatique » dans laquelle se trouvent aujourd’hui les quartiers populaires et leurs habitants, et pointent une campagne électorale « devenue un terrain de chasse à l’Arabe, au Noir, au musulman, à l’immigré qu’il faudrait réduire drastiquement comme s’il s’agissait de gibiers qui colonisent la forêt ».

Revendiquant la riche histoire politique du mouvement antiraciste et des luttes de l’immigration et des quartiers populaires - « des luttes ouvrières pour la dignité » aux « révoltes des quartiers populaires » en passant par « la campagne Justice et dignité pour les Chibanis », les « luttes des femmes de chambre », « la lutte contre l’islamophobie » ou celle du « Comité Adama » - les signataires soulignent l’enjeu de se « faire entendre » dans l’élection présidentielle et la séquence politique à venir.

Pour cela, ils expliquent avoir « décidé de [s’] engager dans la campagne présidentielle en appelant à voter pour le candidat de l’Union Populaire, Jean-Luc Mélenchon ». Une déclaration qui est une première, et qui semble aller plus loin qu’un simple appel au vote. La déclaration évoque ainsi « la recomposition de la scène politique » à venir après la présidentielle tandis que, dans une interview au Bondy Blog, Zouina Meddour, signataire ayant rejoint l’Union Populaire explique : « le pari que l’on fait, et la France Insoumise est d’accord, c’est que l’on essaye de construire quelque chose ensemble ».

Cette volonté de tenter le « tout pour le tout » face à la gravité de la situation soulève de notre point de vue des questions profondes sur lesquelles nous souhaiterions ouvrir un débat fraternel.

Quartiers populaires : une offensive du régime mais une situation contradictoire

Le point de départ de l’appel « On s’en mêle » réside dans une série de constats sur la situation actuelle. C’est en effet parce que « la situation est dramatique » que les acteurs disent avoir décidé de franchir un pas inédit. De fait, le tournant autoritaire et islamophobe évoqué dans la tribune et visant particulièrement les quartiers populaires est indéniable. La surenchère raciste a été constante ces dernières années, avec une nouvelle étape franchie pendant la deuxième moitié du quinquennat Macron.

A partir de l’été 2020, celui-ci a notamment été marqué par une offensive sécuritaire « antidrogues » ainsi que par la mise en place de la loi « Séparatisme », accompagnée de multiples fermetures autoritaires de lieux de culte musulmans et de dissolutions d’organisations, du CCIF à Baraka City en passant par le Collectif Palestine Vaincra. Dans le même temps, la loi « Sécurité globale », qui visait à renforcer l’appareil policier et museler la lutte contre les violences policières, a été votée, de même que de multiples cadeaux aux syndicats de police. Cette politique a activement participé à installer l’ambiance réactionnaire actuelle de la campagne présidentielle, favorisant une surenchère raciste dont Éric Zemmour est le « nouveau » visage.

Pourtant, s’arrêter à ce constat, comme tendent à le faire les signataires de la tribune, est un peu court. En effet, la montée de l’extrême-droite et des offensives islamophobes et sécuritaires au cours du quinquennat Macron ne peut être déconnectée de la puissante poussée de la lutte des classes des dernières années, à laquelle ont largement participé le mouvement antiraciste et les quartiers populaires. Depuis cinq ans, le pouvoir a dû faire face à des mobilisations historiques de la classe ouvrière, des classes populaires et de la jeunesse : mouvement des Gilets jaunes, grève des cheminots de la SNCF, marches pour le climat, manifestations contre les violences patriarcales, grève contre la réforme des retraites...

Du côté de la lutte antiraciste, deux mobilisations ont représenté des tournants majeurs : la Marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 qui a rassemblé plus de 80.000 personnes à Paris et les deux appels du comité Adama, le 2 et 13 juin 2020, après la mort de George Floyd. Ceux-ci ont rassemblé devant le TGI de Paris et place de la République, en tout près de 150.000 personnes contre le racisme d’État et les violences policières.

Ces évènements sont quantitativement les plus importants du mouvement antiraciste en France depuis la Marche pour l’égalité de 1983. Ils ont rassemblé de nombreux jeunes racisés des quartiers populaires et des jeunes blancs des centres urbains qui se sont mobilisés contre les violences policières et le racisme. Dans le même temps, dans le sillage du mouvement des Gilets jaunes, la notion de « violences policières » s’est popularisée très largement, reflétant une sensibilisation croissante à des thématiques portées depuis des années par le mouvement antiraciste et les militants des quartiers populaires [1].
C’est face à ces tendances profondes que Macron a progressivement durci sa répression et sa politique, jusqu’à nommer Gérald Darmanin à l’Intérieur en juillet 2020 avec les suites que l’on connaît. La séquence autoritaire ouverte par en haut ne peut donc faire l’objet d’une analyse unilatérale. Elle est à la fois une réponse aux dynamiques de lutte de classe, comme le très subversif mouvement de révolte des Gilets jaunes, et a aussi un caractère préventif, les classes dominantes préparant leurs troupes à de futurs grands mouvements sociaux.

Dans ce cadre, la question qui se pose est de savoir quelle politique est la mieux à même d’offrir des perspectives et de réactiver les acquis du mouvement antiraciste ces dernières années pour faire face au quinquennat à venir. Or, de ce point de vue, le « tout pour le tout » électoral en faveur de Mélenchon nous semble un pari erroné.

Le « vote utile » face aux potentialités du mouvement antiraciste et des quartiers populaires dans la période

La démarche commune portée par les signataires de « On s’en mêle » consiste à appeler à voter Mélenchon au premier tour de la présidentielle, avec comme débouché le plus probable de se fondre dans le projet institutionnel de la France Insoumise. Ce choix, fait au nom de la logique du « moindre mal » ne nous semble ni à la hauteur de la gravité de la situation, ni à la hauteur des potentialités du mouvement antiraciste et des quartiers populaires.

D’abord, face à la gravité de la situation décrite par les signataires, l’appel au « vote utile » semble bien limité. Il faut le dire, les probabilités que Jean-Luc Mélenchon soit élu sont aujourd’hui très faibles. En effet, si une importante radicalité des luttes s’est exprimée ces dernières années, elles n’ont pour l’heure pas de traduction sur le terrain politique. Cela est lié à l’offensive du pouvoir, mais c’est aussi le résultat de la politique de la gauche institutionnelle, et notamment LFI, qui, loin d’œuvrer à construire un mouvement d’ensemble faisant converger l’ensemble de ces luttes vers une grève générale et un soulèvement populaire qui remette en cause le pouvoir, cherche à faire « économiser les grèves et les manifestations » pour leur donner un débouché électoral.

Les militants des quartiers populaires sont bien placés pour le savoir : l’héritage des trahisons du Parti Socialiste, auquel Mélenchon a appartenu pendant 32 ans et dont il continue de revendiquer la figure de François Mitterrand, pèse également très lourd. Le « tout pour le tout » électoral paraît donc non seulement risqué mais contreproductif. Surtout que la démarche ne s’arrête pas à la présidentielle : toutes les perspectives posées par les signataires sont inscrites uniquement dans cette même logique institutionnelle.

Après avoir expliqué la volonté de « construire quelque chose » avec La France Insoumise, Zouina Meddour explique ainsi : « on leur a parlé par exemple du choix des candidats aux législatives. On considère qu’à un moment donné faire avec les gens des quartiers, c’est leur donner une place, c’est-à-dire avoir des candidatures qui représentent plus la population dans son ensemble. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, on est critiques par rapport à ça. » Ce centre de gravité très institutionnel s’est retrouvé lors de la rencontre organisée par les signataires de la tribune à Montpellier le week-end dernier. Alors que des dizaines de militants de quartiers populaires étaient réunis, la principale question à l’ordre du jour était le lien avec la FI et les perspectives d’une telle alliance, notamment sur un terrain électoral.

Rencontres "On s’en mêle" à Montpellier - Twitter @Onsenmele2022

S’il est réélu (ce qui est malheureusement probable), Macron a pendant ce temps déjà promis des attaques anti-sociales historiques et un doublement du nombre de policiers sur le terrain. Face à cette situation imminente, chercher à répondre à la situation à travers un prisme uniquement électoral tend à désarmer les militantes et militants.

L’urgence devrait à l’inverse être de tirer les bilans de ce qui a fait la force du mouvement antiraciste depuis cinq ans pour préparer les luttes à venir. Comme nous l’avons mentionné, c’est dans la rue, par le rapport de forces, et en toute indépendance des institutions et partis du régime, que le mouvement antiraciste a réussi à se faire entendre et imposer ses thématiques. L’intervention des quartiers populaires ne se limite d’ailleurs pas à ça, puisqu’ils ont pris part au mouvement des Gilets jaunes notamment via le Pôle Saint-Lazare impulsé par les cheminots de l’Intergares et le comité Adama et étaient au cœur de grèves importantes comme celles du nettoyage ou contre la réforme des retraites dans les transports, qui a mis un coup d’arrêt à l’une des réformes centrales de Macron [2].

A rebours de ces acquis, se contenter d’un appel au vote à la présidentielle et d’une demande de « représentation » à de prochaines élections, conduit en dernière instance à proposer une canalisation institutionnelle du mouvement antiraciste. Cela correspond bien au projet de la France Insoumise qui assume cette logique « par en haut » et ne propose à aucun moment de participer à la construction d’un rapport de force par l’organisation et la coordination des différents secteurs qui sont entrés en lutte ces dernières années. Mais cela ne peut qu’apparaître en décalage avec la radicalité qui existe « par en bas », qui s’est manifestée pendant le quinquennat, et qui sera décisive pour combattre le prochain gouvernement et une extrême-droite violente qui ne disparaîtra pas après les élections.

L’antiracisme et les quartiers populaires sont-ils solubles dans le « républicanisme » de LFI ?

Cet appel au vote et la perspective de se lier organiquement à un projet de gauche institutionnelle interroge également au regard du projet porté par la France Insoumise. Oui, Jean-Luc Mélenchon fait partie des seules figures de la gauche institutionnelle à avoir parfois pris position à contre-courant de la droitisation ambiante, comme dans le cadre de la Marche contre l’islamophobie en 2019 ou de la manifestation sécuritaire des syndicats de policiers de 2021.

Mais si ces positions font de son projet le « moins pire » de celui des candidats les mieux placés, elles sont malgré tout très loin d’être à la hauteur des questions portées par le mouvement antiraciste. L’opposition des insoumis à l’offensive sécuritaire et islamophobe s’en est en effet tenue au « minimum » syndical et n’a pas été exempte d’ambigüités.

Trois exemples sont particulièrement parlants. En 2020 suite à l’assassinat de Samuel Paty, Mélenchon se rangeait derrière l’union nationale avec Macron et tenait des propos ouvertement racistes contre la communauté tchétchène. Courant 2021, alors que la majorité LREM présentait sa loi séparatisme, le groupe parlementaire de la France Insoumise a voté près de 40% des articles de cette loi après l’avoir qualifié de « inutile et dangereuse ». En mai 2021 lors de la manifestation appelée par des syndicats de police d’extrême-droite à laquelle l’ensemble de la gauche institutionnelle s’était rendue sauf Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens avait dans un premier temps regretté que LFI ne puisse s’y rendre à cause des « conditions de sécurité » alors qu’elle y avait « toute sa place », avant de revenir sur cette position.

On pourrait citer beaucoup d’autres exemples récents, comme le fait que Jean-Luc Mélenchon ne se soit jamais prononcé sur la dissolution du CCIF, fait majeur des deux dernières années sur le terrain autoritaire et islamophobe. Ces exemples dénotent en tout cas, a minima, d’une perméabilité aux pressions réactionnaires du régime. Or, celle-ci est indissociable du projet institutionnel de l’Union Populaire et de sa volonté de respecter les « règles du jeu ».

Toujours dans le Bondy Blog, Zouina Meddour évoque pourtant un programme qui « donne envie » tout en expliquant qu’il y’a « encore des choses à affiner ». Or, sur les questions qui touchent au racisme, aux quartiers populaires et à la police, le programme et le projet de l’Union Populaire demeurent profondément ancrés dans un logiciel incapable de penser des questions aussi centrales que le racisme d’État ou l’impérialisme. Les propositions politiques de Mélenchon et de l’Union Populaire sont en effet bien plus « républicaines » qu’antiracistes ou anti-impérialistes. Cette question n’est pas abstraite car elle détermine les limites profondes de ce projet politique, plus favorable au statu quo qu’aux avancées radicales qu’exigerait une réponse aux problématiques des quartiers populaires.

Parmi ces limites, il paraît impossible de dessiner un projet politique antiraciste conséquent sans la mise en cause du caractère colonial de la République française dans le cadre d‘un projet anti-impérialiste. Celui-ci est d’une actualité toujours frappante quand on voit l’intensité des liens de domination politique, militaire et économique qui lient l’Afrique à la France, et surdétermine le traitement des populations issus de l’immigration. Or Mélenchon a toujours revendiqué la « République » et n’a jamais freiné ses élans patriotiques et parfois chauvins.

En ce qui concerne les interventions militaires impérialistes de la France, il s’était montré par exemple favorable à l’intervention en Libye sous Sarkozy, avec les conséquences que l’on connait aujourd’hui en termes de déstabilisation du Moyen-Orient et du Sahel, et de dégâts pour les populations locales. Ce dernier revendique dans le même sens la puissance maritime de la France, pourtant basée sur la possession de territoires colonisés, les mal-nommés « territoires d’outre-mer » qui, on l’a vu récemment en Guadeloupe, subissent durement la gestion coloniale de l’État français. Loin de vouloir remettre en cause cet état de fait, la France Insoumise aspire bien à le faire perdurer en ne donnant aucune place au droit à l’autodétermination des peuples dans son programme.

Sur le terrain antiraciste, Mélenchon propose un républicanisme amendé, incarné récemment dans le concept de « créolisation », qui prétend « résoudre » la question du racisme par l’idée de la formation spontanée d’une identité nouvelle, née de la « rencontre » de différentes cultures. Ce concept au fond assez creux pose problème car il euphémise l’histoire brutale de la colonisation et la réalité actuelle du racisme et des rapports coloniaux en France, en promettant une sorte de réconciliation harmonieuse plutôt que d’affronter la question du racisme systémique. Dans le même sens, malgré le caractère central de cette question, à aucun moment l’Avenir en commun ne pose la question de la lutte contre l’« islamophobie », le terme lui-même étant introuvable dans le programme.

Ces fondements problématiques se retrouvent dans tous les aspects du programme. C’est le cas notamment de cette idée centrale pour Jean-Luc Mélenchon de « réformer la police de la cave au grenier ». Masquant le caractère intrinsèquement répressif et raciste de cette institution et son rôle social de domination, celle-ci ne fait que recycler des illusions sur la bonne « police républicaine » et la « police de proximité » [3].

On peut ne pas partager tous ces éléments, mais ils montrent à quel point un appel au vote antiraciste pour Jean-Luc Mélenchon pose problème. Un problème qui n’est que démultiplié quand celui-ci ouvre la voie à une adhésion dans la durée au projet de l’Union Populaire qui serait une réelle impasse pour le mouvement antiraciste.

« Tout pour le tout » électoral ou « bloc de résistances » dans la lutte

Dans le texte d’appel au vote, les militants du réseau « On s’en mêle » notent que « quelle que soit l’issue des élections nous participerons à la recomposition de la scène politique car sans la prise en compte des acteurs et actrices politiques des quartiers celle-ci fera pschitt… ». Cette volonté est évidemment légitime. Mais là encore, envisagée uniquement sur le terrain institutionnel et du point de vue des marchandages électoraux, les combats portés par les militants antiracistes risquent fort d’être bradés.

Sur ce point, il faut noter que la recomposition que l’Union Populaire appelle de ses vœux vise d’abord à s’unir avec des secteurs de la gauche institutionnelle situés… sur sa « droite ». En ce sens, LFI a d’ores et déjà proposé à EELV, dont le candidat Yannick Jadot a participé à la manifestation des syndicats de police et refusé de participer à la marche contre l’islamophobie, une alliance pour les législatives...

Plus largement, la recomposition d’une gauche de gouvernement, sur des bases plus larges que celles de la France Insoumise, pourrait aller de pair avec des alliances avec d’autres forces, y compris le PS. Les élections régionales ont montré que celles-ci étaient acceptables pour LFI, et Razmig Keucheyan, universitaire et intellectuel membre du Parlement de l’Union Populaire assume dans Mediapart : « Si le PUP devient vraiment important, une reconstruction des gauches, y compris avec un secteur de gauche modérée, est possible. Ce serait fantastique, et c’est une expérience qui se joue maintenant ».

A l’inverse de ces tractations d’appareil, une des forces du mouvement antiraciste ces dernières années a été de réussir à construire des rapports de forces tout en conservant une indépendance vis-à-vis du régime, sur la base du lourd bilan de l’opération SOS Racisme. Lors des mobilisations de l’été 2020, le gouvernement tentait ainsi de calmer la colère en proposant une entrevue au comité Adama qui refusa. « Nous ne laisserons pas se reproduire 83 » expliquait alors Youcef Brakni, tandis que Assa Traoré répondait au gouvernement : « on ne demande pas à ce que les discussions se fassent dans un salon de thé à l’Elysée, on demande que les actes judiciaires soient faits et que les gendarmes soient mis en examen ».

Ce refus de la récupération et de la cooptation par la gauche institutionnelle et l’État est un acquis de toute une partie du mouvement antiraciste qu’il faut revendiquer et défendre. Sacrifier cette indépendance risque de désarmer les luttes à venir, de pousser à mettre les désaccords de fonds sous le tapis au nom du pari sur des victoires institutionnelles et ainsi d’étouffer les potentialités du mouvement antiraciste.

A l’inverse du « tout pour le tout » électoral et des recompositions à coup de marchandage de places, nous croyons en la nécessité de construire un bloc de résistances, un front des organisations en lutte – syndicales, antiracistes, féministes, écologistes, antifascistes… - pour structurer une intervention commune dans le quinquennat à venir. Cette logique a existé en germe tout au long du quinquennat : dans le mouvement des Gilets jaunes au travers du « Pôle Saint-Lazare » ; dans la Pride Radicale liant secteurs LGBT, antiracistes et féministes ; dans les alliances nouées entre mouvement écologiste, mouvement antiraciste et mouvement ouvrier, des Marches pour le Climat à la grève de Grandpuits.

Un tel bloc serait décisif pour développer des mobilisations par en bas, défendre leur auto-organisation. Il permettrait de lier le combat antiraciste à une nouvelle génération ouvrière, issue en partie de l’immigration et porteuse d’une radicalité loin de la routine des bureaucrates syndicaux, et à toute une génération de jeunes qui aspirent à un autre monde, débarrassé du racisme et qui ne soit plus en proie à la dévastation écologique.

Ce bloc serait par ailleurs un outil pour aller vers un autre type de recomposition politique, radicalement différent de la construction d’une machine de guerre électorale à laquelle aspire l’Union Populaire, comme Podemos et Syriza avant elle. En effet, de notre point de vue, nous avons besoin d’une nouvelle gauche révolutionnaire, anti-raciste, féministe, écologiste, anti-impérialiste. Un projet militant, ancré dans les luttes, les entreprises et les quartiers populaires et intransigeant politiquement. Capable de défendre la liberté de circulation et d’installation, le droit de vote des étrangers, et de s’opposer à toutes les mesures autoritaires du gouvernement, des lois racistes aux dissolutions d’organisations. Capable de porter un programme social à la hauteur pour en finir avec la misère et le chômage de masse, en s’en prenant pour cela aux milliards détenus par le patronat.

Des collectifs de familles au meeting Anasse Kazib 2022 en octobre 2021

C’est autour de cette idée que nous avons mené la campagne Anasse Kazib 2022. Celle-ci a reçu un écho intéressant, notamment dans les quartiers populaires, autour d’un programme révolutionnaire. Nombre de militants antiracistes et de collectifs de familles de victimes de violences policières ont apporté soutien et solidarité à cette démarche. Si cette candidature n’a pu aboutir du fait des fortes pressions du régime et son invisibilisation médiatique - raison pour laquelle nous appelons à voter le 10 avril prochain pour une des deux candidatures d’extrême-gauche malgré toutes leurs limites -, elle a constitué le premier jalon d’une future organisation qui place résolument son centre de gravité sur le terrain de la lutte de classes et de l’auto-organisation des travailleurs, de la jeunesse et des quartiers populaires. Une future organisation à l’image de notre classe, qui puisse rompre avec des années de divorce entre les organisations révolutionnaires et les quartiers populaires et incarner une alternative à la cooptation par une « gauche utile », qui risque d’être le seul débouché des appels actuels au « vote utile ».

Notes :

[1] Suite à ces mobilisations, Christophe Castaner a d’ailleurs parlé de sa volonté d’interdire la clé d’étranglement, avant de finir par reculer face aux manifestations des syndicats de policiers.

[2] À l’époque, pour disqualifier le mouvement, le pouvoir avait d’ailleurs multiplié les attaques racistes et islamophobes dans les médias, parlant de grévistes « homophobes » et allant aussi jusqu’à expliquer que les grévistes se permettaient de « gâcher Noël » car ils étaient « majoritairement musulmans ».

[3] Loin d’être une innovation, la police de proximité a déjà existé par le passé avant d’être supprimée par Sarkozy en 2003. Celle-ci a toujours joué un rôle répressif, en participant au harcèlement quotidien des jeunes de quartiers, en complémentarité totale avec la mission de la police. Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales indépendant spécialisé sur la question des violences policières et auteur de plusieurs ouvrages sur la question rappelle : « Il y a dans l’histoire beaucoup d’exemples de « polices de proximité ». Ce sont des dispositifs d’occupation des territoires populaires, de contrôle local et intime des classes pauvres. C’est encore une fiction de croire que ce serait la gentille police avec qui on joue au foot. Ces polices ont pour objectif de pénétrer la vie quotidienne de tout le monde dans un quartier. Ces dispositifs servent à alimenter les tribunaux en comparution immédiate, et donc les prisons (…). »

 
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