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La Izquierda Diario
13 de janvier de 2022 Twitter Faceboock

L’hypocrisie des laquais
Sanctions de la CEDEAO contre le Mali, une mesure pro-impérialiste et contre le peuple malien
Philippe Alcoy

Il s’agit d’une offensive très dure de l’organisation régionale qui vise à faire céder la junte militaire malienne. Mais elle est très risquée une partie de la population, se sentant humiliée, pourrait soutenir les militaires.

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Dimanche 9 janvier dernier la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont décidé d’imposer de dures sanctions à l’égard du Mali suite au plan des militaires de prolonger la période dite de transition durant cinq ans. Une très mauvaise manœuvre de la part de la junte malienne, totalement en dehors du rapport de forces réel vis-à-vis de la puissance impérialiste de tutelle, la France, avec qui les relations sont plus que dégradées depuis au moins un an et demi.

Dans ce contexte, la CEDEAO (véritable courroie de transmission de la politique de l’impérialisme français dans la région) n’avait pas trop de choix que de répondre de façon brutale, tentant l’option de la pression maximale. Ainsi, parmi les sanctions adoptées dimanche dernier on retrouve le gel des avoirs de l’Etat malien à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Mali, le rappel des ambassadeurs, et la suspension des transactions commerciales et financières avec le pays à l’exception des produits alimentaires, pharmaceutiques et pétroliers.

Le dernier précédent d’une telle décision remonte à la crise électorale ivoirienne en 2010-2011 quand la CEDEAO a imposé des sanctions au gouvernement de Laurent Gbagbo qui assurait être le vainqueur d’une élection présidentielle controversée face à l’actuel président Alassane Ouattara. Ces sanctions n’avaient été à l’époque que le précédent avant l’intervention militaire française dans le pays épaulant les groupes armés pro-Ouattara, ce qui a débouché sur le renversement et l’emprisonnement de Gbagbo.

Aujourd’hui l’objectif est clairement d’asphyxier l’économie malienne, créant une situation intenable pour la population, potentiellement des explosions sociales contre les militaires les forçant à accepter les conditions imposées par la France et ses alliés en termes de passation du pouvoir aux « civils ».

En effet, le gouvernement français et la junte militaire malienne sont en froid depuis que ces derniers ont mené deux coups d’Etat en quelques mois, visiblement sans le consentement de Paris. Des divergences entre le gouvernement malien et la France concernant la stratégie à adopter dans la lutte contre les organisations islamistes au nord et dans le centre du pays se faisaient entendre de plus en plus fort : les maliens souhaitant négocier avec certaines organisations islamistes et Paris rejetant obstinément cette option. Ensuite, Macron annonçait une réorganisation de l’opération Barkhane, que les autorités maliennes ont interprété comme un retrait progressif qui ne disait pas son nom, un « abandon en plein vol ». Puis il y a eu toute la polémique autour d’un déploiement des mercenaires russes du Wagner Group dans le pays pour compenser le « retrait français ». Déploiement finalement concrétisé en décembre dernier.

Dans ce contexte le calendrier des élections était devenu un enjeu important pour la France, un moyen d’accentuer la pression sur les militaires maliens. Or, après le dernier coup d’Etat en mai 2021 le calendrier électoral déterminé par les militaires maliens eux-mêmes semblait de moins en moins crédible. Un report des élections était inévitable. Le gouvernement français savait très bien que ces élections n’auraient pas lieu. Et même dans le cas où elles auraient eu lieu, difficilement en serait sorti un gouvernement plus favorable à Paris. Mais, l’impérialisme français sait très bien utiliser la démagogie démocratique afin d’atteindre ses objectifs.

Les sanctions de la CEDEAO constituent ainsi un mécanisme favorisant clairement la politique de l’impérialisme français. Une politique hypocrite menée en outre par des dirigeants dont une partie est au pouvoir grâce au soutien de Paris. En effet, alors que la CEDEAO feint de défendre la « démocratie » au Mali, dans un contexte de multiplication de coups d’Etat et de « coups institutionnels » dans le continent, elle a fermé les yeux face aux coups de force d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ou encore d’Alpha Condé en Guinée, avant d’être renversé à son tour par un coup d’Etat. Ces évolutions anti-démocratiques ont été constatées dans pratiquement l’ensemble des pays de la CEDEAO ou dans la « zone d’influence » française en Afrique, comme au Tchad où Emmanuel Macron en personne a adoubé le fils du dictateur défunt, Mahamat Idriss Déby. La différence semble se placer sur le fait que les militaires maliens, tout en s’inscrivant dans une relation de subordination à l’impérialisme français, après 8 ans de guerre ont osé émettre des doutes quant à la stratégie française et en même temps tentent de diversifier leurs partenariats internationaux.

Pour faire plier la junte malienne donc l’impérialisme français fait main basse de ses positions et de la structure de domination impérialiste qu’il a mis en place depuis les indépendances formelles en Afrique de l’Ouest. Ainsi, le fait que les comptes de l’Etat malien soient attachés à la BCEAO et au système du Franc CFA donne à la France et à ses partenaires des moyens de chantage économique incroyables face au gouvernement malien. Le gel des avoirs de l’Etat malien dans les pays de la CEDEAO ne signifie rien d’autre que l’impossibilité pour le Mali de payer ou d’être payé, de récupérer ses propres fonds pour le fonctionnement de l’économie nationale. « C’est exactement comme si un particulier ne pouvait plus accéder à son compte en banque ou à son portefeuille d’argent électronique. Il ne peut donc dépenser que ce qu’il a en poche. L’État malien ne pourra plus dépenser que ce qu’il a mis en réserve au Trésor public », explique-t-on dans RFI.

Autrement dit, l’Etat malien et en fin de comptes les particuliers ne pourront vivre qu’avec l’argent qui est en circulation tant que durent les sanctions. Il y a des inquiétudes quant à la capacité de l’Etat de payer ses dettes mais aussi les salaires des fonctionnaires. Suite aux annonces de la CEDEAO les citoyens ont commencé à se rouer sur les banques afin de retirer du liquide face à un probable manque de liquide. Cela implique également que les travailleurs et travailleuses maliens vivant à l’étranger ne pourront pas envoyer de l’aide à leurs familles restées au pays. Plus en général, on s’attend à une augmentation de l’inflation et à un appauvrissement des secteurs déjà très précaires de la société.

Cette situation inquiète également les pays de la région qui ont un volume important de commerce avec le Mali, à commencer par le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui paradoxalement ont voté pour les sanctions. En ce sens, dans La Croix on peut lire : « Sur le plan économique, l’impact de ces sanctions pourrait s’avérer désastreux. Des commerçants dont les marchandises sont stockées dans les ports d’Abidjan ou de Dakar craignent des pertes importantes. En 2019, selon des chiffres de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), les importations du Mali en provenance des pays de l’espace monétaire ouest-africain s’élevaient à 1 109,5 milliards de FCFA (1,6 milliard d’euros), dont 19 % depuis le Sénégal et 11 % pour la Côte d’Ivoire ».

Alors que certains vont jusqu’à se demander si le Sénégal sera le plus grand perdant de cette situation, d’autres affirment que la plupart des produits échangés entre le Mali et le Sénégal ne sont pas soumis à l’embargo. Or, si les sanctions durent, on se demande également comment l’Etat malien fera pour payer ces importations. En ce sens, il existe des risques de divisions au sein de la CEDEAO si les sanctions s’éternisent.

Un autre acteur régional inquiet de la situation, pour d’autres raisons, est l’Algérie. Le gouvernement algérien a en effet pris position en faveur d’une transition plus courte, entre 12 et 16 mois au lieu de 5 puis 4 ans comme demandé par la junte malienne. Cependant, cela ne veut aucunement dire que l’Algérie se range totalement du côté de la France sur ce dossier. Au contraire l’Algérie tente d’utiliser son rôle de « médiatrice » et garante des accords de paix d’Alger dans le conflit malien pour gagner du poids dans la région, souvent au détriment des positions françaises.

Quoi qu’il en soit, cette situation risque paradoxalement de renforcer la junte militaire (au moins dans le court terme) et d’accentuer le sentiment « anti-français » au sein de la population. Et les militaires maliens en sont conscients. Ils tournent cette situation à leur faveur et élaborent une politique de type bonapartiste « populiste » s’appuyant sur les classes populaires maliennes non pas pour rompre avec l’impérialisme mais au contraire pour mieux négocier avec lui. C’est en ce sens que les militaires convoquent une mobilisation pour ce vendredi en soutien à la junte et dénonçant les sanctions de la CEDEAO.

Ce n’est pas un hasard que le colonel Assimi Goïta ait demandé une « trêve sociale » au lendemain de l’annonce des sanctions de la CEDEAO. Cet appel se dirigeait notamment aux enseignants qui se trouvaient en grève. Les directions des syndicats enseignants ont ainsi « suspendu » la grève sans aucune concession ou garantie, même minimale, de la part des militaires. Une « unité nationale » derrière les militaires sans aucune dimension de classe qui était justifiée ainsi par un dirigeant syndical à DW : « Ces sanctions ne peuvent qu’atteindre le peuple. Ces sanctions ne feront mal qu’au peuple. Les syndicats signataires du 15 octobre que nous sommes ne peuvent rester en marge. Notre syndicat devait répondre à ces sanctions. C’est la raison qui motive la suspension de notre mot d’ordre de grève et de toutes les autres actions programmées ».

Or, la junte militaire n’est aucunement amie des travailleurs et des classes populaires maliennes. Elle a des liens non seulement avec la Russie de Poutine (un régime profondément antipopulaire comme il vient de le démontrer dans la répression de la révolte au Kazakhstan) mais aussi avec les principales puissances impérialistes. Si les militaires maliens arrivent à un entendement finalement avec l’impérialisme français, il n’y a aucun doute qu’ils tourneront le dos à la population, redoublant son oppression et ses souffrances face à une situation économique catastrophique, l’oppression impérialiste, un régime dictatorial et des attaques incessantes des organisations islamistes.

Les sanctions de la CEDEAO soutenues et encouragées par l’impérialisme français sont néfastes et profondément réactionnaires. Cependant, il serait fatal pour la classe ouvrière, la jeunesse et les secteurs populaires du Mali de faire confiance à la junte militaire ou à d’autres puissances tutélaires comme la Russie. La fraternité entre les travailleurs et travailleuses africains de la région serait en effet un premier pas pour mettre fin aux sanctions antipopulaires ainsi que la mobilisation du mouvement ouvrier en France pour dénoncer ces agissements de l’impérialisme français et exiger le retrait immédiat de l’armée française d’Afrique.

 
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