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La Izquierda Diario
13 de janvier de 2022 Twitter Faceboock

Surenchère réactionnaire
Transphobie et racisme décomplexés : retour sur le colloque contre le « wokisme »
Camille Lupo
Matthias Lecourbe

En pleine 5ème vague, la Sorbonne a accueilli ce weekend un colloque sur le « wokisme » : un palmarès d’intellectuels et de politiciens racistes et LGBTI-phobes, dont Blanquer, tentant de se cacher derrière une caution scientifique pour défendre la surenchère réactionnaire sur fond de casse de l’université.

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Ces vendredi et samedi 7 et 8 janvier s’est tenu un très réactionnaire colloque contre le « wokisme » dans un amphithéâtre de la Sorbonne. Sans qu’on ne puisse donner de définition rigoureuse de ce qu’est le « wokisme », tout comme on ne pouvait définir le corpus idéologique de son ancêtre « l’islamo-gauchisme », le terme est agité comme un chiffon rouge par des personnes proches du pouvoir, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale le premier. Le ministre a en effet annoncé mi-octobre alors qu’était commémoré l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty la création d’un think tank, le « Laboratoire Républicain », cherchant à « d’abord s’adresser à la jeunesse » et cherchant à défendre « l’humanisme et l’universalisme » face au « wokisme ».

On peut pourtant se faire une idée de ce que monsieur le ministre Jean-Michel Blanquer, qui a inauguré le colloque organisé par l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie, a en tête lorsqu’il parle du « wokisme », en regardant le programme des deux journées : “« islam à l’université, peut-on encore en parler ? », « gender, néoféminisme et écoféminisme » et même « il faut sauver Blanche-Neige ! Totems et tabous de la cancel culture ». Ont été invités à cette table ronde des invités tous plus illustres les uns que les autres comme Pierre-André Taguieff, critique de « l’immigrationnisme dernière utopie des bien-pensants », Pascal Bruckner qui a rendu Rokhaya Diallo responsable de la mort « des douze de Charlie Hebdo », Xavier Gorce, ancien dessinateur du Monde plaidant sa « liberté d’expression » alors qu’il était critiqué pour avoir publié un dessin transphobe et insultant pour les victimes d’inceste, ou encore Claude Habib qui a récemment publié un livre intitulé « la question trans » qui n’est autre qu’une accumulation de propos transphobes…

Tout un programme, et ceci avec le soutien du recteur de Paris, qui a permis la tenue de ce colloque en mettant les locaux de la Sorbonne à disposition, et du gouvernement représenté par Jean Michel Blanquer, qui cherche activement à promouvoir la diffusion d’idées réactionnaires dans la jeunesse par le biais de son think-tank ou en imposant des « formations laïcité » ou le dispositif « carré régalien » visant à mettre au pas les enseignants qu’il n’hésite pas à sanctionner lorsqu’ils expriment des critiques. Le ministre a même apporté son soutien financier à l’événement.

Le message est clair : faire de celles et ceux qui dénoncent les violences systémiques, les discriminations ou le gouvernement des ennemis de l’intérieur. Dans des propos rapportés par Mediapart, l’historien Pierre Vermeren est limpide pendant le colloque sur ce qu’il pense être le « mot d’ordre intellectuel et politique » du « wokisme » : « retourner le verbe français contre lui-même ». Pour Pierre-André Taguieff, présent également au colloque, il s’agit d’un « ethnocide de grande ampleur ».

Un colloque dans la continuité de l’offensive islamophobe et réactionnaire dans les universités

L’entretien dans le Figaro Vox de Pierre-Henri Travaillot, un des organisateurs du colloque, constitue d’ailleurs une bonne introduction sur le contenu ouvertement islamophobe et à la chasse aux sorcières contre les professeurs travaillant sur les questions de genre ou de racisme omniprésents pendant le colloque : « la « pensée » décoloniale, aussi nommée woke ou cancel culture, (…) introduit dans le domaine éducatif et parfois scolaire une forme d’ordre moral incompatible avec l’esprit d’ouverture, de pluralisme et de laïcité qui en constitue l’essence », « une idéologie qui monte aujourd’hui en puissance dans tous les secteurs de la société, y compris dans le monde éducatif, où elle a déjà causé quelques dégâts ».

Une ligne qui s’inscrit directement dans le tournant islamophobe du gouvernement Macron, appuyé par Blanquer qui s’inquiétait il y a peu « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits » après déjà une série de sorties similaires de Frédérique Vidal qui avait demandé une grande enquête sur « l’islamo-gauchisme à l’université » en 2020.

Une présence saluée depuis la salle est celle de Mathieu Bock-Côté, le chroniqueur choisi par Europe 1 et CNews pour remplacer Eric Zemmour. On peut également noter la présence de François-Xavier Bellamy, l’eurodéputé LR pour qui « Éric Zemmour a le mérite de poser une question fondamentale ». La plupart de ces intervenants étaient signataires du « manifeste des 100 » qui appelait à la dénonciation des « islamo-gauchistes » ou sont membres de l’Observatoire du décolonialisme, qui co-organise d’ailleurs l’événement, dont la mission est de « mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs » par « l’idéologie décoloniale ».

Un palmarès réactionnaire à la Sorbonne, financé le ministre de l’Éducation lui-même via un fonds réservé selon Mediapart, qui sonne le renforcement de l’offensive réactionnaire dans les universités. A l’image de ce qui a été fait par Blanquer dans l’éducation nationale, il s’agit de faire taire toutes les voix discordantes qui pourraient s’élever contre les oppressions ou les inégalités de classe dans l’enseignement supérieur alors même qu’il est détruit et attaqué (au même titre que le reste des services publics). C’est la volonté affichée de Travaillot, qui s’insurge dans le Figaro Vox, que « le monde académique ne mobilise pas aujourd’hui toute son énergie pour éviter qu’advienne dans l’université ce qui est tragiquement arrivé dans le secondaire ».

Un tournant dans l’offensive transphobe dans le champ politique et médiatique

Un des sujets principaux est désormais aussi l’offensive autour des questions de genre et de sexualités. Les personnes trans sont la cible d’attaques particulièrement virulentes, dans la lignée des paniques morales transphobes qui se multiplient dans le champ médiatique ces derniers mois. Les participants, à l’image de Nathalie Heinich, n’hésitent pas à parler d’« épidémie de transgenres », renvoyant les personnes trans à l’image d’un danger invisible qui menace la société de l’intérieur (angoisse réactionnaire s’il en est), ou à générer des paniques morales autour d’« abus sur enfant ». Une position qui ne va pas sans rappeler la caricature de Xavier Gorce dont nous avons parlé plus tôt, mais aussi des accusations dont ont pu être la cibleles homosexuels alors qu’ils étaient des cibles plus faciles pour les réactionnaires.

Des discussions rapportées par Mediapart donnent un indice sur la place de la transphobie dans le logiciel réactionnaire que construisent les participants du colloque : « Maintenant, si tu as un fils qui veut mettre une jupe, tu vas devoir lui dire "oui, peut-être." », « Alors qu’il y a 30 ans, ça ne se faisait pas, et puis c’est tout. Aujourd’hui, tu es homme hétérosexuel le lundi, femme le mardi et tu te fais opérer le mercredi… ». On s’y offusque donc de rien de moins que d’accepter l’existence de personnes trans tout en donnant une représentation parfaitement erronée de ce que représente encore aujourd’hui un parcours de transition de genre pour créer une panique morale contre la partie de la communauté LGBT qui est actuellement la plus stigmatisée et donc la plus facile à attaquer.

La tenue de ce colloque est une offensive importante face aux pensées critiques issues des mouvements sociaux et des études en sciences sociales, une ligne que tiennent depuis déjà des années les gouvernements successifs (on peut rappeler les sorties de Manuel Valls en 2015 pour qui la sociologie en tant que science générait une « culture de l’excuse » notamment du djihadisme, rien de moins) mais qui ne fait que se durcir à mesure que l’État cherche à étouffer des contestations. Elle doit se comprendre dans un contexte de contre-réformes visant à faire de l’université un lieu d’élite visant uniquement à une formation répondant aux besoins du patronat, au contraire d’un projet émancipateur d’université ouverte à tous permettant l’élaboration de savoirs critiques. Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, a ainsi porté la loi ORE, généralisant la sélection à l’université ou fustigé « l’islamo-gauchisme » qui « gangrènerait » la société et l’université.

Derrière ce colloque universitaire qui donne des tentatives de caution scientifique aux paniques réactionnaires que cherche à générer l’exécutif et plus largement diverses franges de la bourgeoisie, il faut toujours voir des attaques qui visent à exclure les classes populaires de l’enseignement supérieur et à étouffer toute parole contestataire ou politisation au sein des universités autour des oppressions LGBTI-phobes, racistes ou sexistes. Tandis que la 5ème vague déferle sur les écoles et que l’on ne présente aux étudiants que le faux dilemme entre les clusters dans les amphis et le distanciel, la réponse du gouvernement n’est que celle de la surenchère réactionnaire et il s’agit maintenant de reprendre le chemin de la mobilisation et de l’auto-organisation pour rappeler que les jeunes ne paieront pas la crise et ne laisseront pas s’installer ces offensives identitaires, LGBTI-phobes et islamophobes dans les universités.

 
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