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23 de septembre de 2021 Twitter Faceboock

Islamophobie
Zemmour et les prénoms : « assimilation » raciste et « guerre de civilisation » contre les musulmans
Paul Morao

La proposition de Zemmour d’imposer à la population des prénoms "français" fait réagir depuis une semaine. Islamophobe, elle est indissociable de l’ensemble du discours du potentiel candidat qui souhaite faire la guerre aux musulmans conçus comme « incompatibles » avec la France.

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Depuis une semaine, la proposition d’Eric Zemmour d’imposer à la population des prénoms « français » - issus du calendrier chrétien ou liés à des personnages historiques - agite le débat public. Sur fond de campagne médiatique concernant la potentielle candidature du polémiste d’extrême-droite, certains s’en amusent, des soutiens de Zemmour allant jusqu’à proposer un simulateur de changement de prénom…

Pourtant, la proposition est loin d’être anodine et doit être vue comme une métonymie du projet d’Eric Zemmour vis-à-vis de la population musulmane. Une mesure qui permet de résumer et d’exprimer à elle seule le projet raciste et islamophobe du candidat potentiel. Un projet qui va au-delà de la discrimination et du racisme pour porter dans le débat public l’idée de « grand remplacement » et son corollaire, la nécessité de mener une grande offensive raciste contre la population musulmane.

Des prénoms « français » : une proposition raciste qui vise les personnes issues de l’immigration post-coloniale

Le fait que la proposition de Zemmour sur les prénoms vise d’abord les populations issues de l’immigration post-coloniale ne fait aucun doute. Si certains commentateurs se sont amusés à évoquer l’origine nordique du prénom « Eric », ce sont évidemment aux prénoms musulmans ou d’origine africaine que Zemmour entend faire la guerre.

En effet, pour le polémiste, les différents gouvernements qui ont succédé à De Gaulle auraient en effet trahi l’idéal d’assimilation porté par une loi napoléonienne datant de 1803 imposant aux nouveaux nés des prénoms « français », issus du calendrier chrétien ou portés par des personnages historiques. Dans son best-seller réactionnaire Le suicide français il explique qu’à partir des années 1970, l’atténuation de son application puis son abrogation en 1993 avec la complicité des socialistes seraient concomitants d’une nouvelle vague d’immigration post-coloniale refusant « l’assimilation ». Alors que les « Italiens », les « Polonais » ou les « Juifs » se seraient « assimilés », ce double phénomène aurait grippé la machine (fantasmée) à assimiler.

Une attitude qui explique autant qu’elle justifie selon lui la discrimination dont sont victimes les personnes issues de l’immigration post-coloniale. Celle-ci apparaît comme un nécessaire retour de bâton, voire comme une réaction légitime des Français blancs. « Les moins complaisants estimaient que ces prénoms musulmans étaient bien le signe d’un rejet de la France, d’où les regards de travers, les mauvaises querelles, ou même les refus d’embaucher » explique-t-il dans Le suicide français. En 2018, son idée fait polémique à l’occasion d’un échange sur un plateau télé où le polémiste décrit le prénom de Hapsatou Sy comme une « insulte à la France ».

Dénué de programme défini alors que sa candidature à la présidentielle obsède les médias, l’idée est logiquement revenue dans le débat public à l’occasion de ses multiples interviews récentes. « Concrète » elle a l’intérêt de synthétiser l’objectif central du polémiste : mettre au pas les populations musulmanes ou assimilées. « On refera la France avec des Français qui veulent rester Français. Les autres n’ont rien à faire ici » expliquait Zemmour dans un discours fin août, lui qui affirme régulièrement l’incompatibilité entre l’Islam et la France.

Dans cette perspective, la mesure raciste concernant les prénoms a une vocation pédagogique, exprimer de façon simple une volonté violente de soumission de pans entiers de la population au nom de l’idée coloniale « d’assimilation », tout en faisant planer la menace de leur expulsion en cas de refus. Cette dernière idée est d’ailleurs centrale, car si la mesure synthétise une vision, elle en constitue une version atténuée, euphémisée voire trompeuse. En effet, pour Zemmour, la référence à « l’assimilation » est un paravent qui permet de masquer le fond d’un discours qui considère les musulmans comme des « ennemis » mortels dans le cadre d’une guerre de civilisation.

Derrière la question des prénoms, Zemmour défenseur de l’idée complotiste et raciste du « grand remplacement »

« Dans de nombreuses cités françaises, Mohamed devint le premier prénom de l’état civil. Une suprématie qui sonnait comme une promesse de domination et de conquête » écrit Zemmour dans Le suicide français. La question des prénoms est loin d’être anodine dans l’imaginaire raciste de l’extrême-droite. En l’absence de statistiques ethniques en France, ils constituent un outil fréquemment mobilisé comme indice supposé d’un « grand remplacement ». L’obsession des prénoms étrangers a ainsi pour corollaire direct l’idée d’une « colonisation » de la France par les populations immigrées et musulmanes.

En 2019, Zemmour exprimait à la « Convention de la droite » sa vision sur le sujet : « Dans la rue, les femmes voilées et les hommes en djellabas sont une propagande par le fait. Une islamisation de la rue, comme les uniformes d’une armée d’occupation rappellent aux vaincus leur soumission. Au triptyque d’antan "immigration, intégration, assimilation", s’est substitué "invasion, colonisation, occupation". » Un discours qui s’inscrit directement dans le champ des théories racistes et complotistes portées par des figures telles que Bat Ye’or, Renaud Camus, Oriana Fallaci ou Robert Spencer. Pour eux, comme pour Zemmour, les musulmans constituent un bloc monolithique dirigé vers l’extermination de l’Occident blanc et chrétien, et l’opposition entre « Islam » et « islamisme » vise à atténuer cette réalité, à laquelle aucun musulman ne peut échapper qu’il soit conscient ou pas de participer à un projet décrit comme « génocidaire ». Un discours complotiste et raciste aux conséquences profondes.

Revenant sur ces ouvrages, Reza Zia-Ebrahimi, historien au King’s College de Londres, explique dans Antisémitisme et islamophobie, une histoire croisée : « La dynamique fondamentale des théories du complot antisémites et islamophobes est essentiellement la même : la racialisation de la population visée et sa transformation en menace existentielle pour l’Europe. (…) Dans ce cadre discursif, des qualités immuables, donc raciales, sont attachées à l’islamité, et une uniformité raciale est posée entre tous les individus, censés partager les mêmes pratiques culturelles, le même rapport au religieux, la même opposition à toute forme d’intégration et, bien sûr, le même désir d’islamiser l’Europe. Enfin, et c’est ici que le parallèle avec les mythes de la domination juive est le plus frappant, les théories de l’islamisation prêtent aux musulmans une capacité à comploter collectivement, de manière occulte mais surtout instinctive. (…) En transformant les musulmans en auteurs d’un « génocide par substitution » ou d’un « génocide blanc », les auteurs étudiés dans ce chapitre inversent complètement la relation entre minorité racialisée et majorité dominante. Il devient dès lors possible – et même légitime – de commettre des violences meurtrières à l’encontre des personnes ainsi racialisées. »

En conséquence, la référence d’Eric Zemmour à « l’assimilation » peut difficilement apparaître comme autre chose qu’un artifice. Dans la perspective qu’il défend d’une guerre de civilisation en cours en France, il est évident qu’aucun compromis n’est possible avec ceux qui sont perçus comme autant « d’ennemis » mortels. Les ouvrages et théories évoquées plus haut ont d’ailleurs servi logiquement d’inspiration à des attentats terroristes d’extrême-droite, à l’image du massacre de d’Utøya en Norvège ou des attentats de Christchurch en Nouvelle-Zélande, perpétrés par des suprémacistes blancs prenant au mot l’idée de « guerre civile ». Car la conséquence de ces théories ne peut être que dans un affrontement violent avec les populations musulmanes et/ou dans leur « remigration » massive.

C’est ce que défend Renaud Camus comme le résume Le Monde dans un portrait de 2019 : « « L’Europe, il ne faut pas en sortir, il faut en faire sortir l’Afrique », peut-on lire dans son programme aux européennes, se donnant pour « mission » de renvoyer les « extra-Européens » ou même les « descendants d’extra-Européens » refusant de se plier à sa « charte de la civilisation européenne ». Les renvoyer comment ? En dénonçant la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, en supprimant le droit du sol, en légalisant des statistiques ethniques, en proposant une pension à vie ou une remise de peine pour ceux acceptant la « remigration » volontaire, en interdisant de construire de nouvelles mosquées… » Or, dans son dernier ouvrage, Zemmour explique à propos de l’écrivain d’extrême-droite qu’il qualifie de « résistant » : « Nous établissons le même diagnostic sur ce qu’il a appelé d’une formule que je fais mienne « le grand remplacement » »

Déjà en 2014, Zemmour n’hésitait pas à évoquer la perspective de la « remigration », défendue historiquement par des organisations comme le Bloc Identitaire devenu Génération Identitaire. Lors d’une interview au Corriere della Serra il affirmait : « Cette situation de peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile » Interrogé par le journaliste qui lui demandait : « Mais vous ne pensez pas que ce soit irréaliste de penser qu’on prend des millions de personnes, on les met dans des avions pour les chasser ? » le polémiste répondait : « je sais, c’est irréaliste, mais l’histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d’Algérie pour revenir en France ? »

Zemmour, un discours « dur » permis par un contexte islamophobe plus large

En définitive, Zemmour joue donc avec l’idée raciste « d’assimilation » pour mieux promouvoir un logiciel de « guerre de civilisation » qui fait du musulman un ennemi intégral, inassimilable sauf à se nier totalement en commençant par son prénom. Pourtant, s’il exprime de façon particulièrement transparente cette logique, force est de constater que ses outrances sont permises par un contexte général où l’islamophobie est constamment attisée.

Si Zemmour a ses entrées dans l’ensemble de la classe politique, le gouvernement n’hésite pas depuis deux ans à propulser l’islamophobie sur le devant de la scène politique. En [octobre 2019, Macron livrait ainsi un discours sur « l’hydre islamiste » tout en appelant à construire une « société de vigilance » et à traquer les comportements suspects chez les musulmans. Un an plus tard, la loi séparatisme consacrait cette offensive. Or, comment ne pas voir dans l’idée même de « séparatisme » une version atténuée des « territoires perdus » voire « colonisés » qu’évoque systématiquement un Eric Zemmour ?

En ce sens l’offensive islamophobe permanente depuis 20 ans, qui s’est renforcée depuis 2015 à la suite de l’instrumentalisation réactionnaire des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, constitue le terreau d’émergence d’un Zemmour, et le fondement de sa légitimation. Sur ce terrain islamophobe, la « gauche » de gouvernement, du PS à EELV en passant par le PCF, n’est d’ailleurs pas en reste. Se solidarisant régulièrement avec les offensives islamophobes, elle a produit ses propres courants islamophobes, utilisant la « laïcité » comme une arme pour s’en prendre aux musulmans dans la lignée d’un Manuel Valls.

Dans ce cadre, combattre le discours de guerre civile de Eric Zemmour, qui tend à déplacer encore un peu plus à droite les frontières du discours et des actes islamophobes légitimes, est indissociable d’un combat contre le gouvernement et l’islamophobie d’Etat. Cette dernière n’est pas l’apanage de l’extrême-droite ni de Zemmour, mais est soutenue par la majeure partie de la classe politique depuis des années. Il est essentiel de s’en souvenir alors que Zemmour, s’il est candidat, pourrait servir d’épouvantail permettant de donner une illusion de modération au discours de ceux qui organisent systématiquement la stigmatisation des musulmans depuis des années.

 
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