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La Izquierda Diario
20 de septembre de 2021 Twitter Faceboock

Dialogue social ?
Martinez face à Attal : combattre un ennemi de classe ou renouer avec le dialogue social ?
Damien Bernard
Tristane Chalaise

A l’affiche de la Fête de l’Humanité cette année, un débat très attendu entre le secrétaire général de la CGT et le porte-parole du gouvernement. Verdict ? En terrain conquis, Philippe Martinez a surclassé Gabriel Attal. D’un côté, en se teintant trop à « gauche », Attal s’est grillé les ailes. De l’autre, Martinez s’est prêté au jeu du dialogue, allant jusqu’à se poser en conseiller du gouvernement sur sa politique industrielle. Un débat dans lequel c’est l’illusion d’un renouveau du dialogue social qui a prédominé, mettant au second plan le plan de bataille nécessaire contre les offensives du gouvernement.

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Après un an et demi de crise sanitaire, la Fête de l’Humanité a fait son grand retour, sur fond de course à la présidentielle. Les personnalités et figures politiques de la gauche, et celles et ceux qui s’en revendiquent, se sont bousculés à la Courneuve.
La « gauche » sociale-libérale était présente en nombre, avec un certain nombre de candidats pressentis à l’élection présidentielle, comme Julien Bayou, Sandra Regol et Éric Piolle pour Les Verts, ou Anne Hidalgo (PS) alliée à Ian Brossat (PCF) à la mairie de Paris. Si des députés Insoumis étaient présents, comme Éric Coquerel et Clémentine Autain, Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle, était le grand absent. Echaudé par la candidature de Roussel, le dirigeant Insoumis a choisi de boycotter l’échéance pour la deuxième fois consécutive. Pour sa part, l’extrême-gauche était au rendez-vous avec la présence des trois candidats déclarés à la présidentielle - Nathalie Arthaud (LO), Philippe Poutou (NPA), Anasse Kazib (Révolution Permanente) - ou encore des figures de l’anti-racisme comme le comité Adama, des collectifs de luttes comme les travailleurs de l’Après M.

Convaincre des ennemis de classe, vraiment ?

Cette année encore, la Fête de l’Humanité a ouvert ses portes à des membres du gouvernement - quand ce n’est pas à la droite traditionnelle (Valérie Pécresse) à qui l’on déplie le tapis rouge. Après Jean-Paul Delevoye, le « monsieur retraite », invité en 2019, c’est au tour de Gabriel Attal, figure montante de la macronie et porte-parole du gouvernement, de débattre avec Philippe Martinez, secrétaire national de la CGT. Si l’objet de cet article n’est pas de nous attarder sur la présence de membres du gouvernement à la Fête de l’Humanité, il est cependant nécessaire d’aborder la question.

Si les militants du PCF justifient ces invitations en faisant le parallèle avec les invitations sur les plateaux télés, la comparaison ne tient pas. Tout d’abord, parce que contrairement aux invitations sur les grands médias (un terrain adverse), que l’on accepte parfois comme une tribune pour démultiplier nos idées et faire de la politique, il s’agit ici d’invitations à l’initiative de la direction d’organisations se réclamant du mouvement ouvrier (le PCF), des organisations censées construire une frontière de classe nette avec ceux qui nous exploitent et nous oppriment. Ces invitations à débattre au nom du « pluralisme des idées » instillent ainsi l’illusion qu’il ne s’agirait que d’un débat d’idées : il serait possible de convaincre le gouvernement, la droite et le PS, le MEDEF qu’ils font fausse route ! Tout au contraire de cette logique de conciliation de classe, nous pensons que ce type d’évènement doit permettre de débattre stratégie et tactique pour combattre, en toute indépendance, ceux que l’on doit nommer comme tels : nos ennemis de classe.

« Relancer » l’industrie en France… c’est relancer les profits du grand patronat et des actionnaires !

On a pu percevoir un décalage entre l’ambiance dans le public et la tenue du débat. Les huées et les sifflets ont accueilli Gabriel Attal, jusqu’à ce que les animateurs, et Philippe Martinez lui-même intervienne : « Je n’entends pas ce qu’il dit, je ne peux pas lui répondre » a-t-il lancé à l’assemblée. Le syndicaliste abonde : « C’est important qu’on puisse avoir ce genre de débat. »

Intitulé : « Quelle relance industrielle pour la France ? », le débat a permis au porte-parole du gouvernement de mettre en avant son bilan et celui de la politique du « quoi qu’il en coûte ». Pour le gouvernement, les milliards d’euros accordés au patronat depuis le premier confinement ont été le premier moteur dans le maintien puis la reprise de l’activité économique de ces derniers mois. « Nous avons retrouvé aujourd’hui le taux de chômage que nous connaissions avant la crise sanitaire. Il y a aujourd’hui moins de faillites que sur la même période à l’époque d’avant crise. ». Une politique qui, comme le souligne la citation, a avant tout profité au patronat, n’empêchant ni les licenciements, facilités au contraire sous le prétexte de la crise sanitaire, ni l’accentuation du chômage, notamment chez les plus précaires.

Gabriel Attal pu profiter d’une tribune pour dérouler les principaux aspects de la politique de « reconquête industrielle », nouveau mot d’ordre de la majorité présidentielle. La crise sanitaire a en effet mis en exergue les faiblesses structurelles de la structure économique française sur le terrain industriel. En ce sens, le gouvernement souhaite rompre avec son image de « start-up nation » pour s’inscrire dans le tournant politique plus général vers une forme de souverainisme économique et industriel afin de séduire, notamment, l’électorat de droite. Gabriel Attal a ainsi fait l’éloge du gouvernement Macron, présenté comme le champion des relocalisations avec « 80 projets en France » dans l’électronique.

Sur le thème de la crise des semi-conducteurs, le porte-parole du gouvernement a cherché à présenter le quinquennat Macron comme visionnaire : « on n’a pas attendu le plan de relance pour commencer le plan nano électro ». De même, Gabriel Attal s’est attelé à défendre la politique prétendument écologique de reconversion industrielle, centrée sur l’investissement massif de l’État dans les énergies dites « vertes », et en premier lieu l’hydrogène, déclaré indispensable (avec le nucléaire) pour parvenir à la neutralité carbone. Une énergie qui, dans les conditions actuelles d’extractions et d’exploitation, est loin d’être une énergie verte, mais qui représente une véritable manne financière pour les entreprises, au premier rang desquelles on retrouve Total, arrosée de subvention publiques.

Dès lors, on aurait pu s’attendre à ce que Philippe Martinez défende l’« autre partage des richesses » que, dans le discours, il appelle de ses vœux. Dans le débat, le secrétaire général de la CGT s’est contenté de s’adapter au discours du gouvernement. En mettant au premier plan l’entreprise et les besoins du patronat, Philippe Martinez s’inscrit dans la même logique que Gabriel Attal, pour qui « protéger les entreprises c’est protéger l’emploi ». Débattre de la relance de l’industrie et de la relocalisation, en donnant des conseils pour faire repartir les usines en France, c’est débattre pour savoir comment relancer les bénéfices des patrons afin de leur donner envie de venir s’installer en France. Ce n’est pas débattre de ce qui nous intéresse, à savoir les intérêts de la classe ouvrière, qui sont antagoniques à ceux du grand patronat qui nous exploite et nous opprime.

Conditionner les milliards de cadeaux au patronat ? Pas un euro d’argent public ne doit subventionner leurs profits !

Prétendant « doubler par la gauche » [sic.] Philippe Martinez, Gabriel Attal n’a pas hésité à défendre le bilan de son gouvernement sur le plan social. C’est surtout au sujet des CDD et des contrats précaires qu’il a tenté de repeindre en rouge son gouvernement : « Nous voulons que les entreprises proposent des contrats plus longs et robustes ». Un discours insultant de démagogie, dans la mesure où ce sont les ordonnances Macron qui, approfondissant la réforme du Code du Travail entamée sous François Hollande, ont encore facilité les licenciements et ont encouragé le recours aux CDD, mettant par exemple fin à une législation globale sur leur durée ou leur nombre de renouvellements.

Dans ce contexte, il n’a pas été difficile pour Philippe Martinez de démonter le discours du porte-parole du gouvernement. Le secrétaire national de la CGT a ainsi dénoncé la responsabilité du gouvernement dans l’approfondissement de la précarité en France (« Au lieu de s’attaquer aux conséquences de vos réformes, attaquez-vous aux causes ! ») tout en attaquant ses choix pro-patronaux. Prenant l’exemple d’Airbus, Philippe Martinez a ainsi dénoncé l’attribution d’aides publiques qui ont permis à l’entreprise de faire 4 milliards de bénéfices tout en supprimant des emplois.

Une dénonciation juste, mais qui reste limitée. En guise de redistribution des richesses, Philippe Martinez propose de redistribuer les subventions aux patrons : « on n’est pas contre le fait d’aider des entreprises mais à quoi va servir l’argent ? Si c’est pour licencier, non. » Il légitime ainsi les milliards de subventions au grand patronat, qu’il s’agirait seulement de conditionner. Au-delà de la capacité à pouvoir contrôler le maintien de l’emploi, ne pas licencier donnerait droit à des milliards d’euros d’argent public, destinés directement aux poches du grand patronat et des actionnaires.

Une logique qui vise une forme de conciliation avec les grands patrons pour la « relance industrielle de la France ». Pour nous, pas un euros d’argent public ne doit aller dans les poches des grands patrons ! De même, on ne doit pas laisser le champ libre au patron, en comptant sur sa bonne volonté, mais proposer l’interdiction pure et simple des licenciements.

Renouer avec le dialogue social, ou se préparer au combat en toute indépendance de classe ?

L’existence même de ce débat et son thème conduisent à une logique de conciliation de classe. Une conciliation qui s’illustre sur le terrain de ce que l’on appelle le « dialogue social ». Jusqu’ici, le quinquennat Macron s’était distingué par la rupture avec le « dialogue social » avec les centrales syndicales, y compris les plus réformistes, à l’image de la CFDT ou de l’UNSA, qu’il a réussi à mettre en opposition dans le cadre de la réforme des retraites. Une politique de rupture avec les « corps intermédiaire » qui, avec l’usure accéléré du macronisme, a montré ses limites, par exemple lors de la crise des Gilets jaunes.

Le choix de débattre publiquement avec le secrétaire général de la CGT participe de la volonté du macronisme de remettre au goût du jour une politique de dialogue social. Tout au long du débat, Gabriel Attal a insisté sur l’attention portée aux directions syndicales dans les dernières mesures du gouvernement. « Le gouvernement a adapté sa réforme [de l’assurance-chômage] suite aux discussions avec les syndicats. », allant même jusqu’à prétendre dépasser leurs demandes : pour le Ségur de la Santé, « la CGT demandait trois ou quatre milliards d’euros pour les revalorisations, on est à huit milliards d’euros. »

Philippe Martinez a, de son côté, dénoncé l’hypocrisie du gouvernement face à un dialogue social jusqu’alors inexistant. Pour la réforme de l’assurance-chômage, « on parle beaucoup de dialogue social, mais […] tous les syndicats de notre pays – ce qui est très rare – disent que le projet n’est pas bon. ». Il accuse ainsi le premier ministre d’avoir été sourd aux demandes des directions syndicales, que ce soit sur l’augmentation du SMIC ou les semi-conducteurs : « ça fait un an que je dis à Jean Castex qu’il faut relocaliser. Je connais des usines où on peut refaire des semi-conducteurs en France, ou au moins qui peuvent contribuer à la filière. »

Pour s’opposer à l’offensive gouvernementale sur l’assurance chômage, les retraites : une nécessité rompre avec le dialogue social !

Tout au long du débat, Philippe Martinez a cherché à remettre au centre les directions syndicales en tant qu’interlocutrices du gouvernement. Insistant sur l’importance de les « écouter », il se veut le meilleur conseiller du gouvernement dans sa politique de « relance industrielle ».

Au contraire de revivifier le « dialogue social », qui n’a fait qu’accompagner les contre-réformes sociales, comme l’a illustré l’Accord National Interprofessionnel sous François Hollande, il s’agirait de rompre avec tout logique de négociation avec le gouvernement comme avec le patronat. C’est la condition nécessaire à l’élaboration de tout plan de bataille sérieux contre l’ensemble des contre-réformes à venir, comme la casse de l’assurance chômage en cours, la réforme des retraites – dont certaines mesures qui pourraient être mises en place avant même les élections présidentielles de 2022 – ou encore les suppressions d’emplois dans le service public comme à la SNCF.

Pour en finir avec la stratégie de la défaite et de la négociation de la régression sociale, il est plus que jamais nécessaire que les directions du mouvement ouvrier rompent définitivement avec le prétendu dialogue social, qui n’est qu’un moyen employé par le gouvernement pour contenir le mouvement ouvrier. C’est une des conditions pour préparer le monde du travail aux combats en cours et à venir.

 
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