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24 de août de 2021 Twitter Faceboock

Afghanistan
Qui pour « sauver les femmes afghanes » ? Ni l’impérialisme, ni les forces réactionnaires
Cécile Manchette

Ces derniers jours fleurissent les appels à « sauver les femmes afghanes » des Talibans. De quelles forces politiques et par quels moyens veut-on « sauver » les femmes afghanes ? Avec Du Pain et des Roses nous appelons à soutenir les afghan.es en lutte contre l’impérialisme et toutes les forces politiques réactionnaires au Moyen-Orient.

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Graffiti de Shamsia Hassani, artiste afghane

Depuis la prise de Kaboul par les talibans, la question du sort des femmes afghanes est au cœur des préoccupations. Que vont-elles devenir sous le régime des Talibans ? Comment les aider voire les « sauver », et comment venir plus largement en aide à la population afghane ?

En réalité, derrière ces questions, il y a l’idée largement répandue que les afghans et les musulmans doivent être sauvés (par des pays impérialistes de préférence et ceux-là même qui ont semé le chaos dans le pays) plutôt que de chercher à se poser les bonnes questions : qui sont les ennemis des afghan.es ? Quelle est la situation sociale et économique de la majorité des femmes afghan.es et des personnes LGBTI ? Quid du soutien à leurs revendications sociales, économiques ou encore féministes ? Ou encore, qui sont les féministes afghanes ? Que défendent-elles ?

Face au positionnement réactionnaire et honteux du gouvernement français qui refuse l’accueil des exilés afghans, les quelques réponses progressistes qui appellent à l’accueil inconditionnel des femmes afghanes en reviennent à vouloir remettre le sort de la population afghane - ignorant au passage les revendications des afghan.es - dans les mains de ceux-là même qui intervenaient militairement dans le pays il y a peu. Ces militantes de la gauche française révèlent leur adaptation à l’Etat impérialiste français, et abandonnent toute lecture de classe et internationaliste de la question afghane.

Pour réfléchir à quelle issue pour le peuple afghan et particulièrement les femmes afghanes, cela nécessite de comprendre qui sont leurs différents ennemis politiques, mais aussi de rappeler que la libération des peuples opprimés viendra d’eux et d’elles-mêmes, et que la solution ne peut être qu’internationale.

Les femmes afghanes et leurs multiples ennemis

L’un des portraits les plus connus du XXème est celui de « la jeune fille afghane » ou encore dit de « l’afghane aux yeux verts » de Steve McCurry qui a fait la Une de National Geographic en 1985. «  Des yeux hantés racontent les peurs d’une réfugiée afghane », dit la légende de la revue américaine. Cette photographie avait pour objectif de symboliser la peur et la violence vécues particulièrement par les jeunes femmes et les enfants pendant la guerre qui opposait les moudjahidines, soutenus par les Etats-Unis en pleine période de guerre froide, contre les soviétiques. Ce type de cliché, loin d’être isolé, est instrumentalisé pour susciter la compassion chez les populations occidentales et justifier les politiques interventionnistes impérialistes. 17 ans plus tard, « la jeune fille » sans nom (le photographe n’avait pas pensé à lui demander…) a été retrouvée. Sharbat Gula a alors témoigné dans une interview que dans ses yeux ce n’était pas la peur qui s’était exprimée, mais la colère de l’intrusion du journaliste américain dans son espace intime.

Peur ? Colère ? Une chose est sûre le portrait de cette jeune femme aura servi à inscrire durablement l’image de la jeune femme afghane à sauver tantôt des soviétiques, tantôt des talibans, en fonction des ambitions politiques, économiques et militaires des Etats occidentaux. Tariq Ali, écrivain et historien, écrit dans l’un de ses derniers papiers intitulé « débâcle en Afghanistan » : « L’une des principales féministes en exil du pays a fait remarquer que les femmes afghanes avaient trois ennemis : l’occupation occidentale, les talibans et l’Alliance du Nord. Avec le départ des États-Unis, disait-elle, elles en auront deux. (À l’heure où nous écrivons ces lignes, on peut peut-être dire qu’il n’y en a plus qu’un, car les avancées des talibans dans le nord ont eu raison de factions clés de l’Alliance avant la prise de Kaboul). ».

L’occupation occidentale, d’abord. Une occupation qui remonte à la fin du XIXème pour un territoire en proie aux ambitions de l’empire colonial britannique puis à celles de l’empire américain et des soviétiques. Et puis, l’occupation à laquelle les talibans viennent de mettre un terme avec la chute de Kaboul. Celle qui dure depuis 2001 suite à l’invasion militaire orchestrée par les Etats-Unis et soutenue par l’ensemble des pays européens dont la France. Une guerre menée au nom de la lutte contre « la terreur » et pour les droits des femmes, qui a eu pour conséquences des dizaines de milliers de morts, le développement sur la ruine du pays de groupes politiques religieux réactionnaires comme les talibans, ou encore la perpétuation voire l’aggravation des violences faites aux femmes, qui si elles ne se faisaient certes plus lapidées par les talibans, ont continué à mourir de faim, à être victimes de violences sexuelles perpétrées par les forces armées états-uniennes ou encore à être pour 70% d’entre elles analphabètes. Leurs sœurs et frères afghans qui ont choisi l’exil ont trouvé, eux, des murs barbelés. « Le fait est qu’en vingt ans, les États-Unis n’ont pas réussi à construire quoi que ce soit qui puisse racheter leur mission. » écrit Tariq Ali. De leurs côtés, certaines féministes afghanes ont soutenu l’invasion des Etats-Unis, d’autres non ; conscientes comme d’autres rares féministes américaines à l’aune de Zillah Eisenstein, que les droits des femmes allaient servir de couverture pour larguer des bombes sur l’Afghanistan pendant 20 ans.

Les talibans, ensuite. Qui sont les talibans ? Une force de plusieurs milliers d’hommes, et de femmes, des nationalistes religieux, obscurantistes, qui veulent instaurer un Emirat islamique, comme c’est le cas aujourd’hui, et qui s’appuient sur une idéologie réactionnaire. Ils s’appuient sur des interprétations de la charia (loi islamique) et le code tribal préislamique de l’ethnie pachtoune, pour justifier les atrocités, exactions et punitions qu’ils commettent. Nombreuses des mesures qu’ils défendent, dont celles qui circulent activement sur les réseaux sociaux ces derniers jours, sont réactionnaires, meurtrières et conservatrices à l’égard des femmes. Rien ne légitime ni n’efface les atrocités que les talibans ont commis et commettent mais l’Afghanistan ne se résume pas aux talibans, ni à la religion musulmane, et nombre d’afghans rejettent le régime des talibans.

L’Alliance du Nord, enfin, qui recouvre un rassemblement ponctuel de Moudjahidines portés au pouvoir par les Etats impérialistes pour combattre les talibans. Christine Delphy écrit : « On ne peut plus cacher la vérité sur l’Alliance du Nord. Étant donné le nombre de reporters sur le terrain, on ne peut pas cacher plus longtemps la méfiance des citadins de Kaboul et de Jalalabad à leur égard ; une méfiance fondée sur leur expérience : entre 1992 et 1996, les troupes de l’Alliance du Nord (ou « Front uni ») ont perpétré des massacres et des tueries gratuites de prisonniers et de blessés, ont terrorisé et rançonné les civils. ». La question de leur politique en général et à l’égard des femmes n’est pas plus reluisante que celle des talibans. Les militantes de RAWA (Association révolutionnaire des femmes afghanes) ont participé à lever le voile sur les crimes commis par l’Alliance du Nord sur la population afghane et en particulier sur les femmes, et ce avant que les talibans n’arrivent au pouvoir. Christine Delphy rappelle d’ailleurs comment la coalition occidentale a grandement participé à soutenir ces mercenaires au nom de leurs propres intérêts immédiats. La féministe française écrit : « Le Jamiat-i-Islami (courant membre de l’Alliance du Nord), poussé par les instances internationales dont toutes les parties afghanes ont encore besoin, fait quelques concessions au sujet des femmes. Qu’on en juge. Un porte-parole de Rabbani déclare, une semaine après la prise de Kaboul, sur BBC World : « Les « restrictions » des Talibans seront levées – sans plus de détails – et la burqa ne sera plus obligatoire ; le hidjab suffira » Le hidjab suffira : ça fait rêver. »

Soutien des afghan.es en lutte contre l’impérialisme et toutes les forces politiques réactionnaires au Moyen-Orient

Si aujourd’hui l’ennemi principal du peuple afghan sont les talibans et leurs alliés, il n’en reste pas moins que la destruction du pays ces vingt dernières années est de la responsabilité principale de l’impérialisme qui a fait le terreau du développement des forces politiques réactionnaires. De la sorte, aucune « aide » n’est à attendre des Etats impérialistes, ni de leurs soi-disant politiques de « développement » qui depuis 20 ans n’ont apporté que misère et guerre civile. Les gouvernements français successifs cherchent consciemment à détruire ce qu’il reste des acquis sociaux, de ce qui avaient pu être conquis comme droits pour les populations migrantes. La politique pro-patronale agressive d’Hollande à Macron va de pair avec sa lepénisation sur le plan politique en cédant et en alimentant les idées d’extrême droite. C’est à cela que nous assistons jour après jour avec comme dernière manifestation le passage de la loi séparatisme. En ce sens, quand les signataires de la tribune « appel à un accueil inconditionnel des femmes afghanes » écrivent : « cela arrive déjà, parce que notre pays a préféré financer des soldats, des armes et une occupation, plutôt que des initiatives de développement des droits humains et l’accueil ici des personnes en exil. (...) Nous, féministes et femmes, ne voyons pas un flux mais un afflux d’espoir. Nous ne sommes pas en guerre. Aux talibans et à leur violence, nous exigeons que l’on oppose les seules armes qui vaillent, celles que certains n’appellent valeurs de la République que pour mieux les trahir. Le réalisme, c’est la devise inscrite au fronton des écoles mixtes : Liberté, égalité, fraternité. (...) Puisque la comparaison avec la guerre du Vietnam est utilisée par tous les commentateurs politiques, alors le temps est revenu du réalisme en mouvement, celui qui a gagné en disant L’amour, pas la guerre. ». L’appel à faire l’amour pas la guerre relève au mieux d’une naïveté humaniste, au pire de la conviction politique de la gauche républicaine selon laquelle l’Etat français devrait une fois de plus intervenir pour porter des « initiatives de développement des droits humains ». Cela revient en réalité à donner les mains libres à l’Etat français pour intervenir dans la vie des populations afghanes et continuer de tuer et exploiter les civils, les terres afghanes détruisant ce qu’il reste des paysages afghans. Et ce sans jamais en appeler à un retrait des troupes armées d’Afghanistan mais aussi de tous les pays dans laquelle la France est impliquée militairement. Par ailleurs, le fait de ne pas mentionner les hommes afghans comme devant aussi bénéficier de l’exil en France sans conditions, tend à entretenir l’idée de la femme afghane musulmane à « sauver » contre l’homme afghan oppresseur qui lui n’aurait pas le droit à l’exil, alors même qu’ils sont également victimes des guerres, de l’occupation, et de la prise du pouvoir par les talibans.

A l’inverse, nous pensons, en tant que féministes révolutionnaires et internationalistes, que nous devrions soutenir activement, par des appels à se mobiliser de la part de nos organisations du mouvement ouvrier, et féministes, les revendications des femmes et du peuple afghan qui luttent contre l’impérialisme (en premier lieu, le nôtre), contre les talibans, l’Alliance du Nord et toutes les formes politiques réactionnaires. Ce qu’ils et elles ont d’ors et déjà commencé à faire. Nous devons refuser que la lutte pour l’émancipation des femmes, des LGBTI et de l’humanité soit instrumentalisée à nouveau pour justifier une guerre, une intervention des Etats impérialistes, qui n’ont rien à voir avec nous et notre lutte contre l’exploitation et l’oppression. Nous sommes pour l’accueil inconditionnel de tous les afghan.es dans des conditions dignes et l’ouverture des frontières, mais aussi pour le retrait total des présences impérialistes en Afghanistan et dans l’ensemble du Moyen-Orient. Pour l’accueil inconditionnel de tous les afghan.es mais aussi pour soutenir toutes les initiatives du peuple afghan qui vont dans le sens de donner le pouvoir aux travailleurs.es, aux femmes, à la jeunesse, et participer à débarrasser le Moyen-Orient de toutes les forces politiques conservatrices, rétrogrades, et antipopulaires.

 
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