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La Izquierda Diario
26 de juillet de 2021 Twitter Faceboock

Transphobie
États-Unis. Deux semaines de violences transphobes à Los Angeles
Camille Lupo

Depuis une mise en scène orchestrée sur les réseaux sociaux qui a créé l’outrage sur la présence supposée d’une femme trans dans un spa, les réactionnaires de tous bords, des prétendues « féministes » transphobes jusqu’à l’extrême-droite, font front commun dans un déferlement de violence à Los Angeles.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Etats-Unis-Deux-semaines-de-violences-transphobes-a-Los-Angeles

Crédit image : Adam Elmahrek / Los Angeles Times

Le 17 juillet dernier, une manifestation devant un spa à Los Angeles a rassemblé des féministes transphobes, des partisans de la conspiration QAnon, des figures connues de l’extrême-droite étasunienne ou encore des militants pro-Trump dans une scène confuse dont les slogans mêlaient la panique morale de la rhétorique QAnon autour de la “protection des enfants” et le prétexte de la “sauvegarde des espaces féminins” utilisé par les féministes transphobes.

A la source de l’outrage de ces réactionnaires : une vidéo postée sur Instagram par une utilisatrice anonyme sous le pseudo de “cubanangel” en juin, qui affirmait avoir aperçu une femme trans à l’intérieur du spa en question. On aperçoit seulement dans la vidéo l’utilisatrice en question en train de confronter le personnel du spa, prétextant la panique et la crainte pour la sécurité des enfants que la présence d’une personne trans pourrait supposément engendrer.

Une histoire que se sont empressés de relayer les réseaux et médias d’extrême-droite, mais aussi les forums TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist - un acronyme qui désigne les féministes hostiles aux personnes trans) anglophones comme Mumsnet, une plateforme déjà à la source de l’organisation de plusieurs mobilisations transphobes au Royaume-Uni.

Depuis ces réseaux se sont organisées des campagnes de harcèlement en ligne, comme en témoignent les commentaires Facebook du Wi Spa dans lesquels on peut lire un déversement d’insultes transphobes et de menaces à l’égard des gérants de l’établissement qui publicisent un spa LGBT-friendly, et les menaces digitales reçues par une artiste locale de Los Angeles. Plusieurs appels à des manifestations transphobes devant le spa ont également circulé, dont celle du 17 juillet, mais aussi une précédente le 3 juillet.

Un outrage orchestré qui a fait converger les réactionnaires de tous bords

La vidéo à la source de l’outrage ne montre pas la personne trans dont il serait question. D’après le Los Angeles Blade, la police ne trouve aucune trace d’une cliente trans au spa ce jour-là, et Slate rapporte que la police considère à ce jour que la vidéo a été mise en scène.

L’utilisatrice Instagram qui a posté et filmé cette vidéo conclue en menaçant : “Je vais filmer tout ça, parce que je vais en faire toute une histoire, je vais en faire une affaire mondiale”. Et c’est effectivement ce qui s’est passé, après que les manifestations transphobes aient gagné un écho dans la presse internationale. Aujourd’hui, cette utilisatrice a déclaré au Los Angeles Times qu’elle et le pasteur Marc Little, une figure de la droite chrétienne conservatrice, se lançaient dans une campagne pour demander le retrait de la loi sur les droits civiques de l’État de Californie qui interdit qu’une entreprise discrimine ses clients ou employés en fonction de leur identité de genre.

La couverture extensive de l’histoire par la presse d’extrême droite autant que les relais sur les forums TERF ainsi que les manifestations qui ont suivi démontrent aussi que la transphobie est devenue un cri de ralliement pour faire converger les réactionnaires de tous les bords. La vidéo Instagram a été reprise rapidement par Ian Miles Cheong, une figure de l’extrême-droite sur les réseaux sociaux qui s’est fait connaître dans le scandale GamerGate, puis par Tucker Carlson sur la chaîne nationale Fox News. L’éditorialiste nationaliste pro-Trump y a consacré un segment entier de son émission. Un phénomène similaire s’était déroulé au Royaume-Uni, qui a connu également une campagne réactionnaire nationale ciblant les personnes trans qui a réuni de la droite à l’extrême-droite ainsi que la presse réactionnaire de centre-gauche et le mouvement TERF rassemblé autour de la figure de JK Rowling.

La droite conservatrice (dont la chaîne Fox News est le relais) autant que les médias d’extrême-droite et les réseaux de désinformation des théories du complot QAnon s’accordent sur la même rhétorique réactionnaire : la soi-disant « protection des enfants » contre la pédophilie ou la perversité. Une rhétorique familière d’atteinte à la morale utilisée contre la communauté LGBTI+ qui vise à dépeindre les gays, les lesbiennes, les bisexuels, et les personnes trans qui sont aujourd’hui particulièrement ciblées, comme des menaces sournoises à la société qu’il faudrait à tout prix démasquer.

Un discours que reprend le mouvement TERF, qui a gagné en influence au Royaume-Uni ainsi qu’aux États-Unis, et qui s’affiche main dans la main avec la droite et l’extrême-droite à l’internationale. En utilisant des méthodes de l’extrême-droite, des campagnes de harcèlement ciblées jusqu’à la violence physique en passant des campagnes médiatiques de panique morale, la motivation première de ce mouvement consiste à s’attaquer à ceux et celles qu’elles définissent comme les premiers ennemis des droits des femmes : les personnes trans. Car ce que menacent les personnes trans pour ces prétendues féministes, c’est la norme biologique qu’elles définissent pour les femmes, en particulier autour de la notion de fertilité et de sexe biologique. Un logiciel profondément réactionnaire dans lequel se retrouve sans surprise la droite chrétienne et l’extrême-droite et dont la finalité, en réduisant les femmes à leur rôle de mère, est de protéger les “bonnes moeurs” : c’est-à-dire le carcan des rôles assignés aux femmes par la société patriarcale et la famille nucléaire.

Une alliance qui en dernière instance profite à l’extrême-droite. En 2019 déjà, le Southern Poverty Law Center (une ONG étasunienne), rapportait que la transphobie devenait un des thèmes privilégiés de l’extrême-droite : “Pour les extrémistes d’extrême droite, la visibilité accrue des personnes transgenres est un signe de la "dégénérescence" croissante de la nation, provoquée par les "marxistes culturels", les gauchistes et les Juifs dans le cadre d’une attaque contre les familles blanches et chrétiennes et les rôles stricts des sexes.” De quoi donner du grain à moudre à tous les théoriciens du complot. Un rapport du Centre pour l’Etude de la Radicalisation du King’s College définit également la transphobie comme “l’un des récits majeurs et les plus omniprésents autour desquels l’extrême droite, en tant que vaste mouvement, recrute, mobilise et organise”.

Violences transphobes et complicité avec l’extrême-droite : l’Etat est responsable

Au delà du harcèlement en ligne et des campagnes de haine médiatiques, les vidéos des manifestations transphobes montrent un déferlement de violence : on peut voir un manifestant gazer une jeune sans provocation et dans l’impunité, une journaliste jetée au sol puis attaquée par d’autres manifestants ou un manifestant coiffé du drapeau américain menaçant avec une arme à feu quelqu’un venu filmer la scène. Deux personnes participant à une contre-manifestation en réponse aux appels transphobes ont également été poignardés par un manifestant selon Vice.

La police présente aux deux rassemblements du 3 et du 17 juillet a choisi de cibler les contre-manifestants venus pour défendre les droits des personnes trans à grand coup de charge et de gaz lacrymogène, et Buzzfeed rapporte 40 interpellations du côté des contre-manifestants. Ce dont s’est réjouie l’extrême-droite d’après Vice, qui a obtenu des images d’un groupe Telegram des Proud Boys (un groupuscule d’extrême-droite nationaliste étasunien) qui applaudit des vidéos d’arrestations des contre-manifestants.

A l’heure de la nouvelle administration Biden, les Républicains espèrent pouvoir surfer sur cette panique morale pour reconquérir un électorat. C’est dans ce contexte qu’un nombre gigantesque de lois transphobes voient le jour depuis des mois dans plusieurs états américains. Rien que depuis le début de l’année 2021, 36 États ont présenté plus de 236 décrets visant à atteindre les droits des personnes trans, comme l’interdiction pour les femmes et les jeunes filles trans de participer aux compétitions sportives en Virginie, au South Dakota, au Mississippi, en Arkansas, et au Tennessee. L’Arkansas a également rendu illégal les procédures de transition médicale dans tout l’état pour les jeunes trans. C’est aussi le cas de l’État du Texas où ces procédures ont été requalifiés d’ « abus sur mineur ». Ces lois sont un calcul électoral des Républicains qui attisent la violence contre les personnes trans, et les Démocrates sont de leur côté parfaitement heureux de laisser se jouer ces affrontements car ils y voient une possibilité de coaliser en réponse leur électorat par l’effet de la polarisation.

L’offensive législative des républicains offre donc un terrain profitable à la multiplication des agressions et des meurtres de personnes trans dont le nombre était déjà en augmentation depuis quelques années. Dans son article sur le média « The 19th », Kate Sosin fait le lien entre la précarité à laquelle font face les personnes trans, la multiplication des décrets par les républicains et l’augmentation des homicides trans (44 en 2020). Malgré sa promesse de s’attaquer à ces violences, Joe Biden s’est arrêté au passage de sa loi sur l’emploi des personnes trans en entreprise. Cette ordonnance a permis aux activistes transphobes de prétendre que cette loi aurait pour effet de porter atteinte aux femmes cisgenres.

Face à l’augmentation de la transphobie, organisons-nous !

En conséquence, ce que montre cette séquence aux Etats-Unis, c’est que face à l’augmentation des violences transphobes, l’État bourgeois américain ne peut être le garant des droits des personnes trans, ni plus largement de ceux des personnes LGBTI ou de toutes les femmes. D’autant plus, l’attitude de la présidence Biden démontre encore une fois que la seule chose qui permet d’acquérir ces droits et les conserver, c’est la construction d’un rapport de force par un mouvement féministe et LGBTI, indépendant de toutes les institutions de l’Etat, et qui se positionne fermement pour l’auto-détermination de nos identités et de nos orientations sexuelles, mais surtout qui se donne pour objectif d’arracher des moyens concrets pour répondre au mal-logement, à la précarité ainsi qu’au manque d’accès à la santé et l’éducation.

Ce qui se passe aux Etats-Unis doit être une sonnette d’alarme pour les organisations de notre classe en France. Les attaques transphobes à la Marche des Fiertés de cette année, mais aussi la présence pour le moment marginale mais de plus en plus ouverte de figures transphobes et réactionnaires comme Marguerite Stern, montrent que nous nous trouvons devant un phénomène grandissant. En ce sens, il est plus que jamais nécessaire que les organisations mouvements féministes et LGBTI se positionnent de façon nette et tranchée pour organiser une riposte d’ampleur face aux réactionnaires de tous bords, des TERF jusqu’à l’extrême-droite.

 
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