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La Izquierda Diario
17 de juin de 2021 Twitter Faceboock

Violences patriarcales
12 ans de prison ferme pour avoir involontairement tué un homme qui la harcelait : liberté pour Kessy !
Lou-Salomé Duverger

Les 10 et 11 juin 2021 avait lieu le procès de Kessy D. qui, en 2016, avait involontairement tué à Bordeaux un homme qui la harcelait à un arrêt de tram. Un drame pour lequel elle a été condamnée à la très lourde peine de 12 ans de prison ferme, dans un procès marqué par un traitement judiciaire et médiatique profondément sexiste.

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Le soir du 2 décembre 2016 Kessy Dehbi, alors âgée de 18 ans, protège Vincent Cazeaux, un trentenaire ivre, en l’éloignant d’un groupe de jeunes qui se montrent agressifs à son encontre. Elle l’informe qu’il ne faut pas qu’il revienne vers ces individus, puisqu’il risque de se faire frapper, il a, d’ailleurs, à ce moment, déjà reçu une gifle de leur part. Quelques minutes plus tard, l’homme revient vers Kessy la harcelant et essayant de l’enlacer. La jeune fille, répond alors violemment, dans une explosion de colère. Elle pousse l’homme qui tombe à terre avant de le frapper de deux coups de pied dans la tête. Vincent C. décède quelques jours plus tard à l’hôpital de ses blessures.

Le procès de ce drame a eu lieu les 10 et 11 juin 2021 dernier devant la Cour d’assises de Gironde. L’enjeu du procès, raconté par Le Monde, consistait à qualifier les circonstances du meurtre. De son côté, Kessy clamait n’avoir pas voulu donner la mort à cet homme. Évoquant les nombreuses violences sexuelles et sexistes subies tout au long de sa vie, elle a expliqué : « j’ai explosé. Tout ce que j’ai vécu avant est dans cet acte. Mais je ne voulais pas le tuer. » Des violences sexistes dont les dernières remontaient à la veille comme le rapportait en 2017 un communiqué du Collectif de Lutte des Étudiantes Féministes de Bordeaux qui avait rencontré Kessy. Lors de l’audience, son avocat pointait de son côté le fait que Kessy avait aidé l’homme en question quelques minutes plus tôt, notant : « les experts évoquent une explosion de violence non contrôlée, ce n’est pas compatible avec l’intention de tuer. Les conséquences ont de loin dépassé sa volonté ».

Mais le procès, marqué par un traitement sexiste de l’affaire, a finalement abouti à une condamnation lourde contre Kessy, reconnue coupable d’homicide volontaire et condamnée à 12 ans de prison ferme. L’avocat général aura tout au long du procès cherché à démontrer l’intention de tuer, expliquant que « le choix délibéré de porter des coups violents dans une zone vitale concrétise une intention de tuer », et déniant la moindre corrélation entre la longue chaîne de violences patriarcales subies par Kessy et ce meurtre dramatique. « Se retranche derrière son parcours, certes chaotique, pour s’expliquer. Comme si l’acte de donner la mort relevait d’un quelconque déterminisme social. Ce n’est pas une explication légitime » a-t-il ainsi expliqué pour attaquer la défense de la jeune femme.

Une négation du « déterminisme social » qui aboutit à faire de Kessy une tueuse en puissance, qui aurait agi de la sorte car elle serait incapable de se contrôler. Le poids de la longue chaîne de violences engendrées par le patriarcat, Kessy ayant notamment été violée dans sa jeunesse ou étranglé par un homme la veille de l’agression, est ainsi totalement déniée, comme l’est tout autant l’importance dans la détermination des actes de Kessy de la précarité dans laquelle elle vit depuis sa naissance.

La même invisibilisation des rouages sociaux patriarcaux et le même mépris de classe sont violemment retranscrits dans le traitement de l’affaire par les journaux bourgeois. Le long article écrit par Le Monde le 12 juin revient sur l’affaire, en éliminant la question du harcèlement sexuel et en dépeignant Kessy comme une jeune fille qui « s’en est prise à un passant alcoolisé assis trop près d’elle à un arrêt de tramway ».

L’attitude de Vincent C. en revanche pourrait s’expliquer par une « volonté de faire une cour maladroite malgré son état ? » ou un « sentiment de solitude à combler ? »… A l’inverse, Kessy, est présentée sous un jour particulièrement défavorable. Mépris de classe - « Kessy Dehbi (…) assure avoir mûri, avoir travaillé sur elle, préférant les formules toutes faites de développement personnel matinées de mysticisme aux séances chez un psychiatre » -, infantilisation et mépris - « son discours autocentré tourne en rond », « Kessy Dehbi peine à canaliser un torrent de paroles qui charrie pleurs, colère, tristesse et victimisation ».

Un traitement nauséabond qu’avait dénoncé en 2019 un compte Twitter qui semble être celui de la jeune femme, réagissant à un premier article de Sud Ouest invisibilisant totalement son agression. Résumant l’offensive médiatique particulièrement misogyne, elle écrivait « j’aurais sûrement dû me faire violer ou tabasser. Cela m’aurait permis à l’heure d’aujourd’hui d’avoir mon diplôme et mon permis, et non de sortir de prison au bout de 2 ans et 10 jours, sans rien hormis de lourdes séquelles psychologiques et physiques dues à la détention », faisant ainsi allusion à la détention provisoire dont elle avait écopé. Des mots qui raisonnent particulièrement aujourd’hui alors que le Procureur, les magistrats et les médias dominants dépeignent Kessy comme une criminelle tandis que des femmes se font violer, tabasser et tuer quotidiennement dans l’indifférence des institutions judiciaires.

Cette affaire, et son traitement judiciaire et médiatique, montrent bien les conséquences évidentes du déni du patriarcat et des oppressions par une Justice qui les reproduit de manière continuelle. Un traitement qui rappelle celui de la justice à l’égard de Jacqueline Sauvage, qui avait tué son mari après 47 ans de violences conjugales et de viols, puis condamnée à 10 ans de prison avant d’être graciée. De même, Valérie Bacot risque aujourd’hui la perpétuité pour avoir tué son mari qui la violait, frappait et prostituait depuis son adolescence. Trois exemples extrêmes qui montrent la violence à laquelle conduit le patriarcat, et le traitement sexiste de cette question.

La mort de Vincent C. est dramatique de tout point de vue. Cependant, la condamnation de Kessy Dehbi ne vise pas simplement à sanctionner les conséquences mortelles de sa réaction à l’agression sexuelle qu’elle venait de subir, mais aussi la réaction en tant que telle. De ce point de vue, la décision de Justice et le traitement politico-médiatique qui en est fait, en invisibilisant les violences patriarcales structurelles ayant conduit à ce drame, a pour conséquence de dissuader les femmes de riposter aux agressions et harcèlements sexuels pour ne pas risquer d’être condamnées pénalement. Face à cela, exiger la libération immédiate de Kessy Dehbi et de toutes les femmes qualifiées de criminelles par la Justice après avoir tenté de mettre fin aux violences subies doit être une revendication unitaire de l’ensemble du mouvement féministe, afin que les femmes soient le sujet actif de leur propre émancipation et non des ombres malmenées dans les commissariats et les salles d’audience des palais de Justice.

 
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