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11 de juin de 2021 Twitter Faceboock

Sexisme
Chronodrive et la loi du silence : les méthodes patronales pour faire taire les salariées harcelées
Louison Méry

Rozenn et ses soutiens se donnaient rendez-vous pour demander sa réintégration devant le Conseil de Prud’hommes de Toulouse. Révolution Permanente s’est intéressé aux coulisses du dossier et révèle l’usage d’une enquête scandaleuse, truquée, caractéristique des méthodes patronales employées pour faire taire les salariées harcelées.

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Crédits photo : LP/Rémy Gabalda

Vendredi 4 juin 2021, à l’occasion du rassemblement pour soutenir Rozenn et exiger sa réintégration au Conseil des Prudhommes de Toulouse, Elsa Marcel, l’une des deux avocates de Rozenn, insiste : « Si la direction a licencié Rozenn, c’est bien parce qu’elle a été tétanisée par le potentiel de la campagne syndicale menée par la jeune section CGT. Elle a déjà dû beaucoup s’inquiéter lorsqu’elle a vu des jeunes en temps partiel se battre avec autant de détermination pour obtenir la prime des 1000 euros à l’époque du confinement. Ce sont des boites où les élus roulent avec la direction et profitent du fait que les cadences sont difficiles, les jeunes inexpérimentés et d’un turn-over très fort. Mais cette fois, la filiale d’Auchan a trouvé face à elle toute une génération de très jeunes militants prêts à relever la tête, non seulement sur les questions économiques mais aussi pour des revendications directement politiques et en particulier contre le harcèlement sexuel ultra répandu dans ces entreprises. A partir de là, elle a eu peur que ces combats montrent l’exemple et donnent des idées aux milliers de jeunes femmes embauchées dans ce secteur ».

Ce qui se joue est en effet très profond et s’inscrit dans la continuité des vagues de dénonciation du harcèlement sexuel observées dans les secteurs du commerce et des services, très féminisés et précaires. Aussi, chez McDonalds, une jeune salariée de 21 ans a été licenciée pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel qu’elle a subi. Même ambiance pour Carrefour Drive.

Or, les directions de ces établissements savent faire montre de créativité pour construire leur défense et faire taire les voix dissonantes. Parmi leurs outils figure celui de « l’enquête ». Par enquête il faut bien sur entendre le fait pour la direction de penser et diriger des entretiens avec des salariés pour conclure à … l’absence de tout harcèlement. Elle choisit les questions, les salariés, voir même leurs réponses. Très loin d’un dispositif destiné à écouter les salariés et à recueillir leur témoignages, il s’agit surtout de se couvrir, de préparer son dossier en cas de procédure tout en intimidant, culpabilisant et divisant les témoins entendus.

Le cas de Chronodrive est édifiant.

Une méthodologie arbitraire et biaisée

Pour nier l’existence de tout harcèlement sexuel, la direction revendique une « enquête » réalisée par la directrice des ressources humaines du siège avec 25 salariés. Parmi eux, on ne trouve ni Rozenn, pourtant au cœur de l’affaire, ni Raphaël, militant CGT depuis la création de la section et investi auprès de l’Inspection du travail dans la gestion du dossier. Par ailleurs, 3 entretiens ont disparu, sans que l’on sache pourquoi ils ont été écartés du document finalement versé par Chronodrive aux conseillers prud’homaux.

Sur les 22 entretiens fournis, près de la moitié concerne des salariés qui ont des postes de managers ou sont proches de la direction. A l’inverse, seules deux victimes directes sont entendues dont l’une explique que ses propos ont été modifiés lors de la retranscription et qu’elle ne reconnait pas du tout l’échange qu’elle a eue avec la RH. Casting étonnant quand on sait que plusieurs jeunes femmes disent avoir subi des comportements sexistes voire des attouchements sur leur lieu de travail.

Pire encore, les questions sont très orientées et ciblent directement Rozenn : « Connais-tu Rozenn Kevel ? ». Une attitude pour le moins inappropriée dans le cadre d’une enquête sur des faits de harcèlement sexuel. D’ailleurs, la réponse d’un responsable à cette question révèle clairement son animosité envers la militante : « Oui, je le connais, collaboratrice du PGC – Elle est revendicatrice- Si elle peut emmerder, elle le fera- Ils sont là pour mettre la merde, même si selon moi ce n’est pas le rôle des syndicats ».

Dans ces circonstances, inutile de préciser que les dés sont pipés. Chronodrive tranche avec certitude et fermeté : « cette enquête n’a pas permis de faire le constat d’une situation de harcèlement sexuel ». Mais dans ce cas, comment expliquer l’ouverture d’une enquête pénale par l’Inspection du travail ?

Le relai d’un discours nauséabond, destiné à minimiser la parole des victimes

Si l’on pouvait supposer qu’une enquête par la direction pour la direction n’allait pas se prononcer en faveur de celles qui dénoncent, force est de constater qu’elle ne s’arrête pas là. Armée d’entretiens choisis, elle va s’appuyer sur le discours de certains salariés pour culpabiliser les victimes et plaider avec mépris que nous sommes face à « des coucheries de gamins de 20 ans ».

Pourtant, à la lecture de l’enquête, on note des propos d’une violence inouïe.

Une première salariée témoigne : « Le secteur était très masculin, très macho, et il y avait souvent des propos très sexistes de la part des préparateurs de commande. Dès 2017, quand j’ai eu une première relation avec un collaborateur de chrono, j’ai commencé à être insultée « la nouvelle au gros cul » ; « La direction était parfaitement au courant : selon M. XXX (directeur de magasin), c’était « des boutades de temps partiel » » ; « il a violé ma sœur XXX et moi, il m’a agressée sexuellement ».

Un autre insiste : « M. XXX, le responsable du secteur, a traité Mme XXX de « pute ». Pour moi, Mme XXX a vécu du harcèlement moral » ;

Un responsable se permet de parler d’une salariée dans les termes suivants : « Oui je la connais, c’est le même profil que XXX, ce ne sont pas des filles effarouchées. Elles aiment le sexe. Elles ont des tenues et comportements aguicheurs ». En revanche, il présente comme « un dragueur » qui aime « plaire aux filles » le salarié accusé de viol.

Une autre victime réagit et dénonce l’attitude de son directeur de magasin : « Il est inactif – il m’a dit pendant mon entretien : « tu imagines si on devait faire quelque chose pour chaque main aux fesses ? » « Ne fais pas comme XXX, à ne rien dire et revenir après avec une liste de personnes à interroger ».

Dans la mesure où s’affirmer de cette façon devant la directrice du siège demande beaucoup de courage, il a fort à parier que ces déclarations confirment en réalité une situation répandue.

Mais le choix de Chronodrive, c’est d’utiliser ces propos pour démontrer que les jeunes femmes exagèrent, se victimisent et étaler leur vie personnelle dans une salle d’audience. « L’enquête » est une pièce maîtresse de ce dispositif qui sert le double objectif de feindre une réaction en prévision d’un procès (« mais bien sûr, la direction s’est précipitée au chevet de ses collaborateurs ! ») tout en instrumentalisant des résultats biaisés pour humilier des salariées. Des collègues sont utilisés contre celles qui se sont ouvertes, histoire de leur faire passer l’envie de parler harcèlement sexuel et mal-être dans les rayons. Une méthode cynique et redoutable pour dresser un cordon sanitaire autour de celles qui ont parlé et les isoler de celles qui pourraient le faire.

Autrement dit, voici une preuve s’il en fallait que c’est bien aux femmes elles-mêmes de s’organiser, aidées d’organisations politiques et syndicales, en toute indépendance de leur hiérarchie.

 
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