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La Izquierda Diario
29 de avril de 2021 Twitter Faceboock

Portrait de gréviste. Kévin, ouvrier à l’infrapôle Paris Nord : « Ce qu’on demande c’est le respect et la dignité »

Depuis le 18 janvier, Kévin est en grève avec la brigade de l’Infrapôle SNCF Paris Nord. Cheminot depuis huit ans, il nous décrit son quotidien : ses conditions de travail dans les tunnels de la Gare du Nord, la fierté qui l’anime lorsqu’il fait en sorte d’assurer la sécurité des voyageurs, et ce que représente cette grève pour lui et ses collègues.

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Kévin le 2 mars au rassemblement devant le siège de l’Infrapôle SNCF Paris Nord. Crédit photo : LouizArt

Propos recueillis par Mateo Falcone.

Je suis à la SNCF depuis 2013, avant je travaillais à l’usine dans l’industrie. J’étais à Saint-Gobain, on faisait du pare-brise automobile. Mais lorsque PSA Aulnay a fermé, il y a eu aussi des répercussions chez nous, j’ai donc été licencié. C’était mon premier vrai boulot, j’avais ma place et une bonne équipe là-bas, mais tu sais quand le DRH il te dit que c’est terminé, basta, tu as beaux essayer de négocier à droite à gauche, tu n’as pas accès aux comptes de l’entreprise, tu ne sais pas comment ça se passe. Pourtant Saint-Gobain c’était une boîte cotée au CAC 40 donc je me disais il y a quand même quelque chose, mais finalement non.

Donc je me suis dit « j’ai un peu d’expérience je suis jeune je vais trouver quelque chose ». J’ai eu l’opportunité de rentrer à la SNCF un peu par hasard. Je ne savais pas du tout dans quoi je m’embarquais, pour moi c’était la conduite des trains et les contrôleurs. En réalité ce n’est pas comme ça, on m’a dit « vu ton profil, ce serait bien la maintenance des voies ». Je ne connaissais pas du tout, je me suis dit au pire ça me fera de l’expérience, et puis au final c’est intéressant. C’est un métier compliqué, les horaires décalés, les astreintes, le physique. Dans les tunnels tu ne fais pas rentrer n’importe quelle machine, donc le rail tu le portes à la main, et un rail ça pèse son poids. C’est vrai que je ne peux pas te répondre si tu me demandes comment je serai dans 20 ans, je pense que je serais usé. De toute façon je sens déjà la fatigue avec les horaires décalés, c’est plus comme quand j’avais 20 ans.

Mais surtout on a des responsabilités vis-à-vis de la sécurité des usagers. On fait un travail important, l’entretien des voies c’est ce qui évite les accidents. Quand on fait un chantier, on doit le rendre avec des normes bien précises. C’est l’État et la SNCF qui l’imposent, et nous on se doit de travailler avec ces normes-là. Pour faire ce travail on a une bonne équipe, le boulot on sait le faire de A à Z. On aime notre travail, il est important et on n’a jamais rien demandé, on a toujours rendu service, quand on nous dit : « les gars ce week-end on a besoin de vous pour un chantier », on n’a jamais rechigné et on a toujours fait notre travail sérieusement. Mais on aimerait avoir un peu de reconnaissance, les salaires ne sont pas très élevés, après 8 ans je suis à 1400 euros donc ce n’est pas évident.

Parce que malgré l’importance de notre métier, il est très peu reconnu, même aux yeux de la SNCF et donc on pensait clairement que nos revendications légitimes, le seraient aussi pour la direction. Honnêtement, je pensais que la direction serait venue discuter avec nous tranquillement. Mais non, leur position a toujours été de dire : « on verra plus tard », comme si on était la dernière roue du carrosse. Depuis, mon regard a changé. On voit vraiment qu’ il y a deux mondes séparés : la direction d’un côté, les ouvriers de l’autre. Et ils ne veulent rien céder, ils sont même prêts à mettre des sommes astronomiques pour faire appel à des sous-traitants pour faire notre boulot. Mais comme on l’a dit depuis le début, nous on ne lâchera pas. On veut un minimum de respect et de dignité de la part de la hiérarchie.

Que la direction le sache on n’a jamais été aussi solidaires. Tu peux toujours avoir des petites embrouilles entre collègues ce qui est totalement normal, mais aujourd’hui on avance tous ensemble. Il n’y a pas de leader, on a envie faire une action, un mouvement ou autres, chacun vote à main levé et la majorité l’emporte. Moi je le dis, maintenant ma brigade ce ne sont plus juste des collègues, c’est une famille. S’il y en a un qui a une galère, il sait qu’il y aura toujours un ou deux qui peuvent lui prêter main forte et ça j’en suis fier. Même si une grève ce n’est pas toujours facile. Mes enfants ils sont trop jeune pour comprendre, ma femme on ne va pas se mentir elle est inquiète, elle me dit : « C’est quand que ça se termine ? Tu as vu, tu perds pas mal quand même... » Et je comprends, mais comme je lui dis, si on veut gagner il faut accepter de perdre. Alors comme on le dit, on n’a pas fait 75 jours de grève pour le plaisir, on ne va pas se mettre à genoux, et dire OK c’est bon on arrête.

Il y a des gens qui nous soutiennent, des étudiants, des médecins, des professeurs et j’en passe. Aussi nos collègues directs de la RATP, ça fait chaud au cœur ! Cette lutte elle m’impacte, elle m’ouvre l’esprit sur le patronat. Que ce soit à la SNCF ou ailleurs, on sait que là-haut il y a ce qu’il faut. Notre direction elle nous le prouve tous les jours par A+B lorsqu’elle paye les sous-traitants.

Notre société est divisée en deux groupes, il ne faut pas oublier que ceux qui créent la richesse, la transforment, la transportent, c’est les ouvriers. Ce sont eux qui font tourner la société, c’est pour ça qu’on parle de partage de richesse. Aussi quand on voit que la jeunesse, l’avenir de cette société, le futur, c’est déjà la galère pour eux alors qu’ils ne sont même pas rentrés sur le monde du travail et qu’ils ont des diplômes bien plus élevés que les nôtres ça me fait mal au cœur. Je dis ça parce que là-haut, ils se gavent, et ne reverse rien à l’ensemble de la société. Parce qu’aujourd’hui avec le Covid on nous dit que c’est la crise. J’entends bien, mais alors pourquoi il y a de plus en plus de milliardaires ? Pourquoi ils sont de plus en plus riches alors qu’il y a de plus en plus de pauvres ? Des richesses il y en a, mais il s’agirait de la redistribuer équitablement !

Et les politiciens et le patronat c’est pareil, tu sais moi ma vision des politiciens c’est celle-ci : que tu sois de droite ou de gauche ou d’ailleurs, ça se fait la guéguerre sur les plateaux, mais au final on sait très bien que ça va bouffer au Fouquet’s. Et c’est nous, la France d’en bas qui nourrissons ces gens-là ! On les fait vivre grassement et on se fait cracher à la gueule ! Eux, lorsqu’ils organisent des dîners, ils ont le droit de venir s’expliquer sur les plateaux télé, nous on prend une amende, et une amende ce n’est pas la même chose quand tu gagnes 10.000 euros que quand tu en gagnes 1.300. Nous, on fait notre travail et pour une photo sur une entre voie de service on est réprimé et sanctionné. Cahuzac, lui, quand il détourne des millions, il est mis sur la touche mais il garde le blé.

Il y a de plus en plus d’injustices, et ce sont les travailleurs, ceux qui produisent les richesses, qui doivent se serrer la ceinture. Ou les étudiants qui n’ont même pas commencé à travailler, qui subissent la précarité. Moi je suis inquiet pour le monde que je vais laisser à mes gamins, il n’est pas beau. Alors il ne faudra pas s’étonner quand les gens viendront gueuler. Les Gilets jaunes ce n’est pas anodin, le peuple d’en bas, le monde ouvrier il va relevé la tête. On demande à vivre dignement, vivre de notre métier c’est tout ce qu’on demande : le respect et la dignité.

 
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