http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
28 de avril de 2021 Twitter Faceboock

Entretien
Témoignage d’une caissière : « Une collègue a été virée après avoir répondu au sexisme d’un client »

Suite à la mobilisation contre le licenciement de Rozenn, réprimée pour avoir lutté contre les violences sexistes et sexuelles dans son magasin, nous nous sommes entretenues avec une étudiante salariée de la grande distribution, qui a accepté de nous raconter ses conditions de travail, son avis sur le gaspillage, et sur le sexisme au sein de son magasin.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Temoignage-d-une-caissiere-Une-collegue-a-ete-viree-apres-avoir-repondue-au-sexisme-d-un-client

Source photo : AFP

RP : Tu es salariée dans la grande distribution à Toulouse. Tu peux nous raconter dans quelles conditions tu travailles ?

J. : Déjà, je suis étudiante alors je dois gérer mes horaires en fonction de la fac, moi j’ai décidé de travailler le week-end donc mes semaines sont chargées. Je travaille 10h30 par semaine, et ça depuis deux ans et demi. De manière plus générale, ce que je trouve dur, c’était de prendre le rythme, puisque quand t’es caissière, tout se fait en fonction des clients : pendant les rushs on prend pas nos pauses, et parfois le rush ça peut durer quatre heures. Heureusement, on est une équipe qui se connaît depuis longtemps, alors il y a une bonne entente. Mais tu dois tout apprendre sur le tas, et les gestes sont répétitifs, alors t’as vite mal au dos, mal aux jambes…

RP : Tu as travaillé du coup pendant le premier confinement. Tu peux nous expliquer comment ça s’est passé ?

J. : Ça a été la période la plus compliquée. Au début on avait pas de masques, on avait pas les plexiglass, et avec la panique que le confinement avait créé, tous les clients se bousculaient dans le magasin, et personne ne gérait l’entrée pour fluidifier le passage. Par exemple, il y avait tellement de clients dans le magasin qu’on pouvait pas mettre en rayon la journée, et ceux qui gérait la mise en rayon étaient obligés de venir le faire la nuit. Et nous les étudiants, on nous a fait travailler plus pour remplacer nos collègues à risque, moi mon contrat avait doublé, et ce en pleine période de partiels.

Moi en temps qu’étudiante, j’ai besoin de travailler pour payer mon appartement, parce que mes parents ne peuvent pas me le financer. Mais c’est compliqué, parce que j’ai aucune journée de repos, j’enchaîne la fac et le boulot et les semaines sont dures. T’es obligé de bosser pour gagner ta croûte, mais ça demande des efforts en continu. Et pendant la crise, les travailleurs de la grande distrib’ on a été mis sous pression, obligés de rester ouverts donc pas le choix d’assurer, et tout ça avec la peur d’être contaminés. Mais tu t’estimes heureux au final, parce que tu gardes ton travail. J’en connais plein des étudiants qui ont perdu leurs boulots et qui sont tombés dans la précarité.

RP : Il y a un mois, Rozenn, une étudiante qui travaillait à Chronodrive, a été licenciée sous prétexte d’un tweet qui dénonçait le gaspillage alimentaire dans son entreprise. Toi qui travailles dans la grande distrib’, qu’est ce que tu penses de ce motif ?

J. : Dans mon ancien magasin, ça se passait mieux, on donnait une partie des produits bientôt périmés aux banques alimentaires. Mais depuis j’ai changé d’enseigne, le gaspillage, notamment en boulangerie, c’est hallucinant, il n’y a rien de mis en place. Il faut savoir qu’en boulangerie, les produits mis en rayon ont une durée de vie de deux heures, donc passés les deux heures, ça part à la poubelle, et ça fait qu’on jette des conteneurs entiers remplis de pain. Mais quand j’ai essayé d’en parler, tout ce qu’on m’a dit c’est que c’était de l’argent jeté par les fenêtres pour l’entreprise, alors que ça pourrait nourrir des familles entières ! Même au sein du magasin, tout le monde ferme les yeux, beaucoup disent que « c’est comme ça », mais on sait surtout qu’on peut pas ouvrir notre gueule. Et ce silence, c’est aussi lié aux closes de confidentialité, parce que tout ce qui se passe en interne, en théorie on a pas trop le droit de le dire, sinon on risque la porte.

RP : Qu’est ce que tu as pensé de la mobilisation autour de la répression de Rozenn, et de la lutte qu’elle avait mené au sein de son entreprise contre les violences sexistes et sexuelles ?

Je pense que c’est super important, parce que je connais un tas de filles qui subissent du sexisme au boulot : c’est des mains mal placées, des remarques, et parfois de la part des clients ! Dans mon cas, quand je suis à la caisse, c’est moi l’interlocutrice des clients, et parfois ils me réduisent à mon rôle de caissière, à mes fonctions. Donc j’ai eu le droit à des remarques sur mon physique de la part des clients, qui te disent « c’est joli comment t’es maquillé, tu l’as fais pour moi ? », « ah mademoiselle, vous devriez pas venir travailler avec des ongles comme ça » et à côté t’as pas le droit de répondre, parce que tu dois « refléter l’image de l’entreprise » !

C’est hyper banalisé, aussi parce qu’on est jeunes et qu’on est étudiantes. Tu dois toujours rester professionnelle, et j’ai des collègues qui ont été virées pour avoir répondu. J’ai travaillé avec une fille qui avait haussé la voix contre un client suite à ses remarques, et parce qu’elle a eue le cran de ne pas se laisser faire, elle a finie par être virée ! Et c’est pour ça que le combat de Rozenn, il matérialise ce qui se passe sur pleins de lieux de travail, et j’espère que ça fera prendre conscience à beaucoup de gens qu’il ne faut pas baisser la tête et se taire, mais qu’on peut et qu’on doit se défendre par nous-même. Parce que moi j’ai si demain je subis des violences sexistes au travail, je sais très bien que je pourrais me tourner vers ma direction pour avoir de l’aide.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com