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2 de mars de 2021 Twitter Faceboock

Bondy. Ce que la mort d’Aymane, 15 ans, dit de la situation des jeunes dans les quartiers populaires
Gabriella Manouchki

Moins d’une semaine après les drames de l’Essonne, c’est à Bondy qu’Aymane a perdu la vie ce vendredi, tué par balle suite à une altercation avec d’autres jeunes. Alors que les habitants de Bondy, en deuil, sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme quant à la situation de la jeunesse dont ce nouveau drame est une expression des plus tragiques, les responsables politiques ne répondent que par le renforcement de la répression dans les quartiers.

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Crédits Photo : ©MD / Actu Seine-Saint-Denis

Un nouveau drame pour la jeunesse

Ce vendredi 26 février, Aymane a été tué par balle dans la maison de quartier où il était réfugié, aux côtés des animateurs du centre et de son père, suite à des altercations avec d’autres jeunes survenues plus tôt dans la journée. Selon plusieurs témoins, deux jeunes en scooter se sont arrêtés au niveau de la maison de quartier et l’un d’eux a tiré à l’intérieur du bâtiment à travers la fente de la boîte à lettres encastrée sur la porte, touchant le jeune adolescent au torse. Il avait 15 ans.

C’est dans la douleur que les habitants de Bondy se sont rendus sur les lieux, dès vendredi et durant le weekend, pour rendre hommage à Aymane. Comme le montre le Bondy Blog en donnant la parole à son entourage : « Aymane était notre enfant à tous, c’est tout Bondy qui a mal ». Il est décrit par ses amis, voisins et par son coach sportif comme « un bon garçon, volontaire et téméraire », « quelqu’un de bien », « de très très gentil » et comme un espoir dans le sport qu’il pratiquait avec passion et assiduité à la maison de quartier : la boxe.

La stupéfaction est d’autant plus forte qu’Aymane a été tué par des jeunes, qu’il connaissait. Alors que les motifs de cet assassinat restent encoure flous, les deux suspects, des frères âgés de 17 et 27 ans, ont été présentés à un juge d’instruction ce lundi, d’après France Bleu. « Il apparaît qu’un différend opposait la victime et ses agresseurs depuis près d’un an sans que l’origine ne soit, pour l’heure, connue », indiquait samedi le parquet de Bobigny dans un communiqué.

Plus encore, la multiplication de ce type d’affaires ces derniers jours rend la situation des plus alarmantes. En effet, au début de la même semaine, Lilibelle et Toumani, collégienne et collégien âgés de 14 ans, ont perdu la vie dans des contextes de rixes entre bandes dans l’Essonne. Mercredi 24 février, un adolescent de 15 ans a reçu plusieurs balles dans le dos à Nanterre dans des circonstances qui restent encore floues. Ce dimanche 28 février, une rixe entre bandes a fait trois blessés à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis.

Contre le traitement médiatique dominant de ces affaires qui tend à réduire le problème de la violence dans les quartiers populaires à une question de comportements individuels qu’il s’agirait de réprimer, la dimension structurelle de ces drames qui déchirent la jeunesse se révèle dans toute sa violence.

« Nos enfants tournent en rond » ou les causes sociales du phénomène des rixes entre « bandes »

Dans les médias dominants, sans surprise, l’affaire de Bondy a d’abord été présentée comme un fait divers, dans lequel Aymane était d’office dépeint comme « un jeune lié au trafic de stupéfiants, connu des services de polices locaux pour la fréquentation de points de deal » - portrait démenti par les témoignages de son entourage, notamment recensés sur place par le Bondy Blog. Un jeune réagit à ce traitement médiatique révoltant : « Malheureusement on n’est même plus étonnés, c’est une tendance des médias mainstream et des grandes chaînes d’info. ‘Connu des services de polices’ ? Mais ça veut tout et rien dire. On est dans des quartiers où on est 20 fois plus contrôlés que les autres, alors oui bien sûr la police nous ‘connaît’. »

En réalité, comme le montrent les multiplies épisodes de violences qui ont marqué la semaine, le problème des rixes entre bandes de jeunes est loin d’être une suite malencontreuse de faits divers qui s’expliquerait par les moeurs violentes de « la jeunesse d’aujourd’hui », comme le laissent entendre certains médias. Il prend au contraire racine dans un système économique et social qui a toujours traité les habitants des quartiers populaires comme des « citoyens de seconde zone » et qui, dans un contexte de crise historique comme celle que nous traversons, exacerbe les phénomènes de violences au sein de la jeunesse. Plus que jamais précarisés, isolés et privés de perspectives d’avenir, les jeunes tendent à se renfermer dans l’alternative sociale que représente « la bande », y compris violente, comme seul moyen d’exister dans cette société violente.

Interrogé sur ce phénomène, le sociologue Marwann Mohammed expliquait ce samedi : «  Une bande de jeunes est un groupe qui se retrouve par affinités liées à l’âge, au lieu de vie. La majeure partie des ados appartiennent à des groupes de copains et la finalité est sociale. Ça devient une bande à partir du moment où la dynamique devient transgressive et conflictuelle avec l’environnement et des groupes dans lesquels la petite délinquance occupe une place structurante […] La rivalité structurante, c’est souvent la rivalité entre quartiers. Il y a des logiques d’honneur, seul capital social qui reste à préserver pour des jeunes en échec scolaire ou sans emploi. Le butin c’est la réputation, faire parler de soi et accéder à des formes de reconnaissance ». C’est aussi ce qu’écrivait le Bondy Blog il y a un peu plus d’un an : « Dans ce contexte où la dignité leur est refusée de tous les côtés, l’intégration dans une bande devient une alternative plus que souhaitable. Les « bandes de racailles » comme on les appelait encore il y a peu, sont craintes. La menace qu’ils parviennent à créer, ainsi constitués en bandes, peut être vécue comme une revanche sociale. Goundo Diawara le rappelle : « Il y a peu de structures dédiées à accueillir ces jeunes, de plus la grande majorité de ces gamins sont issus de familles monoparentales où les mères galèrent, du coup le groupe devient structurant. » »

Avec la crise économique et sanitaire, de tels phénomène ne peuvent que s’accentuer. D’une part, les attaques sur l’emploi touchent en premier lieu les jeunes des quartiers populaires, qui sont en première ligne du chômage et des contrats précaires. D’autre part, si le manque de moyens criant dans les secteurs pourtant essentiels de la reproduction sociale - éducation, enseignement supérieur, santé, travail social, culture - s’est révélé avec fracas dans l’ensemble de la société, il est encore plus profond pour les habitants des quartiers populaires. Pour toutes ces raisons, la « bande » et la conflictualité par laquelle elle se définit prend une place grandissante dans la vie de des jeunes des quartiers populaires.

Christophe Hamza, l’entraîneur de boxe qui avait noué des liens profonds avec Aymane et sa famille, souligne cette violence structurelle : « Je suis consterné, je suis abattu, je suis en colère car sa vie s’est arrêtée aujourd’hui un vendredi l’heure à laquelle il était censé s’entraîner à la boxe. Nos clubs sont fermés depuis des mois, nos enfants tournent en rond… »

Contre le tout répressif, la nécessité des moyens pour les jeunes face à la crise !

Il est donc évident que la réponse répressive est loin d’être une solution pour faire face au problème des rixes entre bandes dans les quartiers populaires. C’est pourtant celle que propose le maire LR de Bondy après l’assassinat d’Aymane. Dans un communiqué, ce dernier s’est empressé d’annoncer que la présence des forces de police sera renforcée durant plusieurs semaines dans la ville. Cette mesure se place dans la continuité des annonces du ministre de l’Intérieur, qui s’était saisi de l’affaire des rixes de l’Essonne pour justifier un « renfort » de 100 policiers supplémentaires qui devraient être déployés dans les deux communes d’à peine 10 000 habitants. Il s’agit aussi pour le gouvernement d’intrumentaliser ces drames sociaux pour imposer une surveillance accrue des contenus privés partagés sur les plateformes de discussions et les réseaux sociaux. « La loi ne nous permet pas d’intervenir sur ses messageries privées. Ce qui explique une grand partie des difficultés que nous avons dans les services de renseignements de la police et de la gendarmerie. » a ainsi regretté Darmanin, avant de fustiger le manque de responsabilisation des parents.

Alors que la présence policière ne fait que renforcer les tensions dans les quartiers, en stigmatisant les populations les plus précaires et en particulier les personnes racisées et en les exposant à une surmortalité, comme l’ont montré les collectifs qui militent contre les violences policières ainsi que des chercheurs tels que Mathieu Rigouste, il est central d’exiger des moyens d’urgence pour la jeunesse face a la crise. Nous ne pouvons compter que sur nos propres forces pour arracher les milliards d’euros versés au grand patronat qui nous licencie et à la police qui nous mutile et nous tue, pour les investir dans l’éducation, la santé, la culture et l’accompagnement social des jeunes. Car ce n’est pas à nous de payer leur crise.

 
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