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La Izquierda Diario
17 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Transphobie
Royaume-Uni. Campagne réactionnaire contre les jeunes trans
Camille Lupo

Sur un fond de campagne transphobe qui a uni les réactionnaires de tous bords, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a interdit début décembre la prescription d’inhibiteurs d’hormones aux enfants et adolescents trans ou en questionnement. Une décision qui met en péril le droit à l’autodétermination et l’accès à la santé des personnes trans.

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Début décembre, la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a pris la décision de suspendre les traitements bloqueurs de puberté pour les enfants et les adolescents trans ou qui ressentent de la dysphorie de genre. Cette décision est la conclusion d’un procès visant Tavistock and Portman NHS Trust, centre médical qui délivrait ce traitement sur le modèle du consentement éclairé.

Les traitements bloqueurs de puberté, aussi appelés inhibiteurs d’hormones, sont utilisés pour prévenir les conséquences d’une puberté incohérente avec l’identité de genre d’un enfant ou d’un adolescent. Ils peuvent être utilisés lorsque la dysphorie de genre d’un jeune, c’est-à-dire la détresse psychologique causée par la perception de son corps vis à vis de son genre, augmente à la puberté, ou par exemple également quand un enfant questionne son genre.

Comme le rappelle une brochure publiée par l’Académie Pédiatrique Américaine, les effets de ces traitements sont réversibles et n’entraînent aucune conséquence à long terme pour les enfants. En retardant ainsi la puberté, les enfants peuvent ainsi avoir le temps d’explorer leur identité, ou être épargnés des conséquences psychologiques et physiques d’une puberté qui ne concorde pas avec cette identité. C’est dans ce sens que l’Association Médicale Britannique avait notamment pris position en faveur de ces traitements en septembre 2020, dans une démarche de soutien à l’auto-détermination des personnes trans et non-binaires et à leur accès aux soins médicaux dans la dignité.

Contrairement à l’ampleur nationale qu’a pris ce procès en Angleterre, les prescriptions de ces traitements médicaux sont en réalité très minoritaires, et Grace Lavery rapporte sur Foreign Policy qu’uniquement 161 prescriptions ont été faites durant l’année scolaire 2019-2020.

Derrière les préoccupations médicales de façade, les personnes trans attaquées

Si le taux de prescription est presque suffisamment faible pour être anecdotique, l’ampleur nationale qu’a pris le procès autour de ces traitements dans la presse ou l’opinion publique en Angleterre peut être expliquée par une chose : une véritable campagne transphobe nationale s’est construite autour.

Car plus que les centres médicaux, ou même les traitements eux-mêmes, c’est bien la transidentité et le droit à l’autodétermination qui sont remis en question. Les avocats des plaignants ne s’en cachent d’ailleurs pas, et ciblent directement les parcours médicaux de transition au tribunal. Comme le rapporte la BBC, l’axe central de la plaidoirie était le fait que la prise de bloqueurs de puberté augmenterait jusqu’à “une très haute probabilité” la prise de traitements hormonaux dans le cadre d’un parcours de transition, attribuant ainsi, par un lien de causalité pour le moins douteux, les effets irréversibles de ces traitements hormonaux pris par des adultes aux bloqueurs de puberté prescrits aux enfants.

En ignorant par ailleurs les effets tout aussi difficilement réversibles et les conséquences psychiques d’une puberté non-voulue pour les jeunes personnes trans, le sens de ce procès est clair. Il ne s’agit pas d’attaquer une procédure médicale, encore moins de se préoccuper de la santé des enfants qui suivent ce traitement, mais de stigmatiser ouvertement tout un pan de la population qui subit déjà de plein fouet les discriminations et la précarité.

Les réactionnaires de tous bords unis dans la transphobie

La presse de droite conservatrice anglaise s’est ainsi félicitée du dénouement de ce procès. Se sont joint à elle non seulement une partie de la presse dite de centre gauche, mais aussi un secteur qui se réclame du “féminisme gender-critical”, tous unis autour de la même rhétorique réactionnaire : la “protection des enfants”, ou l’idée d’une “mode inquiétante” qui se répandrait, comme le titre The Observer. Une rhétorique familière utilisée contre la communauté LGBT qui vise à dépeindre les gays, les lesbiennes, les bisexuels, et les personnes trans qui sont aujourd’hui particulièrement ciblées, comme des menaces sournoises et internes à la société.

Au cœur de ces discours : la question de la fertilité. Le mot apparait 23 fois dans la décision de justice rendue par la Haute Court (encore même plus que le mot “transgenre”, comme le souligne Foreign Policy !) bien que les traitements bloqueurs de puberté n’aient à eux seuls aucun effet sur les capacités reproductives.

La rhétorique est celle d’un débat réactionnaire mené au Royaume-Unis par le mouvement “gender critical”, qui n’a de féministe que le nom. Avec J.K. Rowling en figure de proue, ce mouvement voudrait voir revenir au centre des préoccupations pour les droits des femmes les questions liées à ce qu’elles définissent comme leurs “droits biologiques”, et pointer comme premier ennemi des mouvements féministes les personnes trans. J.K. Rowling s’est d’ailleurs encore illustrée par sa transphobie à l’occasion de cette décision de justice, en invitant à dépasser à grand renfort de rhétorique transphobe ce qu’elle définit comme “un climat de peur autour des questions trans”.

Car ce que menacent les personnes trans pour ces prétendues féministes, c’est la norme biologique qu’elles définissent pour les femmes autour de la notion de fertilité. Une notion profondément réactionnaire qui, en essentialisant les femmes, menace les acquis de toute la seconde vague du féminisme en termes d’émancipation et de droit à l’auto-détermination hors du carcan des rôles assignés aux femmes par la société patriarcale. C’est sans surprise que la droite conservatrice et religieuse se retrouve dans cette rhétorique, comme la chroniqueuse de droite chrétienne Eugénie Bastié qui tente d’importer en France cette polémique autour des inhibiteurs d’hormones.

Le justice anglaise a rendu ici une décision qui met en péril le droit à l’autodétermination et l’accès à la santé des personnes trans, avec le soutien implicite des National Health Services qui ont “salué la clarté” de l’issue du procès selon la BBC. Une occasion qui a été saisie par les réactionnaires de tous bords, de la droite traditionnelle jusqu’aux mouvement “gender critical”, pour mener une campagne de haine qui cible les personnes trans, déjà parmi les plus discriminées et précarisées.

Pour les féministes aujourd’hui en Angleterre ou en France, il n’est pas possible de penser que la rhétorique essentialiste du mouvement “gender critical” est autre chose que profondément réactionnaire. La décision de la Haute Cour de la justice anglaise montre également que l’État bourgeois ou sa justice ne peuvent être les garants des droits des personnes trans, ni plus largement de ceux des personnes LGBT ou de toutes les femmes. La seule chose qui permet d’acquérir ces droits et les conserver, c’est la construction d’un rapport de force par un mouvement féministe et LGBT, indépendant de toute institution de l’état, et qui se positionne fermement pour l’auto-détermination contre toutes les positions réactionnaires.

 
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