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19 de novembre de 2020 Twitter Faceboock

Macronisme
Le Conseil de Défense, expression des traits les plus anti-démocratiques de la Ve République
Anna Ky

Depuis le début de la crise sanitaire en mars dernier, Macron aurait convoqué le Conseil de Défense plus d’une quarantaine de fois. Supplantant le conseil des ministres, renforçant les pouvoirs présidentiels, de quoi cette instance héritée du mandat de Sarkozy est-elle le nom ?

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Crédit photo : THIBAULT CAMUS/AFP

Le Conseil de Défense et de Sécurité nationale (CDSN) tel qu’on le connaît aujourd’hui a été mis en place en 2009, sous la présidence Sarkozy. Dans le décret publié le 24 décembre 2009 qui en définit les contours, les prérogatives qui reviennent à cette instance recouvrent un large champ. Il est dit que ce conseil « définit les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Il en fixe les priorités. »

C’est le président Hollande qui va commencer à réunir régulièrement cette instance à partir des attentats de 2015. Un Conseil que Gaspard Gantzer, ancien chef de communication de François Hollande juge bien pratique : « C’est l’instance idéale pour gérer une crise puisqu’elle fait remonter à l’Élysée la prise de décision ». En d’autres termes, la convocation du Conseil de Défense par le Président lui permet de passer outre son Premier ministre, pourtant sensé coordonner l’action des différents ministères et administrations d’État.

Le recours systématique au Conseil de Défense par Emmanuel Macron (plus de 40 fois depuis le début de l’année 2020 !) renforce encore plus les pouvoirs concentrés par le seul président au sein de la Ve République. En effet, toujours selon le décret du 24 décembre 2009, c’est au Président qu’il revient de choisir les membres du gouvernement qui composent cette instance, et lui également qui peut choisir d’inviter « toute personnalité en raison de sa compétence » à participer aux réunions.

Ainsi, depuis plusieurs mois, cet organe réunissant Emmanuel Macron, son Premier ministre Jean Castex, Olivier Véran (ministre de la Santé), Bruno Le Maire (ministre de l’Economie) et Elisabeth Borne (ministre du Travail), mais aussi Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, et Jean-François Delfraissy (président du Conseil scientifique), vient supplanter le traditionnel Conseil des Ministres. Conseil des ministres jugé trop protocolaire et formel, mais surtout trop peu confidentiel selon Macron, puisqu’il doit émettre des comptes-rendus publics. Un ministre a ainsi ironisé auprès des journalistes du Monde, à propos du Conseil des ministres : « Le président sait la confidentialité d’une réunion à quarante personnes. »

Objectif affiché du Conseil de défense, l’enjeu est donc de réduire les risques de fuites quant aux politiques décidées au sommet et faire reposer sur Macron l’ensemble des décisions relatives à la gestion de la crise dans tous ses aspects. A tel point que le président a pris la décision hautement symbolique de déplacer les réunions de ce conseil, qui se tenaient auparavant dans le poste de commandement Jupiter dans les sous-sols de l’Élysée, vers le salon Murat qui est le lieu traditionnel des Conseils des ministres. De plus, alors que les Conseils de défense se tenaient dans le prolongement des Conseils des ministres, avec Macron désormais ils ont lieu avant et font du conseil des ministres une véritable chambre d’enregistrement.

Plus encore. Non content de recourir à tout-va à cette instance déjà profondément opaque et anti-démocratique, le président convoque la Conseil de défense dans son format restreint. Une modalité qui permet aux réunions et échanges au sein de ce conseil de bénéficier d’un classement secret-défense. La convocation systématique de ce conseil de défense restreint vient donc supplanter totalement le conseil des ministres, à tel point que le 28 octobre, seuls les membres de cette instance opaque avaient été avertis du reconfinement prononcé quelques heures plus tard.

Ce recours systématique aux Conseils de Défense pour décider de la politique à mener – actuellement face à la crise sanitaire – fait partie d’éléments qui visent à instaurer une forme de régime d’exception permanent, permis par un ensemble de mécanismes de la Ve République. Interviewé par Jean-Dominique Merchet, l’historien Nicolas Roussellier décrit ainsi ce fonctionnement de l’exécutif : « On observe un fonctionnement "parfait" de la Ve République, parfait dans le sens de sa propre logique. [...] L’organisation des conseils de défense à l’Elysée a réglé la question de bicéphalie de l’exécutif entre le Président et le Premier ministre. Le Conseil des ministres devient un mécanisme sans ressort, sans grande importance. Au Conseil de défense, le Président convoque qui il veut et il ne doit pas s’expliquer devant le Parlement. On tend vers ce que l’on pourrait appeler un décisionnisme parfait, en éliminant le débat parlementaire contradictoire, libre et approfondi. La communication sur les conseils de défense, qui rythme désormais l’agenda, vise à donner l’impression que l’on agit au lieu de délibérer. Elle permet de faire savoir à l’opinion qu’il y a un pilote dans l’avion. Les métaphores constantes empruntées à la guerre, y compris désormais sur le plan sanitaire, visent à convaincre qu’il faut un généralissime. »

Et c’est le propre de la Ve République, précisément instaurée par un Général en 1958, d’accroître et concentrer conséquemment les pouvoirs accordés au Président, et de renforcer un ensemble de mécanismes particulièrement anti-démocratiques. Parmi ces mécanismes, outre les Conseils de défense, on peut aussi citer le recours des gouvernements successifs à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer des projets de loi en force, un recours accru aux forces de répression (au travers de l’Opération Sentinelle et du Plan Vigipirate par exemple), mais aussi l’intégration de nombreuses mesures de l’état d’urgence dans le droit commun.

Mais le recours croissant à cet arsenal anti-démocratique que met à disposition la Ve République n’est pas sans revers pour Macron. En effet, en concentrant les pouvoirs et les décisions politiques autour de la figure présidentielle, le premier ministre et les « corps intermédiaires » ne jouent plus aujourd’hui le rôle de fusible qui étaient le leur autrefois. Et la colère sourde qui émerge contre la gestion désastreuse de la crise sanitaire et économique, contre l’offensive sécuritaire du gouvernement, se cristallise aujourd’hui centralement contre cette figure présidentielle. Il s’agit désormais de transformer cette colère en plan de bataille pour combattre l’ensemble de ces attaques anti-démocratiques, rejeter la concentration des pouvoirs au sein de si peu de mains.

Comme nous le rappelions récemment dans un article intitulé « Macronisme, bonapartisme et escalade sanitaire et sécuritaire » : « Les conditions sociales sont encore plus dégradées qu’auparavant et le macronisme est encore moins capable de générer consensus et adhésion. C’est bien la façon dont l’état d’esprit et la colère précipiteront les choses dans la période à venir qui est en jeu. La gauche révolutionnaire, de ce point de vue, devrait jouer un rôle de catalyseur, afin que ce soit sur notre terrain que ce ras-le-bol explose. Un constat qui rappelle la nécessité de consolider et de transformer sur le plan stratégique les instruments politiques déjà existant en lien avec l’ensemble de celles et ceux qui refusent de payer leur crise et, plus généralement, de sauver la peau du capitalisme au prix de leur vie ou de celle de leurs proches. »

 
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