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La Izquierda Diario
3 de novembre de 2020 Twitter Faceboock

Droit à l’IVG
Pologne : « On manifeste contre la violation des droits des femmes et pour la fin du gouvernement du PiS »
Philippe Alcoy

Dagmara Zawistowska-Toczek, enseignante dans la ville de Gdansk, revient pour RévolutionPermanente.fr sur l’énorme mouvement social pour le droit à l’IVG qui secoue la Pologne. Entretien.

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La Pologne a vu d’énormes manifestations se dérouler depuis le 22 octobre dernier quand le Tribunal Constitutionnel a décidé d’interdire presque toutes les possibilités d’avorter. Un grand mouvement déclenché par les femmes et la jeunesse mais qui a été très largement rejoint par différents secteurs de la société. Un mouvement qui est également devenu un catalyseur de la colère populaire contre le gouvernement ultraconservateur et réactionnaire du parti Droit et Justice (PiS). Comme preuve de cette colère massive, vendredi dernier une énorme manifestation a réuni plus de 80 000 personnes.

Nous avons interviewé Dagmara Zawistowska-Toczek, enseignante dans la ville de Gdansk qui prend part activement au mouvement, pour qu’elle nous offre un aperçu de la situation sur place.

Révolution Permanente (RP) : Depuis presque deux semaines les Polonaises et les Polonais manifestent dans tout le pays contre une restriction supplémentaire au droit à l’avortement. Comment s’organisent les différentes actions dans chaque ville et dans le pays ? Existe-t-il des comités ou des formes d’organisation à la base dans les quartiers, lieux d’étude et/ou de travail ?

Dagmara Zawistowska-Toczek (DZT) : Toutes ces manifestations en Pologne sont des actions spontanées, qui partent d’en bas, et il n’y a pas de coordination centrale, pas de leader. Les protestations sont spontanément nées après l’annonce du verdict de la Cour Constitutionnelle sur l’avortement le 22 octobre. Les gens postent simplement les événements sur FB, ce sont souvent des jeunes femmes, des étudiants, des voisins de quartier, des artistes, des activistes sociaux locaux. Par exemple, le Comité des Protestations Familiales a déclenché une manifestation à Sopot, et des organisations culturelles ou encore des groupes de musique annoncent la multiplication des TechnoBlocks dans différentes villes (une marche happening au rythme de la techno).

Différents groupes de manifestants se réunissent, s’unissent et défilent ensemble pacifiquement. Dans Gdańsk, par exemple, la grève des jeunes est une idée d’un adolescent-activiste qui a invité des élèves des écoles de Gdańsk à la manifestation. Ils ont fixé l’heure de départ (à 16 heures car de 8 à 16 heures les moins de 16 ans ne peuvent sortir sans l’autorisation de leurs parents) et le lieu (la mairie, en face du Kuratorium – bureau qui contrôle les enseignants), ils ont choisi les orateurs et le parcours de la marche, et ont informé les médias et les députés locaux.

La situation est similaire dans les petites villes et dans la capitale. Un mouvement social informel et non partisan, « La Grève nationale des femmes » intervient dans les manifestations (il est né pendant les manifestations de 2016, les principales activistes sont Marta Lempart et Natalia Pancewicz). Nous, femmes habillées en noir, nos maris, fils, frères, manifestons contre la violation des droits des femmes et demandons la fin du gouvernement "Droit et Justice". C’est une merveilleuse forme de démocratie directe de la société outragée pendant la crise.

RP : Justement, bien que l’élément déclencheur des manifestations ait été l’attaque au droit à l’avortement, comment expliques-tu que le mouvement soit devenu une contestation générale de l’ensemble de la politique du gouvernement ?

DZT : Plusieurs raisons expliquent cette opposition violente à la politique du gouvernement de Droit et Justice (PiS), et le processus qui a conduit à cette situation est observé depuis plusieurs années. L’ampleur des manifestations peut être surprenante. C’est comme un tsunami.

Le facteur direct est certainement la déception des Polonais après les élections présidentielles de cet été. Les Polonais se sont finalement mobilisés : l’opposition au Sénat a bloqué les élections en raison de la pandémie, puis nous avons eu un taux de participation élevé de plus de 68% malgré le Coronavirus. L’adversaire de Kaczyński, le charismatique et jeune président de Varsovie Rafał Trzaskowski (de la Plateforme civique) n’avait presque aucune chance mais il a obtenu 48,97% des voix (contre Duda - marionnette de Kaczyński - 51,03%).

Le deuxième facteur est la politique absurde du gouvernement pendant la pandémie : les ministres et les technocrates (Kaczyński) ont pris des décisions stupides, à courte vue (économique et sociale) et ont été incohérents. Aujourd’hui, les Polonais mourants en paient le prix et la colère est énorme.

Le gouvernement a gaspillé les mois d’été et, au lieu de préparer les écoles à l’apprentissage en ligne, les hôpitaux et les services de santé à sauver les personnes infectées, il s’est occupé de la campagne électorale de son président. Les enseignants n’ont pas d’ordinateurs dans les écoles, il n’y a pas de plateforme éducative uniforme (il faut encore improviser), les médecins n’ont pas de matériel ou de places dans les hôpitaux, il n’y a pas assez de médecins et d’infirmières pour faire fonctionner les respirateurs - les gens demandent pourquoi cela n’a pas été pris en charge depuis plusieurs mois.

Scandales gouvernementaux successifs avec l’achat de masques et de matériel médical (par exemple le gouvernement a acheté 1200 respirateurs pour 200 millions de zlotys à un ancien marchand d’armes et ne les a jamais reçus), violation ostentatoire par les politiciens des interdictions appliquées à la population, censure des médias, sont devenus le quotidien des Polonais.

Le troisième facteur qui a déclenché le mouvement a été le traitement des médecins et des services de santé. En 2017, les médecins résidents se sont mis en grève (il y a même eu une grève de la faim), puis à nouveau en 2019, ils ont annoncé un désastre dans le service de santé, car 10 % des médecins en Pologne ont plus de 70 ans et les jeunes vont à l’étranger. Maintenant que les médecins et les infirmières se battent héroïquement pour chaque vie, que les ambulances se tiennent 6 heures sous l’hôpital et que des gens y meurent, le vice-premier ministre Sasin a déclaré publiquement début octobre que tout est de la faute des médecins car certains d’entre eux ne veulent pas travailler pendant l’épidémie.

Le quatrième facteur est le traitement dans ce pays des femmes et des minorités, par exemple des minorités sexuelles. Nous sommes descendus dans les rues avec des parapluies et des cintres le « Lundi noir » d’octobre 2016 dans environ 150 villes polonaises, lorsque la Diète a rejeté le projet de loi "Sauver les femmes" et a repris le projet "Stop à l’avortement". Nous avons protesté à plus petite échelle lorsqu’en juillet de cette année, le ministre de la justice Ziobro a déclaré le début du processus de retrait officiel de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et que le Premier ministre Morawiecki a soumis une motion au Tribunal Constitutionnel (repris par les juges du PiS) pour examiner la conformité de la convention avec la Constitution polonaise.

RP : Un autre symbole qui attire beaucoup l’attention depuis l’étranger, c’est que les manifestants expriment beaucoup de mécontentement vis-à-vis de l’Eglise catholique alors que la Pologne est l’un des pays les plus catholiques de l’UE. Pourquoi cette contestation contre l’Eglise ?

DZT : L’affirmation selon laquelle la Pologne est le pays le plus catholique n’est plus valable. Les statistiques montrent le nombre de baptisés (environ 39 millions), et cela n’a rien à voir avec la pratique de la foi (selon les rapports de l’Eglise, 20%, soit environ 7,8 millions, sont admis à la communion chaque année). D’une part, de plus en plus de Polonais sont non-croyants et très critiques envers l’Église, et d’autre part, des prêtres sages et sensibles critiquent l’Église aussi. Pourquoi ? Les Polonais en ont assez de voir l’Église mélanger ouvertement la politique, l’éducation à l’école et les questions les plus importantes - l’arrogance et l’hypocrisie des scandales pédophiles.

Après la publication de deux importants documentaires des frères Siekielski "Ne le dites à personne" (Tylko nie mów nikomu, 2019), "Cache-cache" (Zabawa w chowanego, Mai 2020) la réaction de l’Eglise polonaise a malheureusement été limitée : la société et les victimes attendent toujours que les criminels en soutane soient punis. Les prêtres qui critiquent l’Eglise sont interdits de prêcher ou quittent l’état sacerdotal, et des prêtres qui ont violé des enfants pendant des années travailleraient encore dans des écoles, et en tous cas prêchent toujours aujourd’hui, organisent des prières pour les enfants, etc. Il s’est avéré que certains évêques protégeaient des prêtres pédophiles et les déplaçaient vers d’autres paroisses lorsque leurs victimes signalaient un crime, et qu’ils pouvaient ainsi continuer à faire du mal à d’autres enfants.

C’est pourquoi aujourd’hui pour les Polonais, l’Eglise n’est plus un symbole de foi, mais un symbole de fausseté et d’avidité (achat de biens immobiliers sans prix, frais de services sacerdotaux). C’est aussi un symbole de l’endoctrinement conservateur de droite dans les écoles.

Ajoutez à cela les vues fondamentalistes de l’Église sur le rôle des femmes et l’attitude envers les minorités sexuelles. Personne ne détruit les églises pendant la manifestation, aucun prêtre n’est attaqué, juste une protestation silencieuse (s’asseoir à l’autel, venir à la messe en costume de la série "The Handmaid’s Tale", se tenir devant l’affiche de la curie épiscopale), et pour les ultra catholiques c’est une attaque. Après le discours de Kaczyński, les manifestants évitent même les églises et les symboles chrétiens, mais l’Eglise devra faire face à cette crise.

RP : Jarosław Kaczyński, le vice-premier ministre et homme fort du pays, a exhorté ses partisans à « défendre les églises ». Justement, quel est le rôle de l’extrême-droite actuellement ?

DZT : Les Polonais interprètent le discours de Kaczyński comme un signe de faiblesse et de désespoir, ce que confirment les derniers mois de la scène politique de droite. Cependant, la décision de la Cour dans l’affaire de l’avortement est perçue comme une tentative de Kaczynski de regagner la faveur des membres conservateurs du PiS, ainsi que de l’électorat de l’Église, mais cette bombe a explosé au visage de Kaczyński. Aujourd’hui, La Droite Unifié a contre elle non seulement l’opposition et les milieux libéraux et de gauche, les médecins, les enseignants, les jeunes, mais aussi les agriculteurs.

Il est intéressant de noter que les jeunes leaders d’extrême droite (après un résultat élevé au premier tour des élections de leur candidat Bosak de la Confédération) sont également soumis à l’hostilité de la société, et au Parlement ils doivent se couper de la politique gouvernementale afin de conserver le reste du soutien.

RP : La dernière fois qu’on t’avait interrogée c’était à propos de l’énorme grève des enseignants en 2019. Quelle est la situation des profs aujourd’hui ? Sont-ils en train de participer aux mobilisations pour le droit à l’avortement, avec leurs propres revendications en tant que catégorie importante de la société ?

DZT : La grève de nos enseignants a été formellement suspendue et n’a pas pris fin, malheureusement, nos demandes n’ont pas été satisfaites. En septembre 2019, la grève s’est transformée en une action de protestation indéfinie (la grève italienne et l’accomplissement des seules tâches prévues par la loi). Aujourd’hui, les enseignants participent en masse à des manifestations contre la violation des droits des femmes et contre le gouvernement du PiS, et nous avons de nombreuses raisons.

La crise de l’éducation après la réforme s’est aggravée car les écoles ont un double annuaire et nous travaillons par roulement dans des bâtiments surpeuplés. Nous enseignons selon deux "programmes de base" différents - l’ancien, neutre, et le nouveau, très idéologisé. En outre, des milliers d’enseignants ont quitté la profession pour bénéficier de prestations de retraite anticipée et de pensions et il n’y a tout simplement plus personne pour enseigner (rien qu’à Varsovie, il y avait 1 300 enseignants au début de l’année scolaire), car les jeunes ne cherchent pas d’emploi à l’école pour 2 2166 PLN (environ 470 EUR).

On ne sait toujours pas ce que sera le bac de 2023, et ce chaos unit les enseignants et les jeunes, les parents, dans leurs protestations. L’école est aujourd’hui un lieu de guerre idéologique et de contrôle croissant par les Superintendants/Kuratorów (fonctionnaires chargés de superviser le travail des écoles, nommés par le ministre de l’éducation).

En juin 2020, le bac n’a pas été annulé, mais les écoles sous-financées ont dû acheter elles-mêmes le matériel pour respecter les mesures de protection. Les spécialistes ont recommandé de ne pas ouvrir les écoles à l’automne ou du moins de tester les enseignants - mais le gouvernement a ignoré cette recommandation. Lorsque les premières infections sont apparues, le chaos s’est installé dans les écoles, il n’y avait plus moyen d’enseigner normalement. Fin septembre, un seul enseignant a transmis l’infection à plusieurs écoliers, mais le gouvernement a insisté sur le fait que la situation était sous contrôle, que c’était seulement... les enseignants qui ne voulaient pas travailler.

L’élection d’un nouveau ministre de l’éducation a été perçue par les enseignants comme "un crachat au visage". C’est un populiste de droite primitif, qui non seulement ne connaît pas l’éducation, mais pense que les femmes qui ne veulent pas devenir mères uniquement pour continuer à travailler et prétendent avoir les mêmes droits que les hommes, sont folles. Il veut lutter contre la prétendue propagation du genre et de l’idéologie LGBT dans les écoles, où les adolescents en raison de leur orientation sexuelle se suicident.

Malheureusement, nous ne formulons pas de revendications séparées, bien que le syndicat des enseignants polonais ZNP ait critiqué la nomination d’un nouveau ministre, il n’y a pas de participation officielle à la grève des femmes et aux manifestations. Personne n’est surpris que les enseignants se soient joints aux protestations, nous soutenons les jeunes dont nous sommes fiers, spontanément, pas sur les recommandations du syndicat. De plus, nos directeurs, qui sont contrôlés par les bureaux des surintendants de l’éducation ne nous soutiennent qu’officieusement (ils nous donnent des congés sans solde pour aller aux manifestations). On peut accrocher des croix à l’école, mais pas d’affiches sur la grève des femmes - le surintendant de Mazovie est intervenu lorsque les employés de l’école maternelle les ont affichées. Nous sommes donc descendus dans la rue avec nos étudiants pour crier, dans une colère impuissante.

RP : Que peux-tu nous dire sur le rôle de la jeunesse dans ce mouvement ?

DZT : Les femmes et les jeunes sont peut-être actuellement les deux groupes les plus lésés par la politique du gouvernement de droite dans la société polonaise. Les adolescents des années 2003-2005 sont victimes d’une réforme de l’éducation inutile et mauvaise. Je travaille dans différentes écoles depuis 20 ans et je n’ai jamais vu d’adolescents aussi politiquement conscients et prêts à l’action. Après les élections législatives de 2019, où le PiS a de nouveau gagné, ils n’évitent plus les déclarations des partis politiques, ils se sont engagés à aider les enseignants en grève.

Ils n’attendent pas passivement les changements mais agissent. A l’image de mon fils par exemple, au lieu d’apprendre des formules idéologiques et des anachroniques manuels scolaires surchargés, ils s’engagent dans l’autonomie scolaire et le bénévolat dans les communautés locales, dans l’activité des fondations, les grèves climatiques. Ils sont très conscients et critiques de la politique du gouvernement de droite, des jeunes qui veulent vivre dans un pays libre et démocratique et qui sont actuellement méthodiquement privés de cette liberté. Ils sont naturellement devenus la force motrice des protestations.

Propos recueillis par Philippe Alcoy.

 
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