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La Izquierda Diario
12 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Exposition
Les violences policières en toile de fond de l’exposition à succès de l’école Kourtrajmé au palais de Tokyo
Tom Cannelle

L’exposition « jusqu’ici tout va bien », résultat du workshop de l’école de cinéma Kourtrajmé de Ladj Ly, a pris place du 29 août au 11 septembre au palais de Tokyo. Autour du thème de la situation dans les quartiers populaires entre 1995, avec la Haine (film de Matthieu Kassovitz), et 2020, avec Les Misérables (film de Ladj Ly), les artistes questionnent les violences policières, la place des femmes et des minorités de genre etc. dans les quartiers populaires.

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Crédits photos : © Laura Seigneur

Une immersion dans le quotidien des habitants des quartiers populaires

Un parcours qui commence par une immersion dans l’ambiance des années 1990 avec l’œuvre d’Emilie Pria La chambre de Sarah, installant comme un décor de théâtre dès l’entrée, un portrait en creux, une chambre de jeune fille. Posters de Titanic, Gameboy color jaune, minitel et panière de linge salle, c’est comme un entrée in medias res dans ce que l’on se représente du quotidien de la jeunesse des personnages féminins de La Haine, la sœur de Vinz dans le film. En face, comme un pendant, l’œuvre d’Ismaël Bazri : Sans Plomb représentant une installation de moto orange démontée, pièce à pièce. En tournant autour, on découvre des photos de jeunes hommes cabrant sur leurs motos représentant, selon les mots de l’auteur : « un besoin d’adrénaline, une manière de tuer le temps ». Cette œuvre laisse un sentiment étrange entre l’atelier d’un passionné de mécanique et un accident enjolivé. Cet « accident » qu’on devine c’est celui de Sabri à Argenteuil en 2020, d’Ibrahim Aba en 2019 et tous les autres jeunes de quartiers blessés ou tués sur la route par la police auxquels l’artiste rend hommage.

L’espace dans lequel s’inscrit ces deux œuvres, les premières que l’on perçoit de l’exposition, est comme un parcours de présentation : un balcon recréé s’insère à gauche de l’entrée , avec ses caddies, linge suspendus etc, la chambre, la moto comme un contexte et au bout de l’espace, comme suspendue au dessus de nos têtes, comme une épée de Damoclès : l’œuvre de Clément Perrin , Objet à détruire. Une voiture de police immense, suspendue à l’envers et éventrée, laissant au sol pavés et plumes. Une manière ironique d’évoquer la police, les poulets, la révolte, les « casseurs ». Faisant peut-être référence à une phrase d’ouverture de La Haine : « nous on a pas d’armes on a que des cailloux ». Ce que l’on comprend de cette immense en pinata, comme un jeu d’enfant avec lequel on grandit, c’est qu’elle est omniprésente, l’éternelle menace, susceptible de nous assommer par son contenu. Elle est entièrement partie prenante » » du décor planté dans ce premier espace de l’exposition.

La confrontation

Au bout de se premier espace, on navigue entre des chaises de jardin Monobloc coulées dans le béton d’Ismail Alaoui Fdili, dans son œuvre Ouaiçiboulaa !, dans ce matériau pérenne, comme immuables, au son de l’installation vidéo sonore Cacophonique d’Assia Labbas, Eloïse Monmireil et Lila Azeu. Cette dernière présente quinze écrans mêlant des diffusions d’extraits de La Haine, des Misérables et de différents médias montrant les violences policières, les analysant ou les défendant. Ainsi on peut voir Révolution Permanente interviewant Omar Slaouti, Médiapart transmettant un discours d’Assa Traoré, Rémy Buisine couvrant les affrontements de Villeneuve-la-Garenne mais aussi des discours ministériels en défense des policiers de Castaner, Macron, Darmanin, des éditorialistes des médias dominants comme BFM, LCP etc. Ces écrans en surplombent trois, petits, posés au sol montrant un volcan en éruption, des coulées de lave en fusion.

Après être entré dans le quotidien des quartiers, où, comme nous l’avons vu, la police est une menace et un danger omniprésent, c’est une confrontation avec la vision que portent médias et politiques dominantes sur les réalités des quartiers qui est violent. C’est une mise en parallèle entre les univers fictifs de Mathieu Kassovitz et Ladj Ly qui rendent compte d’une réalité décrite par les militants anti-racistes dans les médias militants et le discours institutionnel. Une confrontation avec ceux qui voient dans le habitants des quartiers d’éternels casseurs à combattre, comme une entité immuable. C’est ce que montre le dialogue qui peut s’opérer avec l’œuvre des chaises en béton : le béton des quartiers, comme ses habitants évoqués par les chaises génériques parfois brisées, sont une réalité fixée « qu’il faut mettre au pas », de gré ou de force et est le rôle de l’institution policière, celle que défendent les politiques et les grands médias.

C’est dans ce deuxième espace que se trouve la salle de projection où l’on peut voir le film Uber Life de Tassiana Aïttahar, qui a suivi le quotidien des chauffeurs-livreurs dans le Val-de-Marne. On est plongés dans leur quotidien entre les courses, les parties de foot, l’attente etc. Au cœur du quotidien de ces jeunes trvailleurs qui vivent la discrimination dans leur quartiers et dont le travail ne fait qu’accentuer la précarité de leur situation. « Ce métier ne confère ni sécurité, ni couverture sociale, ni horaires fixes, ni congés payés. Ces travailleurs ne connaissent jamais le montant de leur revenus avant la fin du mois » dit l’artiste.

Ce deuxième espace d’exposition est placé sous le signe de la confrontation donc, la confrontation au discours dominant, confrontation avec la précarité imposée. Sous le signe de la lutte aussi, mené par les femmes. C’est dans la série d’auto-portrait photographiques dirigésTa mère qu’Elea Jeanne Schmitter explore la figure de la femme combattante « porte étandard » comme elle le décrit, Assa Traoré en figure de proue. Des portraits de celles qui luttent donc, mais cette lutte est peu délimitée, et l’on comprend que le prisme qui est choisi est celui de la lutte pour se faire une place dans la société, de l’activiste à la galeriste, de la travailleuse du sexe à la cheffe de chantier. Mettant sur le même plan une lutte pour son émergence personnelle au sein de la société telle qu’elle est, et une lutte qui a une porté plus grande : celle contre les violences policières qui mobilisent des milliers de personnes dans les rues, dans l’optique d’un changement radical de système.

La révolte

Le passage au troisième espace d’exposition est un mur retraçant la vie d’Abdel, personnage de la Haine dont les blessures par la police constitue le nœud de l’histoire. Dans cet ultime espace, on est face à des œuvres montrant la révolte des habitants des quartiers populaires face au musellement qu’on leur impose et le manque de perspective dans ce système. Révolte qui en rejoint d’autres comme le fait bien l’œuvre d’Andrea Ferrari,Téma l’émeuh’te qui présente, dans une vache grandeur nature, référence explicite àLa Haine, deux écran qui passent des images des révoltes de 1995 à aujourd’hui montrant non seulement la présence grandissante et le surarmement croissant des forces de police mais aussi comment il se font dépasser par la foule, des émeutes des quartiers aux gilets jaunes créant ainsi un pont avec le dernier mouvement social qui a fait trembler le système en France.

La dernière œuvre de ce parcours

Les quartiers populaires au cœur d’une exposition du palais de Tokyo

Ce que décrit ce parcours d’exposition en immersion dans les conditions et les désillusions des habitants des quartiers populaires est une réalité aujourd’hui de plus en plus pointée dans des œuvres d’art, des médias miltants etc, et combattue via des luttes dans la rue. En effet, si les œuvres de Ladj Ly, tout comme La Haine en 1995, ont eu tant de succès, c’est qu’elles mettent en lumière le quotidien de ceux qui sont mis à la marge de la société, précarisés, ghettoisés dans des moments de forte pression contestataires de cet état de fait. Le succès de l’exposition au palais de Tokyo reflète la portée des luttes qui aujourd’hui ébranlent cet ordre établi. Des États-Unis à la France, depuis le meurtre d’Adama Traoré et d’autant plus depuis celui de Georges Floyd en mai dernier, un mouvement contre les violences policière qui ont fait ressortir de manière plus ou moins radicale le racisme systémique des différents état du capitalisme avancé.

C’est ce même flou stratégique de la lutte, qui met sur le même plan diverses opinions sur l’analyse de la situation des quartiers et de la manière de lutter apparaît dans l’exposition. Par exemple, dans l’œuvre d’Ismaël Bazri, la dénonciation de « bavures policières » là où Assia Labbas, Eloïse Monmireil et Lila Azeu perlent de « violences » qui induisent un caractère systémique de ces meurtres et agressions, ce qui correspond, dans leur œuvre à la monstration de la justification par le gouvernement et les grands médias des violences perpétrés dans les quartiers. Certaines des œuvres commeTa mère d’Elea Jeanne Schmitter, prennent ainsi un tournant individualiste de réussite personnelle, comme une tentative d’émerger dans son propre domaine et de « gagner » pour soi une sorte « d’émancipation » factice dans ce sytème qui, bien que ponctuellement des femmes réussissent, continuera d’opprimer les habitants des quartiers. Cette œuvre en particulier met sur le même plan donc la lutte pour la justice et la vérité pour Adama, un combat qui a mobilisé jusqu’à 40 000 personnes et dont les mots d’ordres ont pu être très radicaux et l’enrichissement personnel d’une galeriste.

Pour conclure, malgré les quelques limites décrites ci-avant, il est très intéressant de noter la dynamique d’émergence de formes artistiques qui mettent au centre la question des oppression et en ce sens joue un rôle progressiste. Ainsi que la tenue dans une telle institution et succès de cette exposition en corrélation avec la pression de la rue et des mobilisations ?

 
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