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10 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Tribune libre
Algérie. Un féminicide déclenche une vague de colère contre les violences faites aux femmes
Fadou Lallanour

Le féminicide d’une jeune fille de 19 ans, battue et violée avant d’être brûlée vive, a suscité une vague de colère et d’indignation en Algérie. Plusieurs rassemblements étaient organisés ce jeudi 8 octobre pour dénoncer les féminicides et toutes les violences faites aux femmes ainsi que la complicité du régime et de ses institutions.

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Situation socio-économique des femmes algériennes : les plus exposées à la précarité

Actuellement en Algérie la condition sociale des femmes reste dramatique malgré les avancées en matière de lois et leur participation à la vie sociale et économique.
En plus d’être victimes du patriarcat et des idées rétrogrades misogynes véhiculées par les traditions et les mœurs, leurs droits sont régis principalement par le code de la famille, promulgué de force en 1984 (issu de la charia) qui était principalement une concession pour les islamistes, réduisant les femmes au statut de mineur à vie qui les subordonne à leurs tuteurs (père, frère, fils, conjoint...). Ce code a fait l’objet d’une réforme en 2005 votée par le parlement, rappelons-le lui-même composé majoritairement d’hommes. Une réforme qui est insuffisante et reste discriminatoire pour les femmes précaires mais une avancée aux yeux des plus privilégié.e.s de la société. Paradoxalement la constitution algérienne stipule dans ses articles « l’égalité des citoyens (hommes et femmes) en termes de droits et qui proscrit toute discrimination fondée sur les préjugées de sexe, de race ou de métier aussi l’égalité civile, politique et salariale », pourtant il existe une grande différence entre ce qui est écrit dans la constitution et l’égalité dans la vie réelle.

Les femmes sont aussi victimes du système libéral et de sa politique d’exploitation sachant que les femmes algériennes représentent seulement 18% du marché du travail alors qu’elles sont 65% des diplômées annuellement. Malgré l’égalité des salaires, elles restent les plus exposées à la précarité, au chômage, au travail informel et elles sont moins nombreuses dans les postes de direction. Ce qui pénalise la femme, contrainte à fournir des efforts pour la prise en charge de son foyer tout en assumant ses tâches professionnelles, est l’absence de prise en charge adéquate des enfants durant les heures de travail et l’inexistence des services d’assistance à domicile. Un autre obstacle réside dans les choix politiques du gouvernement quia mis en place de nouvelles restrictions en matière d’emploi remettant en cause les acquis des femmes travailleuses en s’attaquant au congé de maternité. Par ailleurs les femmes travailleuses sont les plus exposées au harcèlement malgré l’existence de lois qui criminalisent le harcèlement dans les lieux de travail, leur statut de précaire ne leurs permet pas de le faire et de se défendre.

Violences faites aux femmes et féminicides en Algérie

Dans le contexte mondial de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux femmes, l’Algérie ne fait pas l’exception. « On a perdu une des nôtres », un slogan qui vise à sensibiliser sur la question des féminicides, un cri de détresse face à leur normalisation dans la société sous couvert de crimes d’honneurs et en l’absence de réelles volontés politiques d’y remédier. En Algérie les autorités ont abandonné le décompte et n’annoncent plus le nombre de femmes assassinées.

Des féministes algériennes sont montées au créneau en recensant bénévolement les cas d’assassinats. La liste s’est allongée arrivant à 38 féminicides depuis le début de l’année 2020 et cela n’est qu’un chiffre officieux. Sur les réseaux sociaux l’indignation est forte, notamment face à toutes les causes atténuantes qui sont trouvées pour l’assassin : défendre son honneur, l’inaptitude mentale, l’état d’ébriété ou jeter l’opprobre sur la femme parce qu’ayant potentiellement provoquée cette sourde colère ou commit l’adultère.

Durant les derniers mois, dans un contexte mondial de pandémie qui a paralysé le monde et imposé le confinement à des millions de familles, les femmes étaient de celles qui ont été les plus impactées par la crise partout dans le monde, en plus d’avoir perdu leur travail. Beaucoup se sont retrouvées coincées dans leurs foyers, dans des conditions de promiscuité, de précarité et exposées davantage aux violences, en absence de prise en charge immédiate de leurs plaintes. Les autorités sont restées de marbre alors même que les associations féministes n’arrêtaient pas pourtant d’alerter sur l’escalade des violences.

Chaïma Saadou, une jeune fille de 19 ans originaire d’Alger, est la dernière victime en date. Elle aurait pu rester une jeune fille anonyme parmi d’autres, et aujourd’hui son nom et ses photos ont fait le tour du pays et au-delà suite à son abominable meurtre. kidnappée, mutilée, violée puis incinérée, une horreur perpétuée par un repris de justice, poursuivi auparavant par Chaïma pour viol en 2016, âgée de 15 ans à l’époque. Chaïma et sa maman ont longtemps interpellé la justice pour les menaces et l’harcèlement qu’elle subissait de l’assassin, les plaintes n’ont pas eu de suites. Une déferlante de dénonciation et d’indignation s’en est ensuivie sur les réseaux sociaux, la colère s’est généralisée. D’autre part les autorités ont annoncé que les actes de kidnapping seraient passibles de peine maximale et ne seront pas concernés par les grâces présidentielles, mais sans réelles mesures et volontés politiques visant à prévenir les violences, à prendre en charge les femmes qui en sont victimes et à s’attaquer aux racines des violences patriarcales, Chaïma sera un nom dans une longue liste qui ne cessera d’augmenter.

Les violences faites aux femmes : reconnaissance progressive par la loi, mais inégalités persistantes dans la vie !

En Algérie, ce n’est qu’en mars 2015, et après un long combat des féministes revendiquant la pénalisation des violences faites femmes, qu’elles ont réussi à acquérir la reconnaissance dans la loi de l’existence de discriminations et violences de genre tels que la discrimination hommes femmes est interdite, le viol, le harcèlement dans toutes ses formes, les violences économiques et les violences conjugales. Malgré une résistance féroce des milieux traditionnalistes, le gouvernement a déposé un projet de loi devant l’assemblée populaire nationale. La critique a été très violente proclamant que le projet était contraire à la religion islamique. Cette loi représente une avancée en criminalisant la violence intrafamiliale et elle a ouvert un débat important dans la société en mettant en avant des questions qui étaient auparavant taboues. Elle comporte toutefois de grandes limites avec l’existence entre autres d’une clause regrettable, la clause du pardon, qui dispense de poursuite l’agresseur qui obtient le pardon de sa victime.

. Plus encore, tant que les femmes gardent une place subordonnée de par le rôle auquel elles sont assignées dans la société et dans le système de production, les violences sexistes et patriarcales perdurent dans la vie quotidienne pour des centaines de milliers de femmes.
En effet les violences sexistes sont multiples et ne se limitent pas à son expression la plus violente qui est le féminicide mais c’est aussi le nombre d’algériennes qui meurent suite aux complications de l’avortement clandestin, c’est les femmes précaires et pauvres qui subissent diverses formes de violences économiques (travail informel, le harcèlement…)
L’état est complice dans la reproduction de ces violences, la promulgation des lois et les mesures coercitives ne sont donc pas suffisantes pour mettre un terme aux violences sexistes qui ne sont que la suite d’une chaine de violences sociales, économiques et culturelles qui sont complètement banalisées par le système capitaliste et ses institutions.

Révoltées et déterminées !

Des rassemblements ont été organisés le jeudi 8 octobre par les collectifs et associations des femmes de Bejaia, Alger, Constantine, Tizi-Ouzou et Oran, pour dénoncer le meurtre de Chaïma Saadou, les violences faites aux femmes et les féminicides qui ne cessent de croître. Tenus dans différentes wilayas du pays certains rassemblement ont été réprimés, ceci constituant une énième restriction des libertés démocratiques. Ces mobilisations ne sont finalement qu’une suite logique d’une révolution en cours, d’une lutte incessante face aux politiques patriarcales et machistes, d’un ras le bol de la situation économique et sociale de toutes les femmes.

En effet La femme algérienne a toujours été partie prenante dans les mouvements de lutte et de contestation notamment lors de la guerre de libération où celle-ci a pu triompher face au colonialisme et a marqué un pas considérable vers son émancipation à travers son droit à la scolarisation et au travail. Elle a continué à lutter pour ses droits et contester les tentatives de la mise en place des lois inégalitaires notamment le statut personnel et l’avant projet du code de la famille. Tout comme elle a participé dans les mouvements sociaux et culturels et la lutte contre l’obscurantisme et l’intégrisme.

Le soulèvement populaire du 22 février est considéré comme une renaissance et un nouveau souffle pour le mouvement des femmes qui a connu un reflux face à l’hégémonie intégriste d’un coté et de l’autre l’autoritarisme du gouvernement qui piétina toutes oppositions, structures combatives et organisations durant les dernières décennies. Des collectifs de femmes ne cessent d’école depuis dans différentes régions. Des travailleuses, chômeuses, étudiantes et femmes au foyer s’organisent afin de discuter de leurs conditions de vie, débattre de leurs aspirations et des moyens pour y parvenir, et se doter de leurs propres moyens d’expression.

Le contexte actuel est marqué par le projet de la révision de la constitution que le régime veut proposer au référendum le 1er novembre prochain. Une révision qui intervient dans un contexte de pandémie où la majorité des algériens subissent encore le confinement et le musellement de toutes les libertés démocratiques. En effet, 196 travailleurs de Numilog (filiale de Cevital), et après quatre mois de mobilisation et de solidarité des masses populaires avec eux, sont menacés de licenciements pour avoir demandé le droit d’avoir un syndicat. Aussi, de nombreuses interpellations contre les activistes et les journalistes sont orchestrées afin de maintenir la pression sur le mouvement populaire à la veille de ce référendum qui stipule pourtant une "consécration constitutionnelle de la liberté de la presse sous toutes ses formes et l’interdiction du contrôle préalable sur cette liberté".

Cette révision constitutionnelle promet également plus de protection pour les femmes dans les espaces publics et professionnels, ce qui est que de la poudre aux yeux. Car à partir du moment où le code la famille est toujours là, la femme algérienne sera encore confrontée à la précarité et à la violence. C’est pour cela que le mouvement des femmes doit s’organiser encore d’avantage et s’inscrire dans une lutte qui va aller au-delà de cette nouvelle constitution que le régime veut imposer de force, afin de donner un prolongement politique au nouveau souffle que le Hirak a redonné au mouvement des femmes en Algérie. Cela pourrait se faire avec la convergence des luttes du mouvement des femmes avec les autres mouvements, pour construire une assemblée constituante souveraine, représentative des intérêts sociaux et démocratiques de tous les démunis, capable de dépasser le régime et ses institutions pourrissantes et rétrogrades.

 
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