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9 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Islamophobie d’État
Enseignement de l’arabe à l’école : Macron fait l’amalgame entre langue arabe et islamisme radical
Inès Rossi

Lors de son discours sur le « séparatisme », Emmanuel Macron a fait part de son choix d’encourager l’enseignement de l’arabe à l’école. Entre Macron qui associe langue arabe et séparatisme, et Luc Ferry qui y voit le « meilleur moyen d’islamiser la France », on retrouve l’islamophobie qui associe langue arabe et islamisme radical.

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Crédits photo : LUDOVIC MARIN/POOL/AFP

Après plusieurs semaines d’offensive islamophobe menée avec ses ministres sur le terrain de l’extrême-droite, Emmanuel Macron a annoncé, vendredi 2 octobre, que le projet de loi « contre les séparatismes », ou plutôt « le séparatisme », comme il recommence finalement à être appelé par différents membres du gouvernement, sera présenté à l’Assemblée le 9 décembre. Si le président de la République se défend de tomber dans « les pièges de l’amalgame tendu par les polémistes et extrêmes qui veulent stigmatiser tous les musulmans », le retour au « séparatisme » au singulier après une courte évocation des « séparatismes », ne fait que confirmer ce que tout le monde savait déjà, malgré le déni de certains ministres et députés macronistes : le projet de loi contre les séparatismes vise en priorité « le séparatisme islamiste ».

Le chef de l’État a ainsi décliné les « cinq piliers » de la lutte contre le séparatisme lors de son discours. Il a également également évoqué une mesure qui, quoique symbolique, fait déjà beaucoup parler d’elle : le renforcement de l’apprentissage de l’arabe à l’école. L’idée n’est pas nouvelle, puisque déjà, en 2003, sous Chirac, la commission Stasi, chargée des sujets de laïcité, pointait la « nécessité de développer l’enseignement de l’arabe dans l’Éducation nationale ».

L’arabe, une langue pas comme les autres : un présupposé islamophobe

Si la revendication de nombreux élèves et parents de pouvoir apprendre l’arabe à l’école est légitime, on ne peut par contre que se demander que vient faire cette mesure dans la lutte contre le séparatisme. Que dénote ce souhait, si ce n’est une association automatique entre apprentissage de l’arabe et dérives islamiste ? Cet amalgame est d’ailleurs totalement assumé par Gérald Darmanin. « Quand j’étais enfant, explique le ministre, mes copains, enfants de femmes de ménage comme moi et issus de familles portugaises ou espagnoles, apprenaient à l’école la langue de leurs parents. Mais mes cousins d’origine maghrébine n’avaient que la mosquée pour apprendre l’arabe… Est-ce cela que l’on veut ? » Et d’ajouter : « L’enseigner à l’école, c’est aussi un moyen de réduire le pouvoir des religieux. »

En passant sur le fait qu’historiquement, les langues des population immigrées, et en grande partie prolétaires, telles que le Portugais, le Polonais, ou encore le Turque, n’ont pratiquement pas été enseignées dans les écoles de la République, au profit des langues des grands puissances capitalistes, comme l’Anglais ou l’Allemand ; il n’en reste pas moins qu’une fois encore, les musulmans, ou considérés comme tels, car tous les arabophones ne fréquentent pas les mosquées comme semble l’insinuer Darmanin, sont pointés comme un problème, une population étrangère à la nation française qu’il convient « d’intégrer » par le biais des institutions républicaines.

Pour Jean-Michel Blanquer, c’est un constat « évident » : il faut renforcer l’enseignement de l’arabe à l’école. Quand on connaît l’état actuel de l’Éducation nationale, où l’État continue à supprimer des postes alors que le nombre d’élèves augmente, et où les salaires n’ont pas été augmentés depuis 2010, de tels propos ne peuvent que faire grimacer. Ainsi donc, quand il s’agit de taper sur les musulmans et présumés musulmans, le gouvernement est prêt à faire autant d’annonce. Mais pas sûr que de vrais investissements pour l’école publique suivent...

La sortie de Luc Ferry, figure de la droite traditionnelle, démontre également le fond islamophobe de cette nouvelle annonce. L’ex-ministre de l’Éducation nationale, avait déjà critiqué cette idée en 2018 : « Je pense que c’est une fausse bonne idée. L’Éducation nationale a très peu de contrôle sur le recrutement. Qui va enseigner ? Est-ce que ce sera une islamisation de l’Éducation nationale ? ». Il continue sur sa lancée aujourd’hui, en fustigeant une mesure qui, selon lui, serait « le meilleur moyen de booster la prolifération d’écoles coraniques ou d’écoles confessionnelles ». Ainsi la langue arabe serait d’après la droite et l’extrême-droite, indissociable de l’islamisme radical. C’est précisément la raison pour laquelle le projet de loi de Macron inclut un volet à ce sujet.

Aurélien Pradié, secrétaire général des Républicains, va encore plus loin dans le ridicule et l’islamophobie, en déclarant que « La langue de la République, c’est le français. […] Institutionnaliser à l’école l’apprentissage de la langue arabe est une lâcheté et une faute ». L’enseignement de toute langue vivante étrangère est-il anti-républicain, ou est-ce que cette odieuse sortie ne concerne que l’arabe ?

En réalité, l’enseignement de l’arabe ne concerne que très peu d’élèves. À la rentrée 2019, sur près de 5,7 millions d’élèves concernés, seuls 14 900 ont choisi d’étudier l’arabe comme langue vivante, contre 40 000 pour le Chinois, selon Le Parisien. « Plutôt que de professeurs, le ministère déplore surtout manquer… d’élèves. Un constat qui rappelle que les grandes lignes de ce débat sont, sans doute, avant tout symboliques » écrit le journal. C’est un fait marginal, aujourd’hui instrumentalisé dans le cadre d’une offensive sécuritaire et islamophobe plus large. Au-delà de la seule question de l’enseignement d’une langue vivante, toute cette polémique dénote une volonté claire de la part du gouvernement : celle de stigmatiser les populations musulmanes ou présumées musulmanes, et toutes celles et ceux qui souhaitent légitimement pouvoir avoir accès à des cours de langue arabe.

Le projet de loi contre le séparatisme, un retour réactionnaire sur la laïcité de 1905

Si le gouvernement affiche une volonté de « laïciser » l’enseignement de l’arabe, c’est bien cette nouvelle loi qui constitue une attaque contre les principes fondamentaux de la laïcité française. Prenons par exemple le premier pilier du projet de loi, présenté par Emmanuel Macron. Il vise à étendre le « devoir de neutralité » à l’ensemble des salariés du service public mais aussi aux salariés des entreprises privées délégataires des services publics. Cette proposition va à l’encontre de la loi de 1905, qui garantit au contraire la liberté d’exprimer une conviction religieuse dans l’espace public. En clair, une femme portant le voile, et travaillant dans une association délégataire de service public pourrait avoir à choisir entre perdre son travail ou enlever son voile, et enfreindre ses convictions religieuses. En 2016 déjà, la loi Savary donnait aux services de police des prérogatives pour enquêter sur les salariés postulant à certains métiers spécifiques dans les entreprises de transports comme les conducteurs de métro à la RATP, ou pour les salariés des Aéroports de Paris, et émettre un droit de veto à l’encontre de leur candidature.

De même, quand Macron parle de « labelliser des formations, certifier des imams et éditer une charte qui entraînera la révocation des imams si elle n’est pas respectée », qu’il évoque la création d’un « institut scientifique d’islamologie » ainsi que le versement de 10 millions d’euros à l’association pour l’Islam de France, cela s’inscrit dans la même volonté de « séculariser » l’islam en France. À mille lieues de la laïcité qui instaure une séparation stricte des Églises et de l’État, Macron affiche aujourd’hui une volonté de contrôler les populations musulmanes en s’appuyant sur les institutions de « l’islam de France ».

Comme nous l’écrivions le 3 octobre, c’est « une manière de ressusciter le Conseil Français du Culte Musulman créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors que l’offensive islamophobe menée à l’époque par son gouvernement nécessitait de donner le change en mettant en avant des figures musulmanes à même de défendre le mythe de « l’égalité des chances » qui volait déjà en éclat, comme en ont témoigné les révoltes dans les banlieues en 2005. Ce que ce dispositif révèle, c’est donc une tentative du gouvernement pour se prémunir d’éventuelles explosions sociales parmi les secteurs subalternes des classes populaires urbaines, par davantage de répression et de contrôle social. »

Le renforcement de l’enseignement de l’arabe dans les école de la République s’inscrit donc dans une offensive réactionnaire contre les musulmans, ou considérés comme tels, et dans une volonté de l’État français de stigmatiser ces populations pour chasser sur le terrain électoral de la droite et de l’extrême-droite, en même temps qu’exercer un contrôle social accru sur elles. L’ensemble du projet de loi contre le séparatisme au singulier rappelle le caractère institutionnel de l’islamophobie en France. Face à l’islamophobie et au racisme d’État, il apparaît donc urgent que les organisations de gauche et d’extrême-gauche, se réclamant de la jeunesse et du mouvement ouvrier, y apportent une réponse à la hauteur des enjeux, à l’image de la grande marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, qui avait été une démonstration de force sans précédents.

 
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