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3 de octobre de 2020 Twitter Faceboock

Tribune
Kanaky : s’opposer à la politique coloniale de la France
Association Survie

Dimanche 4 octobre, on vote en Kanaky. RPDimanche a donné la parole aux réalisateurs du film "Nation.s", à ce sujet. Ici, Survie propose, pour RévolutionPermanente, un autre éclairage sur la situation coloniale que connaît le pays depuis 1853. 167 ans de trop…

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Le 4 octobre 2020 aura lieu le second référendum sur l’indépendance de Kanaky – Nouvelle-Calédonie. Ce territoire du Pacifique, toujours sous tutelle française depuis sa colonisation en 1853, est engagé dans un processus de décolonisation depuis 1988, obtenu grâce aux luttes des indépendantistes kanaks. Les « événements » de 1984-1988 au cours desquels les Kanaks se sont soulevés contre la tutelle française sont encore dans les mémoires.

Depuis 1985, l’association Survie travaille à documenter et à dénoncer la politique néo-coloniale de la France dans ses anciennes colonies africaines, ainsi que la tutelle française en Outre-mer, ces « confettis de l’Empire », que la France n’a jamais quittés.

Par principe Survie, en tant qu’association française, s’oppose ici à cette politique de tutelle. Elle soutient les luttes des peuples colonisés et opprimés par la France et, notamment, aujourd’hui celle du peuple Kanak pour son autodétermination.

Beaucoup en France ignorent que la Nouvelle-Calédonie est encore une colonie française. Si depuis 1946 le code de l’indigénat a été supprimé et si le territoire a obtenu un statut relativement autonome, il n’en est pas moins resté sous tutelle française. Actuellement, les compétences régaliennes, c’est-à-dire la défense, la justice, la monnaie, le maintien de l’ordre, la diplomatie, sont toujours entre les mains de la France. 800 militaires français sont basés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie. Le franc Pacifique est émis par l’Institut d’Emission de l’Outre-mer basé à Paris, qui décide de la politique monétaire. La mainmise de l’Etat sur ces compétences régaliennes n’est en réalité que la partie officielle et institutionnelle de cette domination coloniale.

Cette domination, le peuple Kanak (et plus généralement les Océaniens) la vit au quotidien et dans tous les pans de la vie sociale et économique. Il est largement discriminé dans son propre pays, pour l’accès à l’éducation, à l’enseignement supérieur, à l’emploi, au logement. Les écarts de revenus entre les Kanaks et la population blanche (qu’elle soit calédonienne ou expatriée de métropole) sont immenses, en témoigne la richesse ostentatoire des quartiers blancs de Nouméa par rapport à la grande précarité des quartiers périphériques. Selon le recensement de 2014, seuls 5% de Kanaks avaient obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 28% chez les non-Kanaks. 90% de la population carcérale est Kanak.

Les accords de Matignon et de Nouméa auraient dû corriger ces injustices mais les partisans de l’ordre colonial (Etat français, partis non-indépendantistes, grandes fortunes locales coloniales) ont tout fait pour éviter un vrai rééquilibrage qui aurait remis en cause leurs privilèges. L’Etat n’a jamais cessé sa politique de peuplement et la présence de métropolitains a fortement augmenté depuis le début des années 2000, à grand renfort de primes faramineuses accordées aux fonctionnaires français partant occuper des postes. La loi calédonienne sur l’emploi local est constamment contournée pour confier des postes à des non-calédoniens (souvent des expatriés français), tant dans le privé que dans le public. L’enseignement supérieur et universitaire, élément-clé pour l’émancipation, est toujours sous tutelle étatique, alors qu’il était prévu que cette compétence soit transférée au territoire. L’Etat et la droite coloniale locale sont parvenus à bloquer ce transfert.

Pourtant, des voix politiques, médiatiques, académiques, s’élèvent régulièrement pour affirmer que la Nouvelle Calédonie n’est plus une colonie, que la fracture colon/colonisé n’existe plus et que l’État français n’a plus de responsabilité dans la situation actuelle. Certes les autorités françaises ont dû lâcher un certain nombre de miettes et cela a permis à certaines catégories d’améliorer leur niveau de vie. Mais ce processus n’a pas pour but d’en finir avec le statut colonial. Au contraire, il s’agit d’accorder quelques mesures sociales afin de maintenir le statu quo politique et conserver les compétences régaliennes.

L’urgence et l’importance de décoloniser le territoire est donc plus que jamais d’actualité. Le processus engagé par les Accords de Matignon et Nouméa arrive désormais dans sa dernière phase, avec les 3 référendums sur l’indépendance [1].

Le mouvement indépendantiste et ses soutiens en France (dont Survie fait partie) ne sont pas dupes du caractère biaisé de ce processus politique, initié et piloté par l’Etat et dans lequel la marge de manœuvre du peuple colonisé est faible. L’Etat œuvre en permanence pour faire obstruction à la décolonisation, parfois très grossièrement et ouvertement, comme dans les négociations qui se tiennent régulièrement à Paris entre les signataires de l’Accord de Nouméa, où le relevé de conclusions est rédigé avant les discussions par les cabinets du Premier ministre et de la Ministre des Outre-mer, et souvent imposé, en partie ou en intégralité, aux participants. Les manœuvres sont souvent plus subtiles, comme sur le point crucial de la composition des corps électoraux pour les élections provinciales et pour le référendum. Depuis 30 ans, l’objectif de l’Etat et des partis non-indépendantistes est de mettre en minorité les Kanaks sur la liste référendaire pour empêcher un résultat favorable à l’indépendance. Les manipulations de la liste électorale sont très nombreuses, pour y ajouter des catégories de personnes qui ne sont pas les premières concernées par l’avenir du territoire colonisé : dernier exemple en date, les personnes nées en Nouvelle-Calédonie mais qui n’y ont établi leur résidence principale que depuis 3 ans.

Personne n’est dupe, non plus, des suites et des conséquences de ce processus politique, quel que soit le résultat des référendums. Même en cas de victoire du « Oui » à l’indépendance, les intérêts français en Nouvelle-Calédonie sont tels que l’Etat cherchera par tous les moyens à empêcher une réelle décolonisation, à vider l’indépendance de son sens, comme il l’a fait dans les anciennes colonies en Afrique en remplaçant la colonisation par la « coopération ».

Diviser, corrompre, manipuler, font partie de l’ADN de la politique coloniale française. Ce sont ces méthodes que l’Etat emploie et emploiera en Kanaky, à l’exemple de ce qui a été fait en Afrique au moment des décolonisations pour mettre en place la Françafrique. La répression militaire et les assassinats ciblés de leaders indépendantistes, que Kanaky a déjà connus dans les années 1980, ont été utilisés de la même façon en Afrique. Les parallèles entre les trajectoires des anciennes colonies africaines et de la Nouvelle-Calédonie sont nombreux.

Une fois que le constat de la domination coloniale de Kanaky Nouvelle-Calédonie est fait, et que nous connaissons les méthodes employées par l’Etat pour la maintenir, la question qui se pose à nous aujourd’hui est : comment pouvons-nous agir pour nous opposer à la colonisation et pour soutenir l’autodétermination du peuple kanak ?

Nous sommes conscients qu’en tant que Français.es, nous vivons dans un Etat colonial qui a exercé et exerce encore sa tutelle sur d’autres pays, et par là un bon nombre d’entre nous retirent des privilèges de cette longue histoire impériale qui a fait la richesse économique de notre pays. Cette histoire coloniale a aussi façonné et construit notre rapport aux peuples colonisés, une posture ascendante qui permet encore très souvent aux anciens colonisateurs d’affirmer et de décider ce qui est bon ou mauvais pour les colonisés. Nous devons aujourd’hui travailler à déconstruire ces rapports de domination, y compris dans les milieux militants. C’est pourquoi nous sommes particulièrement attentifs, dans nos actions, à ne pas pratiquer ce que l’on reproche à notre propre Etat : l’ingérence. Les débats et les décisions appartiennent au peuple Kanak et océanien. Nous ne prenons pas non plus position quant aux choix faits par les partis indépendantistes, notamment sur la stratégie du processus de décolonisation entamé il y a trente ans.

Que les règles du jeu politique soient biaisées dès le début, puisque façonnées par l’Etat colonial, c’est une évidence. Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous considérons que la façon la plus juste de soutenir l’indépendance de Kanaky en France est de dénoncer et de nous opposer à la politique coloniale française. Il faut déjouer en amont et autant que possible les manœuvres et manipulations de l’Etat. Nous y travaillons par exemple en mettant à disposition du mouvement indépendantiste et de toute personne intéressée un dossier qui résume les connaissances et l’expérience de Survie sur la Françafrique, ou encore en décryptant et en dénonçant, ici en France, les différents obstacles dressés par l’Etat, comme par exemple pour l’accès des Kanaks aux listes électorales.

C’est aussi en construisant un large mouvement de soutien à l’indépendance kanak en France que nous contribuerons à instaurer un rapport de forces qui soit davantage en faveur du peuple colonisé et du mouvement indépendantiste, condition indispensable pour espérer contrer le rouleau compresseur colonial.

 
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