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La Izquierda Diario
25 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Nos vies par leurs profits
Airbus. De l’Espagne à la France, les salariés en lutte pour l’arrêt de la production
Flo Balletti

En France et dans l’Etat espagnol, Airbus a ordonné la relance de sa production et celle de ses sous-traitants (au nez et à la barbe de la santé des ouvriers), à partir du 23 mars. Dans ce contexte, la CGT Airbus de l’Etat espagnol appelle à un mouvement de grève illimité à partir du 30 mars, parce que la vie des ouvriers vaut plus que leurs profits !

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C’est face à la mise en danger de la vie de milliers d’ouvriers, de leurs familles, et par extension, face aux risques accentués de propagation du virus dans toute la société que la CGT Airbus a lancé un appel à la grève illimitée au sein de toutes les structures de production de l’Etat espagnol, à partir du 30 mars. Le préavis concerne donc « les effectifs des centres de Getafe, Illescas, Barajas, Tablada et Albacete », d’après un article publié sur La Voz del Sur.

Le syndicat dénonce le fait qu’après une paralysie de la production entre le 16 et le 20 mars grâce à la pression des ouvriers, le géant aéronautique ait appelé à relancer la production à compter du 23 mars, alors que le pays est frappé de plein fouet par la propagation du virus. Ce mercredi, le bilan humain du pays a même dépassé celui de la Chine, atteignant le nombre dramatique de 3 434 morts dans le pays.

La reprise de la production est d’autant plus scandaleuse que des centaines d’ouvriers d’Airbus et de ses sous-traitants ont déjà été touchés par le virus et placés en quarantaine. C’est ce que montre l’article de La Izquierda Diario (journal frère de Révolution Permanente dans l’Etat espagnol), à partir des données récoltées par la CGT dans l’entreprise.

À titre d’exemple sur la situation sanitaire catastrophique, Getafe, où l’on peut voir que la plupart des cas sont concentrés, est l’une des municipalités où l’hôpital universitaire est le plus saturé, ce qui ajoute plus de problèmes à la situation sanitaire. Et fait craindre une hausse probable du nombre de cas, alors que la situation est déjà dramatique.

Dans ce contexte, l’appel à la grève lancé par la CGT est une initiative des plus progressistes, alors que des millions de travailleurs doivent continuer leurs tâches pourtant non-essentielles dans la période, à l’image de la production aéronautique. En effet, face aux décisions criminelles de l’Etat et du patronat, prêts à sacrifier des milliers de vies sur l’autel du profit, la réponse des travailleurs, par la grève, pour stopper la production est la décision sanitaire la plus responsable.

En Italie, épicentre de l’épidémie, les grèves fleurissent pour défendre la santé de toutes et tous

Dans tous les pays européens, la même contradiction absolument irrationnelle sanitairement parlant mais héritée du système capitaliste : alors que l’épidémie se propage, que des sanctions (amendes, peines de prison) sont mises en place en cas d’entorses au confinement, dans le même temps, des millions de travailleurs doivent continuer leur activité non-essentielle, au péril de leur vie. C’est ce qu’exprime Daniela Cobet dans son article « Et si le contrôle ouvrier sur l’économie était la seule issue face à la crise sanitaire ? » : « La réalité évidente est que la priorité du gouvernement et des patrons reste les profits et pas nos vies ! Quand on songe au fait que des gouvernements européens ont considéré plus ou moins ouvertement d’adopter, dans le but d’éviter une paralysation de l’économie, une stratégie dite de « l’immunité collective » en sachant que cela pouvait coûter (et coûtera peut-être) des centaines de milliers de vies, on se rend compte que, comme le dit Frédéric Lordon, ceux qui nous gouvernent ne sont pas juste des incapables, mais des véritables « connards », prêts à sacrifier une partie non négligeable de la population et en particulier des couches populaires, pour conserver leurs bénéfices. »

Ces évidences ont sauté aux yeux de milliers de travailleurs, se sont matérialisées sous leurs formes les plus radicales par des débrayages et autres mouvements de grève, à commencer par l’Italie. Et ce alors que la Grande Botte devient le nouvel épicentre mondial de l’épidémie, avec au dernier décompte macabre, 6 820 décès. Le quotidien généraliste La Repubblica décrivait la situation le 23 mars dernier : « C’est la révolte des travailleurs. Des usines métallurgiques de Lombardie à celles du Piémont, des aciéries de Piombino aux hauts fourneaux de Tarente, des entreprises chimiques et textiles aux entreprises aérospatiales et aux chantiers navals. Même les constructeurs du nouveau pont de Gênes demandent une pause. Grèves et protestations spontanées de ceux qui se sentent pris en otage par le travail, contraints de défier le coronavirus alors que le reste du pays reste chez lui ».

En France, Airbus impose la reprise à ses ouvriers et ses sous-traitants

De même que dans l’Etat espagnol, la production chez Airbus (et chez ses sous-traitants) a été un temps arrêtée en France. Cette décision n’est pas le fruit d’un patronat responsable, mais bien d’un rapport de force imposé par les salariés, et qui faisait dire au président délégué du MEDEF, Patrick Martin, à propos du confinement annoncé par Macron qu’il y a eu « une forme de sur-interprétation des propos du président de la République » avant d’ajouter que le gouvernement n’aurait « pas assez insisté sur la nécessaire continuité de l’activité économique ». Il s’agit en fait d’une opposition des travailleurs sous la forme de (menaces de) droits de retrait, ô combien légitimes face aux décisions irresponsables et criminelles du gouvernement et du patronat.

Cependant, les souhaits du grand patronat n’ont pas tardé à être exaucés. Après avoir fait don de 45 milliards aux entreprises, après avoir gelé les loyers, les factures de gaz et d’électricité des patrons, le gouvernement a avancé sur les 35h et les congés payés avec la loi d’urgence sanitaire, et même ouvert la possibilité de travailler jusqu’à 60h par semaine dans certains secteurs. Ainsi malgré l’unité nationale et « l’effort partagé » dont parle le ministre des comptes publics Gérald Darmanin, le gouvernement et le patronat sont bien à l’offensive pour faire payer la crise sanitaire et économique aux travailleurs. Et cela avec la caution des directions syndicales qui ont publié un relevé de réunion commun avec les organisations patronales afin d’affirmer l’importance du « dialogue social ».

Dans ce contexte d’offensive patronale, la direction d’Airbus a annoncé la reprise partielle de l’activité dans ses ateliers dès le lundi 23, ce qui a impacté des dizaines de milliers de travailleurs de la sous-traitance dont les entreprises vont devoir rouvrir. C’est dans ce contexte que des CSE extraordinaires se sont tenus dans toutes les entreprises dont Airbus est donneur d’ordre. Le président de Derichebour Aeronautics a par exemple lancé cyniquement avec un énorme mépris de classe : « les gens vont devoir choisir de quoi ils veulent mourir, de faim ou du virus ».

Non seulement le fait que la production à Airbus reprenne est un scandale absolu, si celle-ci n’est pas repensée pour la production de matériel utile dans la période (respirateurs par exemple), mais elle se double d’un autre scandale, celui des masques. C’est ce qu’explique Gaetan Gracia, délégué syndical CGT aux Ateliers de la Haute-Garonne (sous-traitant d’Airbus), dans une interview pour Regards : « Cette réouverture des sites est totalement injustifiée. Tout d’abord parce que la plupart des soignants, des associations et des syndicats de personnels de la santé nous invitent à rester chez nous au maximum pour limiter le pic de l’épidémie que l’on n’a pas encore atteint. Ensuite parce que le manque de masques est devenu un problème central, y compris pour le gouvernement… Et le secteur aéronautique va garder, pour pouvoir reprendre le travail, plusieurs dizaines de milliers de masques ! Airbus a déjà commandé 20.000 masques mais il faut savoir que l’entreprise a aussi un stock important de masques FFP2 et FFP3. Et les sous-traitants en ont aussi en stock et en ont commandé ! Une entreprise comme la mienne, les Ateliers de la Haute Garonne, qui a moins de 300 salariés, a plus de 1.000 masques en stock et en a commandé plus de 10.000. Je viens aussi d’apprendre que Thalès allait recevoir une livraison de 1 million de masques de Chine en fin de semaine. ».

Gouvernement et patronat irresponsables, aux travailleurs de prendre en main l’avenir !

Les cas espagnols, italiens et français témoignent d’une prise de conscience profonde des travailleurs face à l’importance de la crise sanitaire en cours. Les débrayages, grèves et autres droits de retrait massifs sont autant d’incarnations et de démonstrations de la force collective des travailleurs. C’est ce qu’exprime Daniela Cobet dans son article : « Contrairement aux patrons, qui ne pensent qu’à leurs profits, les travailleurs sont d’ores et déjà en train de démontrer la force de leur disposition à contribuer à sauver des vies, dans la santé mais aussi dans tous les services publics essentiels. Si demain il s’agissait de reprendre le travail dans certaines usines pour produire des respirateurs, pour construire des hôpitaux, pour fabriquer des masques, dans des conditions de sécurité correctes, les travailleurs ne manqueraient certainement pas à l’appel. Cependant, tant que c’est pour remplir les poches d’actionnaires déjà richissimes au péril de leur vie, le droit de retrait restera parfaitement légitime, à la fois pour préserver la santé des ouvriers eux-mêmes mais aussi pour combattre le développement exponentiel de la maladie et la saturation du système hospitalier. »

Et de conclure. Si « les travailleurs prennent leur destin en main dans cette situation de vie ou de mort, ils peuvent commencer à préfigurer une issue de long terme à ce système capitaliste qui est clairement devenu un danger pour l’humanité et pour la planète, un régime social au service du bien-être de toutes et de tous et organisé démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes.

Lors du mouvement social contre la réforme des retraites, brutalement interrompu par la crise sanitaire, les grévistes évoquaient souvent la question de la société qu’ils laisseraient pour leurs enfants. Il se peut que la situation actuelle, aussi dramatique et inattendue soit-elle, comme le sont toujours les périodes de grands bouleversements, nous pose face à la possibilité et au devoir de commencer à poser, ici et maintenant, les jalons d’une nouvelle société. » Que ce soit en France, dans l’Etat espagnol, en Italie, et partout ailleurs.

 
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