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La Izquierda Diario
18 de mars de 2020 Twitter Faceboock

#NosViesPasLeursProfits. Entretien avec Gaëtan, ouvrier dans l’aéro
Pour réussir à faire fermer son usine, "le droit de retrait doit être une bataille collective !"
Gaëtan Gracia, CGT Ateliers de Haute-Garonne

Comment s’organiser pour faire fermer son usine ? Comment exercer son droit de retrait ? De nombreuses entreprises continuent de tourner, les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Gaëtan Gracia, ouvrier CGT dans l’aéronautique répond aux questions de Révolution Permanente après la fermeture de son usine.

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Alors que tout le pays est confiné pour tenter d’endiguer la propagation du coronavirus et qu’Emmanuel Macron a déclaré lundi soir qu’il n’était plus possible de sortir pour retrouver ses proches, de nombreuses usines continuent de tourner au péril de la santé de leurs salariés. C’était le cas des Ateliers de la Haute-Garonne (AHG), entreprise de sous-traitance aéronautique productrice de rivets dans la périphérie de Toulouse. Mais mardi 17 mars la direction a été contrainte de fermer la boîte devant la menace d’un droit de retrait massif des salariés. C’est à ce titre que nous avons interrogé Gaëtan Gracia, ouvrier, délégué syndical CGT et militant NPA-Révolution permanente.

RP : Tu travailles dans une boîte de sous-traitance aéronautique dans la périphérie de Toulouse. Ce matin vous avez réussi à faire fermer votre usine, ce qui n’était à priori pas gagné d’avance. Quelle était la situation jusque-là ?

Gaëtan Gracia : J’imagine que la situation chez nous ressemblait à ce qui pouvait exister dans d’autres lieux de travail. Chez les salariés il y avait évidemment beaucoup d’inquiétude dans un contexte où l’ampleur de la crise sanitaire devenait de plus en plus claire pour tout le monde dans le pays. On avait seulement le droit à quelques mesures de protection que la direction a mis en place suite à une réunion de CSE extraordinaire qu’on avait convoqué, mais elles étaient minimales : gestes barrières, gel hydroalcoolique, quelques consignes de sécurité, rien de plus. La direction ne préconisait pas l’utilisation systématique de gants, nous n’avions pratiquement aucuns masques FFP2, voire même pas de masques du tout, jusqu’à ce mardi d’ailleurs… Donc voilà qu’elle était la situation globalement mais elle a commencé à changer à partir du premier discours d’Emmanuel Macron du jeudi 12 mars. L’annonce de la fermeture des écoles et établissements scolaires a suscité une inquiétude supplémentaire parmi les collègues et tout le monde a commencé à juger que la situation devenait grave.

Dès le vendredi donc on a cherché à être très réactifs pour organiser la question de la garde d’enfants pour les salariés concernés. L’inquiétude est allée crescendo pendant le weekend, avec notamment les annonces d’Edouard Philippe samedi soir et les mesures de fermetures des commerces non essentiels. L’état d’esprit des collègues c’était de se demander en quoi fabriquer des rivets pour des pièces d’avions était une activité essentielle dans la période… Et c’est pourquoi dès lundi la plupart pensait que la fermeture de l’usine était une mesure tout à fait légitime.

RP : Quelle a été l’attitude de la direction et comment vous êtes-vous organisés concrètement ?

GG : D’abord il faut savoir qu’on est une section syndicale très jeune et récente, dans une usine où il y avait peu de tradition de lutte puisque depuis 40 ans il n’y avait ni grève, ni syndicat. La deuxième chose qui me semble importante à préciser c’est qu’on essaie toujours de penser notre action syndicale au-delà des batailles partielles et des questions tactiques et immédiates. On réfléchit toujours comment, à partir d’une revendication ou d’une question qui se pose, on arrive à agir en pensant sur le long terme, et donc notamment à comment renforcer l’unité et la cohésion entre les collègues, la confiance dans leurs propres forces, etc. C’est important car c’est cette logique qui a motivé la manière avec laquelle on a tenté de s’organiser dans cette situation concrète.

On a commencé à faire monter la pression surtout après les annonces du jeudi 12 mars de Macron. Le soir même on envoyait un mail à la direction de l’usine en leur demandant de se réunir le lendemain matin, le vendredi, pour gérer l’application des mesures prévues pour la garde des enfants et informer les salariés. On savait qu’il allait y avoir beaucoup d’incertitudes chez les collègues et on voulait notamment pouvoir les informer de leur droit et les rassurer dans la situation. Il fallait également que les salariés concernés par la garde d’enfants puissent s’organiser dès le vendredi, en étant assurés de leur maintien de salaire par exemple, car il y avait beaucoup de doutes par rapport à ça. La direction a choisi de ne pas nous écouter et nous a proposé une réunion en toute fin de journée, en se réservant le droit d’assurer elle-même sa propre communication dans la boîte… et on a compris pourquoi ! Des salariés sont venus nous prévenir que la communication était la suivante : la direction faisait semblant de n’être pas sûre de comment seraient payés les salariés, et proposition leur était faite de passer en horaire de soirée pour pouvoir s’occuper de leurs enfants la journée. Une attitude totalement mesquine qui s’appuie sur l’inquiétude des travailleurs quant à leur paye pour les faire venir bosser et ne surtout pas impacter la production. En repoussant la réunion de CSE extraordinaire en fin d’après-midi la direction entendait en faire une simple chambre d’enregistrement. Dès qu’on a eu vent de ça j’ai immédiatement posé des heures de délégation pour tourner dans toute l’usine et contrecarrer le discours mensonger de la direction : les salariés concernés par la garde d’enfant étaient assurés de leur salaire, n’avaient qu’à faire une attestation sur l’honneur et l’employeur devait faire le reste et ne pouvait pas refuser. Cette première bataille a été décisive puisque les collègues ont bien compris où voulait en venir la direction, et qu’on était vraiment de leur côté. Cela a été déterminant pour la suite, puisque les salariés nous ont accordé une grande confiance dans tout ce qui a suivi.

C’est à partir du weekend et des annonces d’Edouard Philippe que la situation s’est accélérée. Comme je te disais tout le monde était convaincu que la production de rivets n’avait pas à être maintenue dans la situation. Dès le lundi matin le patron est venu me voir à l’atelier mais il s’est contenté de me parler des mesures de protection très partielles comme l’organisation de différentes tournées à la cantine pour réduire la présence simultanée, ou des changements d’organisation pour éviter l’encombrement dans les vestiaires. Je lui ai dit que notre position était que l’usine devait fermer purement et simplement et qu’en attendant que ce soit effectif il fallait que les salariés les plus fragiles, au moins les plus de 50 ans et ceux concernés par une maladie comme l’hypertension, l’asthme ou certaines maladies chroniques ou graves, soient immédiatement renvoyés chez eux en les assurant de leur maintien de salaire.

Je m’étais également préparé à poser un droit d’alerte et j’ai fait deux déclarations : l’une classique pour danger grave et imminent, sur le danger pour la santé des salariés en expliquant que la continuité de la production ne permettait pas d’assurer leur protection. La deuxième déclaration repose sur un dispositif moins connu prévu pour des cas de danger grave pour la santé publique en justifiant que le maintien du travail à l’usine faisait courir le risque d’augmenter la propagation du virus et donc de participer à augmenter le risque d’encombrement des hôpitaux. Il faut savoir que quand un élu fait un droit d’alerte l’employeur doit immédiatement y répondre, c’est à dire enquêter avec l’élu en question sur le danger et proposer des solutions. C’est ce qu’ils ont fait et ils nous ont proposé d’attendre les annonces du soir en nous assurant qu’ils suivraient les recommandations de Macron, mais que pour l’heure ils refusaient de fermer l’usine.

Sur les salariés fragiles ils ont été particulièrement scandaleux en expliquant que si ça représentait deux personnes on pouvait « voir pour s’arranger », mais que si ça représentait 15 personnes « c’était pas la même chose ». Je leur ai répondu que pour notre part nous n’allions pas attendre le discours de Macron pour informer les collègues et j’ai repris des heures de délégation pour tourner dans toute la boîte et informer moi-même les salariés de leur droit de retrait. Notre discours était qu’on était déterminé à nous battre pour la fermeture de l’usine, que tous les salariés avaient le droit de retrait, qu’on allait s’organiser collectivement pour l’exercer le plus massivement possible si le patron refusait de fermer l’entreprise.

Comme tu le sais le soir-même Macron a annoncé des mesures beaucoup plus strictes de confinement mais qui ne concernaient pas les usines. Donc en clair on nous demandait à nous de retourner travailler dans des ateliers, mais on nous interdisait formellement de sortir dans la rue pour rejoindre nos proches… Si jusque-là il pouvait subsister pas mal d’illusions sur le fait que Macron allait nous donner raison, d’autant que le lundi plusieurs usines avaient annoncer leur décision de fermer comme PSA, Renault ou Michelin, pour beaucoup de salariés son discours a été une vraie douche froide. « Nous les ouvriers de l’industrie on est des citoyens de seconde zone », comme disait un collègue, et c’est pour ça qu’on devrait prendre le risque de retourner travailler pour produire des pièces d’avion !

Dès la fin des annonces, le soir même, on a commencé à s’organiser et à discuter d’un plan de bataille pour le lendemain qui devait être le suivant. D’abord à l’embauche je devais aller voir le patron pour exiger la fermeture immédiate de l’usine. Si la direction ne proposait rien, on se préparait à faire débrayer les ateliers les uns après les autres pour tenir une Assemblée générale et exiger collectivement la fermeture de l’usine ou, si la direction persistait, pour exercer notre droit de retrait massif. Les collègues étaient tous d’accord avec ce plan et dès le matin la direction a montré que c’était elle, cette fois-ci, qui était inquiète. Et donc avant même 8 h le mardi matin le patron est venu pour tenter de me rassurer en me disant qu’on allait se réunir au plus tôt, chose qu’on a fait très rapidement car ils ont bien vu que nous étions déterminés. On a donc tenu une réunion de CSE le matin-même et on a obtenu la fermeture de l’usine pour 15 jours minimum, avec dispositif de chômage partiel donc.

RP : Beaucoup d’ouvriers ou de salariés qui sont aujourd’hui encore contraints de travailler en France s’interrogent sur leur droit de retrait... Comment ça marche concrètement ?

GG : C’est vrai que c’est une question qui tourne beaucoup. Déjà il faut savoir que le droit de retrait est considéré dans la loi comme un droit individuel du salarié qui, s’il considère qu’une situation de travail est dangereuse et qu’elle crée un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, peut s’extraire de cette situation tout en restant disponible de son employeur sur son lieu de travail. Le patron doit alors résoudre le problème pour que le salarié puisse reprendre son poste ou sa tâche. Pendant tout le temps où il exerce son droit de retrait le salarié continue d’être payé, de cumuler ses congés, etc. Pour ceux qui se posent la question il y a donc bien maintien de salaire.

Dans la situation d’épidémie du coronavirus ce droit de retrait est totalement légitime. Il faut savoir néanmoins qu’un patron, notamment s’il pense qu’il a le rapport de force, va toujours essayer de faire croire aux salariés que le droit de retrait est illégitime, illégal, abusif, en jouant sur la peur des salariés ou sur le fait que beaucoup ne connaissent pas leur droit, surtout s’il n’existe pas de syndicat dans la boîte. Le patron a essayé avec moi, mais n’a plus rien dit quand il a vu qu’on connaissait précisément ce droit. Mais il faut savoir que le droit de retrait repose sur le jugement du salarié lui-même, c’est à dire que s’il considère qu’une situation est risquée, même s’il se trompe, il ne peut pas être sanctionné. La seule manière d’invalider un droit de retrait c’est si le patron conteste aux prud’hommes et que ce droit de retrait est très clairement abusif, mais c’est une situation très rare en général. Ce dispositif est donc plutôt du côté des salariés mais est mal connu, notamment dans les entreprises où il y a peu de rapport de force, de syndicats et de tradition de lutte. C’est pour ça qu’une de nos tâches a été d’informer tous les collègues et de les rassurer. On a fait un mini dossier sur une feuille, avec les articles de lois concernés, qu’on a donné aux salariés qui le souhaitaient.

Le plus important pour nous c’était de casser la logique individuelle du droit de retrait et d’essayer d’adopter au maximum une logique collective. Individuellement, face à son employeur, on est faible, mais collectivement on a plus confiance et on a davantage de rapport de force. Et c’est pour ça que notre plan de bataille prévoyait une Assemblée générale dans laquelle on aurait pu exercer tous ensemble notre droit de retrait et aller collectivement informer l’employeur. Ca donne de la force, ça coupe l’herbe à toutes les tentatives d’intimidations de la direction… Autrement dit on voit bien que cette question du droit de retrait, pour être massive, elle ne se décrète pas, comme parfois je peux lire sur des commentaires facebook où on t’explique que « c’est simple, t’as qu’à faire un droit de retrait ». Ca n’a rien de simple au contraire car comme on l’a vu chez nous beaucoup de salariés ne connaissent pas bien le droit et donc ont peur des conséquences que cela pourrait avoir, d’où l’intérêt d’en faire une bataille collective. C’est quelque chose qui doit être organisé, en ne ménageant aucun aspects pratiques, du travail d’information, à celui de rassurer les collègues, etc.. Je pense que le rôle des militants là-dedans peut être vraiment décisif.

RP : C’est une victoire, donc ? Comment vous envisagez la suite maintenant ?

GG : Oui, pour nous c’est évident que c’est une victoire puisque dans une situation comme celle que nous traversons actuellement, maintenir l’usine ouverte c’était faire prendre des risques inconsidérés aux salariés et à leur famille. C’est une victoire aussi parce que sans l’action des militants syndicaux et des salariés le patron n’aurait pris aucune disposition dans ce sens, ou bien l’aurait fait le plus tard possible. Quand on a annoncé aux collègues que l’usine fermait on était évidemment tous très content, mais quelques chefs d’ateliers ont quand même réussi à se plaindre qu’on laisse exprimer notre joie en affirmant que cela n’avait rien d’une bonne nouvelle pour la situation économique de l’entreprise. Des salariés leur ont spontanément répondu que c’était n’importe quoi de pleurer pour la santé économique de l’usine quand c’était leur santé qui était en jeu. Pour moi ça montre que les collègues ont compris quelque chose de profond à travers cette expérience, quelque chose qu’on entend dans certains slogans « nos vies avant leur profits » et c’est un énorme acquis pour la suite.

En fait les collègues ont fait l’expérience de leur force et que lorsqu’on s’organise et qu’on cherche à donner une expression collective à notre colère on peut imposer nos décisions et nos revendications. De notre point de vue aussi c’est une victoire parce qu’on sent bien que la confiance en nous a grandi, qu’on a montré que notre logique n’est pas seulement de « gueuler n’importe comment en tout temps » mais qu’on cherche à les défendre concrètement et à nous battre pour vivre mieux.

Maintenant, comme toujours, ça n’est pas une victoire totale et la bataille est loin d’être finie.

Premièrement, il faut savoir que le maintien de la rémunération lors du chômage partiel ne permet de toucher que 84% de son salaire net, payé par l’argent public qui plus est, alors que nos patrons sont multimillionnaires et pourraient largement assumer le maintien de notre salaire à 100%. Pour ça il faudrait taper dans leurs profits et ils ne sont évidemment pas prêts à faire ça donc il faut maintenir le rapport de force collectif. De la même manière on va revendiquer que la prime de production, qui représente en moyenne 160 euros par mois, soit maintenue ce qui n’est pas gagné d’avance. Surtout, notre plus gros combat reste celui de la défense des intérimaires. Nous revendiquons que les intérimaires soient maintenus, y compris reconduits quand la question se pose puisque certains interim arrivent à terme à partir de la fin de la semaine et donc ne pourraient plus toucher le chômage partiel après ça, dans une position très difficile pour retrouver un travail et une source de revenus dans situation où beaucoup d’entreprises ferment et n’embauchent pas.

Enfin, on veut utiliser notre exemple pour aider ceux qui n’ont pas encore pu imposer la fermeture à leur patron ou à se mettre en droit de retrait. Elles sont déjà nombreuses à avoir fermer mais c’est scandaleux qu’il en reste encore qui continuent de tourner, y compris dans des conditions sanitaires déplorables pour certaines. Pour ma part je ne pense pas que nos batailles soient des batailles confinées dans les frontières de l’usine mais je pense au contraire qu’elles peuvent être utiles et venir renforcer l’ensemble des combats menés par les travailleurs de l’aéronautique et, plus en général, des salariés. C’est d’ailleurs quelque chose qui s’est matérialisé très rapidement puisqu’à la suite de la vidéo qu’on a sortie avec la section syndicale beaucoup de salariés nous ont contacté sur Facebook pour nous demander de l’aide sur des questions concrètes. On essaie de les aider à s’organiser de leur côté et, entre parenthèses, je dois dire qu’on est en train de combler le travail que n’a pas fait l’appareil syndical puisqu’en théorie la confédération aurait dû mettre ses moyens ses avocats, sa stratégie, au service des salariés confrontés à ces questions. Ca n’a pas été le cas, en tout cas plusieurs équipes syndicales ont eu le sentiment d’être laissées à elles-même, et d’ailleurs la direction de la CGT a attendu mardi après-midi pour revendiquer publiquement la fermeture des usines non essentielles… après que les syndicalistes ou sections locales aient du faire tout le travail d’eux-mêmes. Nous on savait déjà qu’on ne peut pas faire une confiance aveugle aux directions syndicales puisqu’elles n’ont pas intérêt à une lutte dure avec le patronat et avec le gouvernement, comme nous l’avions vu au moment des Gilets jaunes, par exemple. Mais ça c’est une autre histoire sur laquelle je ne vais pas revenir ici…

Propos recueillis par Marina Garrisi

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