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La Izquierda Diario
29 de février de 2020 Twitter Faceboock

Les nuits du Bois de Boulogne
Qui a tué Jessyca Sarmiento ?
Ol Sherman

La voiture qui l’a fauchée sauvagement au Bois de Boulogne, dans la nuit du 20 au 21 février, n’est pas la seule cause. Sur l’assassinat de Jessyca pèsent également la loi de 2016 sur la pénalisation des clients et le mépris à l’égard des personnes trans, qui malheureusement continue à trouver sa place au sein de certaines franges du mouvement féministe.

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Femme trans, péruvienne, 39 ans, travailleuse du sexe, Jessyca Sarmiento a été tuée il y une semaine. Tout ce que l’on sait d’elle, on l’apprend le lendemain de son meurtre, par le communiqué publié par Acceptess-T – association de défense de droits des personnes trans, auprès de laquelle Jessyca avait trouvait du soutien et un refuge – qui regrette, pour l’énième fois « la tristesse de la découverte de la mort d’une des nôtres ».

Cruellement, comme tant d’autres femmes migrantes, Jessica était venue en France pour y chercher une vie meilleure et elle y a trouvé la pire des morts.
Les circonstances du meurtre ont été reconstruites immédiatement : elle a été fauchée sur son lieu de travail, au Bois de Boulogne, par une voiture qui roulait à toute vitesse. Il s’agit très probablement d’un acte volontaire et non d’un accident. La police pourra mener l’enquête pour homicide volontaire et éventuellement identifier les coupables, certes, mais à bien des égards l’énigme n’est pas là.
Si l’on recherche les causes premières de cet assassinat, qui n’est pas le seul de cette espèce, il faut se référer aux témoignages fournis par les travailleuses du sexe elles-mêmes : « Client pénalisés = putes assassinées ». Voilà ce que l’on peut lire sur les pancartes des manifestantes lorsqu’elles protestent contre la loi du 13 avril 2016 sur la prostitution et qu’elles considèrent comme inefficace et contreproductive.

Il se trouve que la « grande loi » visant à « renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » présentée en grande pompe médiatique par Laurence Rossignol, alors ministre socialiste des Familles, de l’enfance et des droits de femmes a surtout fini par renforcer la lutte contre les « personnes prostituées » et par en dégrader encore davantage les conditions de vie et de travail. Dommage que les associations abolitionnistes, et le Mouvement du Nid, en premier ligne, se félicitent des succès de cette loi et réagissent au meurtre d’une « une personne prostituée du bois de Boulogne » – qui mériterait néanmoins d’être appelée par son nom et qualifiée de femme trans – invoquant « des engagements rapides et forts du gouvernement [Macron] » dans l’application de la loi.

Décomptes macabres
Que pensent les travailleur.se.s du sexe de la loi prostitution ? Tel est le titre d’une étude réalisée à échelle nationale et menée entre 2016 et 2018 dans le but d’évaluer l’impact des nouvelles mesures adoptées à partir de l’expérience vécue par les premières concernées.

Cordonnée par deux chercheurs en science politique et sociologie avec la collaboration de onze associations de terrain parmi lesquelles le Strass (Syndicat du Travail Sexuel), Médecins du monde et Acceptess-T, l’étude a réalisé plus de 108 interviews (individuelles ou en groupe) de travailleur.se.s du sexe ainsi que 24 entretiens avec des associations du secteur. Non seulement l’étude révèle que la majorité des travailleur.se.s du sexe interrogé.e.s considèrent que la pénalisation des clients s’avère plus préjudiciable pour elles et eux que l’ancienne mesure de pénalisation pour racolage public adoptée sous Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Mais l’étude fait également émerger tous les paradoxes d’une loi conçue soi-disant pour protéger les travailleur.se.s et qui finit par nuire à leurs intérêts dans la mesure où « localement, dans une approche de tranquillité publique, des arrêtés municipaux et des opérations de contrôles d’identité font que les travailleur.se.s du sexe restent plus souvent pénalisé.e.s ou arrêté.e.s que les clients ». La recherche a par ailleurs pu décrypter concrètement comment « les effets négatifs de la loi se font ressentir sur leur sécurité, leur santé et leurs conditions de vie en général », en décrivant la précarisation croissante d’un métier qui devient de plus en plus dangereux. « Précarisation, prise de risque dans les pratiques sexuelles et exposition aux violences forment, selon le rapport, un cercle vicieux ».

L’étude souligne également les difficultés d’implémentation du « parcours de sortie de la prostitution » prévu par la Loi Rossignol et qui est censé apporter un soutien financier et légal aux travailleur.se.s du sexe qui décideraient de changer de vie et qui prévoit également la concession d’une autorisation provisoire de séjour de six mois (renouvelable trois fois) et l’aide des associations agréées pour le logement ainsi que la réorientation professionnelle. On songera ainsi au fait que le processus de validation des demandes s’est montré tellement lent qu’en 2018 les premières commissions en charge des décisions ne s’étaient toujours pas réunies dans plusieurs départements. Et on pensera également au fait qu’en novembre 2019, en commentant une nouvelle étude, menée entre avril 2018 et juillet 2019 par les sociologues Jean-Philippe Guillemet et Hélène Pohu dans quatre villes de France (Paris, Bordeaux, Narbonne et Strasbourg), Grégoire Théry, administrateur de la Fondation Scelles, une organisation abolitionniste favorable à la loi a pu admettre « [qu’on] ne constate pas encore de diminution de la prostitution dans la rue ». En effet, à la fin de l’année dernière seules 250 personnes avaient choisi un « parcours de sortie » sur les 30 à 40.000 travailleu.se.s du sexe, selon les estimations officielles, présent.es sur le territoire, dont 80% d’origine étrangère.

Si le chiffre de celles et ceux qui choisissent d’abandonner leur métier par le biais de la Loi Rossignol reste très limités, le nombre des victimes, parmi celles et ceux qui continuent à l’exercer, a augmenté de manière importante, avec dix meurtres pour la seule année 2019. Selon Gwen Fauchois, militante historique d’Act-Up, il s’agit de refuser « d’être du côté, même compassionnel, des décomptes macabres » des personnes assassinées et de dénoncer, en revanche, le harcèlement policiers contre les travailleuses du sexe.

La bataille des vulves
On ne saurait être surpris de ce constat des chiffres, si l’on considère que les agressions et les violences augmentent de manière importante depuis que les travailleur.se.s sont forcées à se cacher dans les endroits les plus reculés pour échapper et faire échapper leurs clients aux contrôles, et cela d’autant plus si elles sont migrantes, si elles sont sans papiers, si elles sont trans, comme Jessyca, et si elles sont exposées à la violence raciste et transphobe des institutions.

Et c’est pour cela qu’entre-temps les actions juridiques contre la loi de pénalisation des clients se sont multipliées sur plusieurs fronts pour contester la légitimité constitutionnelle d’une « loi morale » et la dégradation des conditions de travail qui en résulte ainsi que pour dénoncer l’atteinte aux droits fondamentaux des travailleur.se.s du sexe que porte cette loi qui met « en danger la santé, la sécurité et la vie des personnes concernées ».

Et les personnes trans, comme Jessyca, sont particulièrement concernées car elles subissent, d’une part, les conséquences (souvent meurtrières) d’un travail toujours plus précarisé et, d’autre part, la violence de la discrimination transphobe qui continue à imprégner la société.

Qui, alors, a tué Jessyca Sarmiento ? Comme le souligne Giovanna Rincon, présidente d’Acceptess-T, « Marlène Schiappa n’a aucune réponse sur l’assassinat de Jessyca, pas plus que sur [celui de] Vanesa Campos ». Selon Ricon, non seulement la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations se positionne unilatéralement du côté des abolitionnistes – ce qui a fait doubler de 150 000 à 300 000 euros les subventions publiques accordées par le gouvernement au Mouvement du Nid, association catholique antiprostitution - mais elle ne s’est jamais engagée dans la lutte contre la transphobie diffuse - qui, pour rappel, est un délit puni par la loi n°2012-954 – et jamais elle ne s’est élevée contre les déclarations transphobes que charrient les médias dominants.

Malheureusement, cependant, Schiappa n’est pas la seule. Giovanna Rincon dénonce également la présence, au sein des mouvements féministes et LGBT+ « des positionnements exclusivistes qui refusent de reconnaître les réalités des femmes trans » et ne montrent que du mépris à l’égard du travail du sexe. « Si ce n’est pas à cause de la loi, du stigmate, de l’isolement, de la précarisation, de la nécessité de se cacher, ce que je souhaiterais, c’est que l’État nous dise : qu’est-ce qui tue ces personnes ? Qu’ils nous disent pourquoi il y a autant d’assassinats, autant de violences à l’intérieur de nos communautés de travailleuses du sexe ».

Mais le meurtre de Jessyca tire à nouveau la sonnette d’alarme quant au mépris, à l’invisibilisation et à l’ostracisme dont sont victimes les femmes trans au sein de certaines franges du mouvement féministe, aujourd’hui comme hier. Pour qualifier les dérives d’un tel féminisme, il existe l’acronyme anglais terf, à savoir trans-exclusionary radical feminist qui met en évidence les contradictions d’un féminisme radical pourtant animé par le souci d’exclure les femmes trans de ses propres rangs. La polémique suscitée récemment par les déclarations de Marguerite Stern, ex Femen et fondatrice du mouvement Collages féminicides pour qui le transactivisme ne serait qu’une « nouvelle tentative masculine pour empêcher les femmes de s’exprimer » a reposé la question de la place des femmes trans dans le combat féministe. Si beaucoup de femmes militantes se sont désolidarisées des propos indécents de Stern – l’accusation selon laquelle « les hommes qui veulent être des femmes se mettent soudainement à se maquiller, à porter des robes et des talons », seraient à considérer comme des ennemis jouant le jeu du patriarcat, ou encore, l’idée selon laquelle « nous sommes des femmes parce que nous avons des vulves » – de telles affirmations demeurent inquiétantes. La vérité qui concerne les femmes trans assassinées est la même que pour les autres féminicides : État coupable, loi complice, police partout, justice nulle part.

***

Aujourd’hui, samedi 29 février, Acceptess-T et de nombreuses associations LGBT+ appellent à une manifestation et un temps de recueillement pour demander justice pour Jessyca. Le rendez-vous est fixé au départ de l’allée de la Reine Marguerite, au Bois de Boulogne, à 16 heures.

Un hommage à Jessyca se tiendra aussi à 16h sous l’Ombrière du Vieux Port à Marseille. Le rassemblement est organisé par le Strass – Syndicat du Travail Sexuel, les Collages Féministes Marseille, le Collectif Rainbow Cité, le Groupe ESTIM, Marseille Féministe, Acceptess Transgenres, la Pride de Nuit Marseille, l’Association Transat.

 
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