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La Izquierda Diario
26 de décembre de 2019 Twitter Faceboock

Bleu de travail ou tutu : même combat !
Ballet gratuit devant l’opéra, musées fermés, théâtres à l’arrêt : la culture en grève
Claude Manor

Un vent de 68 souffle sur le mouvement de grève qui atteint non seulement les gares, les raffineries ou les ports mais aussi le monde de la culture. Depuis le 5 décembre, plusieurs musées, monuments, théâtres et opéras sont en grève. Joué gratuitement par les grévistes sur le parvis de l’Opéra, Le Lac des Cygnes a marqué un moment symbolique de la lutte contre Macron, sa réforme et son monde.

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Macron comptait mettre l’éteignoir sur le mouvement, c’est raté !

Tu voulais une trêve de Noël Manu ? Il y en a bien une, mais pas la tienne ! Non seulement la grève ne cesse pas, mais depuis maintenant 3 semaines, des travailleurs cessent d’être enchaînés à leurs tâches et à leurs conditions de travail, chaque jour plus dégradées, pour se rencontrer, débattre, décider, agir… et même danser.

Tandis que tu es claquemuré dans ton fort de Brégançon, à Paris, sur la place de l’opéra noire de monde, à ciel ouvert et malgré l’hiver, une quarantaine de danseuses accompagnées par l’orchestre de l’Opéra au complet, ont célébré Noël à leur façon. Un ballet tombé du ciel entre deux banderoles : « opéra de Paris en grève » et « la culture est en danger ». Un moment extraordinaire que les grévistes ont voulu offrir en cadeau aux passants et en soutien à tous les grévistes.

Un moment politiquement d’autant plus significatif qu’il est un extraordinaire pied de nez à un Macron qui ne sait plus où donner de la campagne médiatique. Il lance ses communicants contre les cheminots fauteurs de séparation et de malheur familial et c’est les grévistes d’EDF qui jouent les Robins des bois avec l’électricité. Il tire à boulet rouge sur les gaziers, et c’est les raffineurs qui lui dament le pion. Il dénonce les empêcheurs de fêter Noël en rond et c’est les danseurs et musiciens de l’Opéra qui lui coupent l’herbe sous le pied.

Les opéras de Lyon et de Bordeaux, des musées et des monuments historiques, comme les incontournables Louvre et tour Eiffel, sont aussi de la partie et ont fermé à plusieurs reprises leurs guichets ou leurs portes. Décidément, ça fait flop de tous les côtés et le feu de l’opposition est loin de s’éteindre. Au contraire, des couches de plus en plus étendues de travailleurs et de travailleuses maintiennent leur grève et leur combat, jusque dans les classes moyennes et les milieux artistiques, et ce pour un bout de temps encore.

Convaincus de la légitimité de leurs revendications, les grévistes continuent le combat

Et s’ils ne lâchent rien, c’est qu’ils ont tous de bonnes et légitimes raisons pour se battre. Les danseuses, en décidant de danser l’acte 4 du Lac des Cygnes, un ballet parmi les plus difficiles qu’elles ont joués sur le parvis de l’Opéra en marbre et donc particulièrement froid, n’ont pas choisi la facilité. Par cet « exploit », elles ont voulu symboliser l’effort que représente un minimum de 15 ans de véritable « sacrifice » pour parvenir à ce niveau d’exécution. Le Parisien rapporte les propos d’Éloïse, danseuse de 23 ans qui décrit son parcours : « Je suis entrée à l’école de danse à 8 ans, j’ai quitté ma famille et aménagé ma scolarité. Avec 5 heures de danse par jour, à 17-18 ans, on est nombreux à avoir des blessures chroniques, des tendinites, fractures de fatigue, douleurs aux genoux ».

Il est clair que, dans les conditions d’exercice d’un tel métier, il serait impossible de travailler jusqu’à 64 ans. C’est pourtant ce qui les attendrait dans le cadre de la réforme des retraites les privant du régime spécial qui leur permet actuellement un départ à 42 ans.

A l’Opéra de Bordeaux, les revendications sont nombreuses et tout aussi légitimes. « Salaires bloqués depuis vingt ans », « abus de l’intermittence », « plan de carrière au rabais »… De quoi largement justifier un préavis de grève déposé depuis début décembre et qui couvre toutes les représentations de « Cendrillon », ballet de « Noël » censé être joué du 10 au 31 décembre.

A l’opéra de Lyon, le personnel en grève a annulé ce mercredi 25 décembre la représentation du « Roi Carotte » avec un message très clair : « partout, ces derniers jours, tous les secteurs d’activités : médical, culturel, enseignants, transports se sont massivement mobilisés, parce que la culture est aussi attaquée par la politique d’austérité du gouvernement, et parce que les travailleurs et les travailleuses de la culture sont aussi concernés par la réforme des retraites. De nombreux théâtres et opéras de France ont annulé leurs représentations ces derniers jours. Notre direction, en décalant la représentation qui devait avoir lieu hier, nous empêche de contribuer de manière visible à cette mobilisation ».

Quand la culture s’en mêle, c’est signe que ça bouge au plus profond du système

La lutte est légitime et elle pèse économiquement. Depuis le 5 décembre, début de la grève, l’Opéra de Paris aurait perdu près de 8 millions de recettes de billetterie. Dans la même période, la fréquentation a chuté de 80% au Palais de Tokyo, à Paris. Depuis le début du conflit, les scènes de théâtre parisiennes publiques et privées doivent composer avec la grève. Au théâtre des Mathurins, par exemple, neuf pièces sont à l’affiche, mais il n’y a pratiquement pas de spectateurs.

Les grévistes du ballet de l’Opéra ont expliqué dans un communiqué : « croyez que pour en arriver à toutes ces annulations, il faut vraiment que nous soyons poussés à bout ». Ce que démontre cette mobilisation tous azimuts dans le secteur culturel, c’est que les travailleurs du spectacle, loin de constituer une catégorie à part, sont partie intégrante de la classe ouvrière et souvent dans des conditions parmi les plus dures et les plus précaires. Elle démontre aussi que l’art, sous le règne du capitalisme, n’échappe pas à l’emprise du « système » et qu’il continue, malgré ce qu’il est convenu d’appeler une « démocratisation », à reproduire la division en classes. Que « le Lac des Cygnes », que bien peu de travailleurs ont eu l’occasion de voir et d’entendre, ait pu recueillir un tel succès dans la rue, démontre que la culture est le bien de tous et pourrait être produite et largement partagée si nous parvenions à nous débarrasser de Macron mais aussi et surtout de son monde.

Dans des mouvements sociaux puissants qui interrogent le « système » dans son ensemble, la culture devient un secteur de lutte à part entière, comme ce fut le cas en mai 1968. Le 15 mai, le théâtre de l’Odéon à Paris était investi par des étudiants qui en ouvraient grandes les portes et en ont fait, un mois durant, un lieu de débats agités et joyeux avec la présence de nombreux artistes exprimant leur solidarité. Peut-être l’année 2020 verra-t-elle l’opéra de Paris, le musée du Louvre ou le pied de la tour Eiffel devenir le lieu d’une remise en cause profonde de la manière dont la culture subit actuellement un massacre en règle.

Crédits photo : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

 
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