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27 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Anti-système, vraiment ?
5 décembre. Pourquoi Marine Le Pen n’est pas une alliée

En réalité, derrière le changement d’attitude de Marine le Pen face à la grève du 5 décembre, il faut surtout lire un retournement tactique, qui vise à capitaliser sur la vague de colère énorme qui se profile, dans la lignée de ce qui avait été déjà été tenté autour des Gilets jaunes.

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Crédits photo : Eric FEFERBERG / AFP

Le 9 novembre, au vu de la tension qui était en train de monter autour du 5 décembre, Marine le Pen déclarait soutenir « sans réserve » ceux qui prévoient de manifester. Pourtant, derrière ces déclarations se cachent surtout un revirement opportuniste et tactique de la part de la dirigeante du Rassemblement National, qui cherche à capitaliser à son avantage la colère populaire pour se positionner en meilleur adversaire à Macron sur le terrain institutionnel, tout en faisant passer son agenda raciste qui divise le mouvement social.
 

La prise de position de Marine le Pen : un numéro « d’équilibriste »

Tout d’abord, il faut voir que ces prises de position, loin de faire l’unanimité, génèrent certaines contradictions au sein même du Rassemblement National. Des cadres du parti, appartenant à l’aile la plus libérale du RN, voient en effet d’un mauvais œil l’idée de se retrouver à jouer le rôle d’alliés de circonstancesdes syndicats. Comme le rapporte le journal Le Monde : « A l’occasion du mouvement du 5 décembre, le clan libéral se montre discrètement sceptique. « Evidemment que je ne suis pas d’accord avec ceux qui iraient manifester », explique un élu local, qui préfère rester anonyme, car « dès qu’on émet une critique contre la ligne de Marine, on est flingué. » Un autre s’inquiète de l’image que donnerait la présence d’élus RN au sein du cortège : « Sur le fond, on est contre la réforme, mais je n’ai pas envie de donner le sentiment qu’on défend les régimes spéciaux… »

C’est qu’en réalité, comme sont venues le rappeler les nombreuses prises de position de Marine le Pen, celle-ci ne défend en rien les aspirations et besoins du mouvement ouvrier et du mouvement social dans son ensemble. Il suffit de rappeler sa position contre la hausse du SMIC (à l’encontre d’une des principales revendications des Gilets jaunes), son refus d’amnistier les Gilets Jaunes condamnés, son soutien invétéré au modèle néolibéral du MS5 italien et de Orban en Hongrie, ou encore ses nombreux votes au Parlement Européen, dont l’un pour le secret des affaires !

Comment alors expliquer ce revirement de Marine le Pen ? Serait-elle désormais devenue une ardente défenseure du mouvement social ? Pas du tout. En réalité, derrière ce changement d’attitude, qui n’est qu’une façade, il faut surtout lire un retournement tactique, qui vise à capitaliser sur la vague de colère énorme qui se profile autour du 5 décembre, dans la lignée de ce qui avait été déjà été tenté autour des Gilets jaunes. Comme le souligne Cécile Cornudet dans un édito des Echos : « En réalité, cette conversion est éminemment tactique. Marine Le Pen a bien noté que LFI ne jouait plus aussi facilement les agitateurs de rue. Elle prend la place. Mais surtout, elle tente de surfer sur l’ avantage politique qu’elle a pu tirer des « gilets jaunes ». Si ce mouvement a été l’expression d’un peuple qui se soulève contre ses élites, « bloc contre bloc » [...], elle a tout intérêt à entretenir la mécanique. A faire du 5 décembre non pas une journée contre la réforme des régimes spéciaux mais un acte nouveau du « peuple » contre « Macron ». »

Il s’agit bel et bien pour Marine le Pen de s’appuyer sur la colère populaire qui s’exprime dans la rue pour la mettre au service de son projet institutionnel, et siphonner les voix de LFI, en difficulté, pour se poser en principale opposante à Macron d’ici 2022. Comme l’explique le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite, au journal 20 Minutes : « Pour briser le plafond de verre à la présidentielle 2022, elle a obligation d’élargir son socle, en siphonnant notamment la partie de l’électorat populaire qui s’oriente vers l’abstention ou La France insoumise » […]. « Son discours sur l’absence de représentativité à l’Assemblée est d’ailleurs audible au-delà de son électorat classique. Et elle souhaite aussi être présente dans cette séquence sociale, même si elle reste ambiguë sur sa non-présence dans les cortèges ».

En effet, à y regarder de plus près, sur les questions les plus centrales, à savoir celles du programme, loin d’offrir une perspective à même d’unir l’ensemble du mouvement social et faire reculer l’agenda néolibéral de Macron, on retrouve une nouvelle fois les mêmes obsessions du RN : diviser les rangs des travailleurs entre les « immigrés » et les « français ». « Mais alors, que défend Marine Le Pen ?, interroge le journal Le Monde : « Quarante années de cotisation avec la possibilité de partir à la retraite pleine à 60 ans », expliquait-elle sur LCI le 14 novembre. Financé comment ? En arrêtant de contribuer au budget de l’Union européenne ou en coupant dans celui de… l’immigration. »

« Grève de la gratuité » ou grève générale pour en finir avec Macron et son monde ?

Preuve que le soutien de Marine le Pen n’est nullement sans réserve, et ouvre des contradictions dans son propre parti et sa base sociale, celle-ci enjoint les syndicats à adopter d’autres formes de mobilisation que la grève, notamment en émettant l’idée d’une « grève par la gratuité ».

Mais qu’est-ce que cela signifie ? Il est absolument impossible de défendre le mouvement ouvrier et ses méthodes tout en l’amputant de son arme principale et sa force dans un conflit contre les classes dominantes : la grève. Car si les travailleurs ont une force, et surtout les secteurs les plus stratégiques et concentrés comme les cheminots, c’est celle de pouvoir paralyser l’économie par la grève et instaurer un rapport de force ; posant ainsi la question de « qui dirige l’économie » aux classes dominantes. La capacité des secteurs stratégiques du mouvement ouvrier à faire grève est donc une condition préalable pour pouvoir instaurer un rapport de forces et une issue favorable au mouvement social dans son ensemble.

De plus, derrière cette idée de grève par la gratuité on trouve reconduite l’idée d’une séparation entre les « travailleurs » d’un côté et les « usagers » de l’autre ; les premiers seraient ainsi opposés aux seconds, ou bien devraient dans la mesure du possible limiter les nuisances engendrées par les grèves. Outre que cette façon de poser le problème reprend les arguments du gouvernement en les nuançant à peine, cela soulève surtout une question fondamentale que Marine le Pen ne cherche pas à résoudre : comment massifier le mouvement et construire ce tous-ensemble, à la base, de façon auto-organisée, et afin de mettre en avant des revendications qui ne soient pas corporatistes mais adressées à la majorité de la population ?

C’est la seule solution pour généraliser la mobilisation à d’autres secteurs ainsi que pour éviter le risque d’une « grève par procuration » confiant aux grands secteurs dits « publics » comme la RATP, la SNCF, ou les Hôpitaux le soin de se mobiliser à leur place, mais aussi prévenir à la fois toute tentative de récupération qui voudra se faire uniquement par les urnes et celles du gouvernement qui cherche à mobiliser l’opinion publique contre les cheminots, accusés de défendre leurs « privilèges ». Car si cette « grève par procuration » avait fait reculer Juppé en 1995, cela n’a pas empêché les classes dominantes de revenir à la charge par la suite. En ce sens, cet appel à la mobilisation générale se doit d’être entendu par chacun et chacune : car le train des réformes de Macron n’a laissé et ne laissera personne à l’abri si on ne lui porte pas un coup d’arrêt.

Aussi, les cadres d’auto-organisation, comme des AG interprofessionnelles regroupant des travailleurs syndiqués ou non syndiqués, des Gilets jaunes, les habitants des quartiers populaires, les étudiants, joueront un rôle déterminant pour agir comme moteur d’extension de la grève, afin d’entraîner d’autres secteurs dans la bagarre ou soutenir les grévistes déjà en mouvement. Dans ces cadres, il s’agira de développer un programme sur la question des retraites, mais aussi contre l’ensemble des lois ayant attaqué, au fur et à mesure, le code du travail mais aussi la jeunesse, dont celle des quartiers populaires, réprimée au quotidien par la police. En bref, un programme visant à s’adresser à l’ensemble du monde du travail et de la jeunesse.
 

Des mots d’ordre et un programme pour la majorité de la population

A ce titre, le champ des revendications s’est étendu, au-delà et souvent en convergence avec les Gilets jaunes, contre la réforme ferroviaire, avec la lutte des cheminots en juillet dernier, puis contre les risques climatiques avec les manifestations d’XR, contre la destruction du service public de santé lors de la dernière grève massive du 14 novembre des personnels hospitaliers, pour la sécurité des personnels et des usagers et en défense du service public à la SNCF, contre la réforme des retraites, notamment à la RATP.

Même quand les revendications prennent des aspects économiques de défense des salaires, des revenus ou du pouvoir d’achat, elles contiennent toujours l’idée explicite ou implicite que ce n’est pas ce gouvernement, ni même un autre gouvernement au service du capitalisme, qui pourra les satisfaire ; et en ce sens, lutte syndicale et lutte politique se mêlent de plus en plus étroitement et se nourrissent mutuellement.

Ainsi, le mot d’ordre « contre la réforme des retraites » qui préside à l’appel à la grève reconductible du 5 décembre prend donc une signification qui va bien au-delà du montant des pensions ou de la durée d’indemnisation. A la pseudo « unification » des régimes de retraite grâce à laquelle Macron compte monter certaines fractions de la classe ouvrière contre d’autres, les travailleurs conscients de la manœuvre voudront répondre par l’unité de la classe – et de tous secteurs, à l’encontre des tentatives de division portées par le Rassemblement National.

Contre les tentatives de récupération politicienne de Marine le Pen, purement opportunistes, et qui visent à monter une frange des travailleurs contre les autres, il s’agit au contraire d’œuvrer à la construction d’un vaste mouvement d’ensemble auto-organisé, avec un programme capable d’entraîner l’ensemble des secteurs de la population. C’est avec cette perspective que le 5 décembre, au-delà du blocage économique, pourrait prendre une dimension directement politique.

 
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