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16 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Ecologie
Extinction Rebellion. Après une semaine de mobilisation, ouvrir le débat politique et stratégique
Paul Morao

La semaine de rébellion d’octobre organisée par Extinction Rebellion a pris fin dimanche. Pendant 8 jours, les actions menées par XR ont suscité de nombreuses discussions auxquelles nous entendons contribuer, en défendant la nécessité d’ouvrir le débat politique et stratégique avec et à l’intérieur de Extinction Rebellion.

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Crédit photo : Yoan Valat / EPA

Extinction Rebellion : une organisation mobilisée contre l’urgence climatique

Créée en octobre 2018 au Royaume-Uni, Extinction Rebellion est une organisation internationale prônant la désobéissance civile face à la crise écologique. Ses militants mettent en avant quatre revendications : « la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelle », « la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025 », « l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres », « la création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable. »

Après une première « semaine de rébellion » en avril, Extinction Rebellion organisait la semaine dernière une nouvelle série d’actions qui ont connues une exposition médiatique et politique importante, avec l’occupation du Centre Commercial d’Italie 2 puis de la Place du Châtelet. La fin de cette semaine de mobilisation est l’occasion de revenir sur les débats qui l’ont traversé et sur les bilans que l’on peut en tirer.

De l’occupation d’Italie 2 à la Place du Châtelet : des convergences progressistes

Inaugurant sa semaine de rébellion par l’occupation du centre commercial d’Italie 2, Extinction Rebellion a commencé par frapper un grand coup le 5 octobre en menant une action en convergence avec des militants des quartiers populaires (Comité Adama), des Gilets noirs, des Gilets jaunes, des militants queers (CLAQ) ainsi que des collectifs et médias d’extrême-gauche (ACTA, Cerveaux non disponibles).

Très peu médiatisée, les militants présents auront réussi à occuper le lieu toute la journée et une partie de la nuit avant de choisir de partir, non sans avoir repoussé entre temps une intervention policière visant à les déloger.

Mobilisant un large spectre d’organisation autour d’une convergence assumée entre lutte écologique et luttes sociales, cette première action constituait un signal fort près d’un an après le début du mouvement des Gilets jaunes, né de la réaction à l’augmentation d’une « taxe carbone » prétendument écologique.

Alors qu’en 2016, quelques mois après la COP21, les organisations écolos avaient été relativement absentes de la dynamique de mobilisation contre la Loi Travail, le mouvement des Gilets jaunes semble avoir accéléré la prise de conscience de l’impasse que constitue l’oubli de la question sociale dans la lutte contre la crise écologique.

Surtout, cette dynamique prend place dans un contexte de mobilisations historiques de la jeunesse sur l’ensemble de la planète qui ont réuni des centaines de milliers de personnes pour dénoncer l’inaction climatique. Dans ce cadre, ce type de convergence revêt une importance centrale pour faire émerger un « tous ensemble » contre le gouvernement et les grandes entreprises.

Cette dynamique s’est par ailleurs poursuivie lors de l’occupation de la Place du Châtelet à partir du 7 octobre. Dans le cadre de cette installation d’un campement en plein cœur de Paris, une « cabane jaune » a ainsi été bâtie par des Gilets jaunes qui ont par ailleurs participé aux Assemblées Générales, exprimant éventuellement leurs désaccords avec certains aspects de la stratégie de XR.

Pourtant, le bilan de la semaine laisse entrevoir les fragilités de cette convergence, qui pourrait être mise en question par plusieurs éléments. La question de la police qui aura polarisé les débats sur XR toute la semaine, celle de l’auto-organisation, enfin celle du programme et du discours politique porté par l’organisation.

La question de la violence et de la police : une limite importante

Si des Gilets jaunes ont participé aux actions d’Extinction Rebellion, celles-ci ont cependant suscité de nombreux débats plus ou moins polémiques. Ainsi, quelques jours après le début de l’occupation, XR se sentait obligé de répondre aux multiples commentaires dont l’occupation faisait l’objet sur les réseaux sociaux en faisant un point sur ses financements, sa stratégie et en émettant quelques éléments d’explications sur la faible répression que ses actions suscitaient.

En effet, après le tollé de la répression violente de l’action du Pont de Sully en juin 2019, le gouvernement semblait cette semaine avoir choisi de ménager les militants de XR. Une situation peu surprenante qui s’inscrit dans la volonté d’Emmanuel Macron de se réconcilier avec la jeunesse écolo afin d’élargir sa base sociale et d’éviter l’approfondissement du scénario des Européennes, où la jeunesse écolo a été en partie captée par EELV, cantonnant LREM sur la droite de l’échiquier politique.

Comme le résume le sociologie Erik Neveu interrogé par France Info : « Il n’est pas déraisonnable de penser qu’il n’est pas dans l’intérêt du ministre de l’Intérieur de s’ajouter un dossier de plus aux débats sur les violences policières. Il est aussi sans doute délicat d’agir d’une manière qui serait tenue pour trop brutale sur une forme de protestation qui n’est pas impopulaire dans ses revendications et qui, si elle gêne assurément les automobilistes parisiens, n’est pas matière à scandale. »

Si la suspicion dont a fait l’objet XR semble ainsi ignorer les conditions politiques de la tolérance dont ont fait preuve les forces de l’ordre, force est de constater cependant qu’elle a été alimentée par les positions défendues par Extinction Rebellion.

Sans rentrer ici dans le débat entre violence/non-violence, souvent posé de façon caricaturale et traité par ailleurs, le zèle ostentatoire dont ont fait preuve les militants d’XR toute la semaine pour maintenir une image consensuelle effaçant tout tag politique, faisant disparaître les banderoles perçues comme trop radicales et affichant ostensiblement leur rejet de « toutes les violences » sans distinction, constitue un problème politique majeur.

Si cette discussion a eu tendance à être menée de façon parfois caricaturale, les AGs se polarisant entre discours sur les « êtres humains » derrière les uniformes et « ACAB » provocateurs, les militants d’Extinction Rebellion ont défendu coûte que coûte leur position, quitte à glisser parfois jusqu’à un discours pro-police. Sur le Pont de la Concorde, lors d’ateliers qui se sont déroulés au cours d’une nasse de plus de cinq heures, on a ainsi pu entendre des « rebelles » légitimer la non-violence en minimisant le caractère structurel des violences perpétrées dans les quartiers populaires, s’interrogeant sur la responsabilité des Gilets jaunes dans la répression subie, et en allant jusqu’à expliquer à quel point lors des blocages les « travailleurs » pouvaient parfois être plus violents et virulents que la police…

Il ne s’agit pas ici d’affirmer qu’une telle position reflète l’état d’esprit de l’ensemble des militants d’XR qui participent pour la plupart à leurs premières actions militantes et peuvent être convaincus de la stratégie proposée tout en se montrant capables de la mettre en question. En revanche, du côté des animateurs du mouvement, le fétichisme de la non-violence et de la « communication » peut vite virer à un soutien tacite à la police et participer à légitimer la répression que subissent tous ceux qui luttent.

Comme le notent avec justesse les militants de Désobeissance Ecolo. dans une tribune adressée à XR : « La non-violence jusqu’au-boutiste et intolérante peut être dangereuse. Comme ce qu’elle prétend combattre, elle est excluante, méprisante, produite dans un environnement privilégié qui n’a pas affaire directement à la menace policière et à la machine infernale du monde social ; bref : elle en devient violente. Elle ne se renverse pas dans son contraire ; elle est son contraire, par nature, et ce sans le vouloir ni s’en rendre compte. »

A court et moyen-terme, le maintien d’une telle position pourrait conduire à couper Extinction Rebellion du reste du mouvement social mais aussi devenir intenable, par exemple lorsque la répression frappera l’organisation comme elle l’a fait sur le Pont de Sully en juin, récemment en Belgique ou contre les militants d’ANV COP21 décrocheurs de portraits. L’organisation semble avoir conscience de ces ambigüités comme semble l’exprimer un récent tweet de soutien à Assa Traoré dénonçant la « violence d’Etat » :

Pourtant, au vu des tensions et des débats qui existent au sein même des militants d’XR sur cette question, il convient de la subordonner à un autre enjeu, celui de la possibilité d’un contrôle démocratique de la stratégie de l’organisation par ses militants, ainsi que par tous ceux qui s’impliquent dans les actions d’XR.

L’auto-organisation : une question irrésolue

Si la RIO constitue une semaine de mobilisation estampillée « Extinction Rebellion », force est de constater que les initiatives les plus visibles et réussies de cette semaine l’ont été parce qu’elles ont débordé le cadre strict de cette organisation. Le succès reconnu de l’action d’Italie 2, l’engouement autour de la Cabane des Gilets jaunes à Châtelet sont ainsi à mettre en perspective avec la quasi-invisibilité des actions menées samedi, notamment devant l’Assemblée Nationale.

Dès lors, la question des modes de lutte, de l’auto-organisation et du « consensus d’action » sont nécessairement posées. Or, sur la Place du Châtelet notamment, cet aspect semble avoir été volontairement mis sous le tapis par XR. Jeudi et vendredi, la question de la levée du blocage a ainsi été perçue comme dirigée par en haut par XR, contre l’avis de certains militants qui souhaitaient assurer une convergence avec les Gilets jaunes le samedi.

Par-delà les détails techniques de ce débat, celui-ci a suscité de nombreuses interrogations sur la façon dont est dirigée XR, et sur les rapports que l’organisation entretient avec ses « alliés ». Si la fin de l’occupation pouvait se défendre stratégiquement, quel sens donner à l’AG de 19h30 du vendredi soir qui semblait trancher en faveur du maintien du blocage pour une nuit supplémentaire de façon artificielle, alors que les militants d’XR étaient déjà en train de plier bagage ?

De même, les fameux « consensus d’action » ont soulevé beaucoup d’interrogations. Dans le cadre de l’occupation du Châtelet, les règles prévues à l’avance par XR ont suscité un rejet ou un scepticisme en lien notamment avec l’interdiction de l’alcool et de la drogue, mais surtout l’obligation de « faire preuve de respect […] envers toute personne, y compris les membres du gouvernement et des forces de l’ordre ».

Si Extinction Rebellion est en droit de se fixer les règles qu’elle désire dans le cadre de ses actions – et ce même si la fabrication des fameux « consensus d’action » semble relativement opaque – la question du contrôle sur ces règles se pose dès lors que l’organisation prétend fédérer et réunir plus largement. Or pendant la semaine d’occupation à Châtelet les voix dissonantes lors des AGs ont constamment été renvoyées au consensus d’action et à la possibilité de quitter l’occupation en cas de refus de les accepter.

Dans ces AGs, pourtant présentées comme des « assemblées citoyennes », la discussion politique a été souvent réduit à la portion congrue, les modérateurs cherchant constamment à ramener les débats sur un terrain pratique, technique. Ainsi dans les AGs du soir auxquelles nous avons assisté, le blocage était toujours traité en termes logistiques, aidés en cela par l’ « autonomie » des points de blocages qui rendait toute discussion superficielle puisque non décisionnelle.

Réduites généralement à la « prise de température », comprendre un vote symbolique qui n’engage rien ni personne, les assemblées citoyennes ont dès lors rarement permis d’aborder des discussions politiques, aboutissant à des résultats parfois absurdes ou bureaucratiques. L’assemblée du lundi soir constitue à ce titre un exemple marquant.

Tandis que la question du passage éventuel du cortège funéraire des policiers tués dans l’attentat de la préfecture le lendemain était posée, les organisateurs du débat ont proposé d’en discuter tout en refusant d’ouvrir le débat sur le rapport à la police. Toute contestation de la proposition de laisser passer le cortège ou d’organiser une minute de silence à son passage était ainsi renvoyée au « consensus d’action » de « respect » de la police, mais aussi à la nécessité technique de laisser passer un cortège sur la route duquel se trouvait l’occupation.

Une discussion impossible donc, qui a abouti à la réalisation de la fameuse banderole « Contre toutes les violences » tant décriée, et à une minute de silence en l’honneur des policiers. Des conclusions pour le moins politiques, mais imposées par en haut du fait de la nature et du cadre même du débat.

Pour avancer il faudra pouvoir discuter politique, programme et stratégie

En définitive, cette conception purement technique de l’auto-organisation aura empêchée que cette semaine permette de mener la discussion autour du programme et de la stratégie d’Extinction Rebellion. Si XR et ses militants ont pu répéter à l’envie leurs quatre revendications principales, la possibilité d’en débattre et de souligner leurs limites ou leurs impensés aura été empêchée.

Parmi les questions que l’on aurait été en droit de poser un certain nombre nous viennent. Par exemple, est-il juste d’attendre des gouvernements qu’ils « reconnaissent la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles » ? Comment entend-on atteindre la neutralité carbone en 2025 par une « réduction de la consommation » ? Comment encore obtenir que nos « sociétés reconnaissent avec humilité leur place au sein de la biosphère » pour limiter l’extinction de la biodiversité ? Quel rôle pour l’« assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs » : consultatif ? Exécutif et législatif ? S’agit-t-il d’imposer une démocratie directe ? Si oui comment ?

Une autre question aura taraudé les différentes assemblées et discussions que cette semaine de mobilisation a générées, celle du « capitalisme » et de la manière de le changer. Une question qui permettrait de mieux comprendre si XR entend obtenir des gouvernements les transformations qu’ils réclament ou s’il croit nécessaire un changement de système. Là encore, Extinction Rebellion aura choisi de rester évasif tout au long de la semaine, certains « dirigeants » affirmant que XR ne se revendiquait pas de l’ « anticapitalisme » pour des raisons, entre autres, de « communication ».

Un constat semblable à celui dressé par Hervé Kempf dans Reporterre : « Extinction Rebellion a remporté une victoire, mais qui semble ne servir à rien. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », écrivait Corneille. Et peut-être n’y avait-il non seulement pas de péril, mais pas d’adversaire. XR, donc, demande « la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre » et « l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes ». Fort bien, mais… à qui ? Aux industriels, au gouvernement, au capitalisme, aux pêcheurs, aux riches, aux consommateurs, aux bûcherons, aux automobilistes, aux fermes-usines, aux touristes qui prennent l’avion, … ? Qui est censé arrêter – sans même parler du comment ? »

Si ces questions méritaient d’être posées c’est qu’elles engagent l’ensemble de la stratégie d’Extinction Rébellion, et la possibilité même d’établir le type d’alliance progressiste qui ont été inaugurées lors de l’occupation d’Italie 2. Des alliances qui semblent nécessaires si l’on accepte de voir dans l’échec relatif des actions du week-end de la fin de la RIO une expression, au moins en partie, de l’échec de la convergence qui aurait dû être opérée avec les Gilets jaunes mais aussi avec d’autres secteurs.

A l’issue de cette semaine qu’on peut qualifier d’ « étrange victoire » comme Hervé Kempf, ou dont on peut souligner le caractère « en demie-teinte » comme Mediapart deux possibilités semblent s’offrir Extinction Rebellion et à ses militants.

Ceux-ci peuvent tirer un bilan négatif des occupations d’Italie 2 et du Châtelet et soulignant l’exposition à la critique de l’organisation qu’elles ont générées et les risques de « perte de contrôle ». Dès lors, XR pourrait choisir de se refermer sur des actions ponctuelles menées par XR pour XR dans le plus grand respect des « consensus d’action » du jour. A l’inverse, Extinction Rebellion pourrait choisir d’ouvrir le débat stratégique et politique, sur la police, le capitalisme, les revendications qu’il porte.

Un tel débat pourrait permettre de s’adresser à de nombreux secteurs et faciliter les convergences futures, à un mois d’une grève illimitée parisienne qui pourrait faire trembler le gouvernement. La convergence avec les travailleurs et les Gilets jaunes – qui ont démontré leur refus de payer pour la crise écologique à la place des riches - dépendra par exemple étroitement de la réponse apportée à la question de « qui doit payer la crise écologique ? ».

Quelque soit l’issue des discussions qui s’ouvriront dans Extinction Rebellion après cette semaine, on ne peut espérer qu’une chose : qu’elle permette de mettre au centre de la discussion le point de vue de l’ensemble des militants et d’échapper au « consensus » figé autour d’un ensemble de principes et de revendications floues, dont l’ambigüité ne pourra être résolue que par le débat politique et stratégique.

 
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