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La Izquierda Diario
23 de juillet de 2019 Twitter Faceboock

Pour la régularisation, contre l’esclavage moderne
Gilets Noirs. « On n’a plus peur de la mort. La seule chose qui nous fait peur, c’est l’humiliation »
Yano Lesage

L’occupation du Panthéon à près d’un millier a braqué les projecteurs sur le mouvement des Gilets Noirs le 12 juillet dernier. Rencontre avec Yacine* de La Chapelle Debout ! et Kamara*, Gilet Noir de 23 ans.

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L’occupation du Panthéon à près d’un millier a braqué les projecteurs sur eux le 12 juillet dernier. Mais voilà près de 6 mois que le mouvement des Gilets Noirs, qui regroupe des sans-papiers des foyers de travailleurs et des primo-arrivants, a décidé de passer à l’action. De l’occupation de la Comédie française au siège d’Elior, 4ème entreprise mondiale de restauration collective qui sur-exploite des sans-papiers, les Gilets Noirs ont décidé de braver la peur pour exiger leurs droits à la vie et à la dignité. Rencontre avec Yacine* de La Chapelle Debout ! et Kamara*, Gilet Noir, de 23 ans.

L’occupation du Panthéon a été spectaculaire. Le 12 juillet, par une action organisée au millimètre, un millier de Gilets Noirs occupent pacifiquement le lieu symbolique durant trois heures et demi. S’ils ne veulent plus négocier avec le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, c’est pour sortir de cette « logique du cas par cas des préfectures ». « On veut des papiers de manière collective » explique Yacine, membre du collectif La Chapelle Debout ! créé en 2015 pour la défense des exilés primo-arrivants regroupés dans le nord de Paris et qui participe du mouvement Gilets Noirs. Les Gilets Noirs veulent négocier avec Edouard Philippe auquel ils ont remis une lettre pour exiger la régularisation collective des sans-papiers. « Alors que c’est la député Danièle Obono qui lui a remis il y a quelques semaines, les policiers nous ont dit que le premier ministre assurait ne l’avoir jamais reçu », explique-t-il. Nouvelle marque de mépris et de mensonge de la part des autorités. Ce ne sera pas la dernière...

« Lorsque la police demande notre évacuation [du Panthéon], nous avons décidé ensemble puis négocié de sortir de manière collective ». Mais à la sortie, une partie du groupe de Gilets Noirs est pourchassée. « Les policiers mènent trois charges en visant spécifiquement les personnes noires ». Une véritable ratonnade durant laquelle les insultes racistes pleuvent et 30 personnes sont blessées, dont une qui a les pieds cassés et l’autre, victime d’un traumatisme crânien, qui passe 24 heures dans le coma. 37 personnes sont interpellées, dont 21 emmenées au commissariat du 5ème arrondissement et 15 au Centre de Rétention Administrative de Vincennes en vue d’un renvoi hors de France. Face aux vices de procédures, mais aussi à la mobilisation collective devant le Palais de Justice, elles seront toutes relâchées.

Yacine n’en revient pas du moral et de la détermination des Gilets Noirs ce jour là malgré la répression. « Du Panthéon aux cellules du comico’ jusqu’au centre de rétention, ça chantait ’’Gilets Noirs’’ ». Comme si la peur était passée de l’autre côté...

« Depuis l’action du Panthéon, une dizaine de nouveaux foyers ont décidé de rejoindre les Gilets Noirs »

« Ça faisait longtemps qu’il n’y avait plus un mouvement de sans-papiers offensif, revendicatif » entame Yassine. « Alors forcément, un mouvement qui propose de dépasser le cadre existant, ça intéresse les gens ». Depuis l’occupation, très médiatisée, du Panthéon par les Gilets Noirs, « c’est une dizaine de nouveaux foyers qui ont décidé de rejoindre le mouvement », désormais plus d’une cinquantaine en Ile-de-France.

La nouveauté, c’est qu’il regroupe non seulement l’ancienne génération de travailleurs sans-papiers, qui pour beaucoup attendent encore des titres de séjours après plus de 10 ans à travailler sur le territoire français. Mais aussi des primo-arrivants, souvent des jeunes comme Kamara*, passé par le Sahara, le Maroc, la Méditerranée, l’Espagne, et arrivé en France il y a moins d’un an.

Si le nom de « Gilets Noirs » est issu du 18 mars, jour de la Marche contre les violences policières – « pour se rendre visible » explique Kamara – c’est depuis novembre que le mouvement de sans-papiers, parti des foyers, des locataires de la rue et du collectif La Chapelle Debout ! s’est lancé dans une série d’action coup de poing.

Musée de l’Immigration, Comédie française, Panthéon : des lieux symboliques pour exiger des régularisations collectives...

« La première, c’était une manifestation devant le musée de l’Immigration, en novembre, où on était 300 personnes ». « Puis il y a eu l’occupation de la Comédie française à 720 personnes le 16 décembre »poursuit Kamara. La préfecture s’était alors engagée à régulariser 30 personnes par mois. Une promesse qui n’a pas été tenue puisqu’à ce jour, « seule une personne a été régularisée ». Nouveau mensonge des autorités préfectorales...

Les Gilets Noirs n’occupent pas seulement des lieux symboliques pour interpeller les autorités. « Ce n’est pas seulement pour des papiers qu’on revendique. On est en lutte contre ce système qui créé des sans-papiers ». Notamment ces entreprises qui collaborent et tirent profit du système de rétentions et des « déportations » – c’est le terme qu’emploie les Gilets noirs pour parler des expulsions.

...à la dénonciation du marché des déportations et des entreprises collabos : AirFrance, Elior, Bouygues,...

C’est le cas d’AirFrance qui a des contrats de déportation avec l’Etat français. Pour protester contre cette collaboration, les Gilets Noirs ont occupé, le 19 mai dernier, l’aéroport Charles De Gaulle. « Ce jour-là » pour Yacine, « les Gilets Noirs ont su montré leur courage et leur détermination ». En effet, car c’est à côté de Roissy que se situe le Centre de Rétention Administratif (CRA) du Mesnil-Amelot d’où les sans-papiers sont déportés après avoir été retenus. La prise de risque est énorme. Le courage l’est plus encore.

Les Gilets Noirs dénoncent aussi ce marché des déportations dans lequel les entreprises sont doublement gagnantes : d’avoir remporté ces nouveaux marchés et d’exploiter et sous-payer les sans-papiers qui y travaillent. Le cynisme est crasse. Conduit par la société Screg, une filiale de Bouygues, la construction du CRA du Mesnil-Amelot a été largement réalisée avec des sans-papiers sous-payés. Pour preuve, en août 2008, sur ce chantier, trois travailleurs sans-papiers sont arrêtés. « Bouygues leur fait construire leur propre prison » résume l’Humanité dans un article de 2015 qui dénonce le « marché de l’enfermement ».

Le 12 juin 2019, les Gilets Noirs ont occupé le siège d’Elior, pour dénoncer les payes amputées des sans-papiers qui y sont largement employés. Elior, c’est le 4ème groupe mondial de la restauration collective. Mais c’est aussi l’entreprise qui a remporté le contrat de la distribution de repas au CRA du Mesnil-Amelot. « Elior comme Onet, GEPSA (Engie, ex-EDF) et d’autres, nous force à balayer les cellules et préparer les repas de nos camarades enfermé.e.s dans les centre de rétention et les prisons (…). C’est Elior qui fait tourner le CRA de Plaisir où notre camarade D. est retenu prisonnier » rend compte le communiqué des Gilets Noirs.

"GIlets Noirs cherchent 1er ministre", devant le siège d ’Elior. Image Twitter @chapelledebout

Si son PDG, Philippe Guillemot n’est pas descendu de sa tour de la Défense, ce jour-là, dont l’entrée était occupée par les Gilets Noirs, l’entreprise a malgré tout ouvert des négociations en recevant une délégation de Gilets Noirs. Preuve que la lutte paye !

« Notre lutte, c’est la lutte de tous les précaires, de tous les exploités »

Les secteurs de la construction, du nettoyage et de la restauration emploie massivement des sans-papiers, autant de secteurs indispensables pour l’extraction de plus-value et la reproduction du capital. « Sans les travailleurs sans-papiers, Paris serait une grande poubelle » résume Kamara. Vulnérables, ils sont le plus souvent sous-payés et à la merci de leurs employeurs. « Sur un chantier où j’ai travaillé, le patron voulait me payer 50 euros la journée au lieu des 90 euros pour les autres salariés. J’ai refusé. Ma paye n’a tout simplement pas été versée... » raconte Kamara. « c’est de l’esclavage moderne » résume-t-il. « Et lorsque tu demandes le papier Cerfa, [qui prouve le travail effectué et est indispensable aux démarches de régularisation], ils te mettent à la porte ». Ces exemples sont légions parmi les rangs des sans-papiers.

« Peut-être il faudrait que tous les sans-papiers s’arrêtent de travailler pour que les gens se rendent comptent, pour que les choses changent ». Et de citer en exemple, ces sans-papiers de Chronopost Alfortville « qui ont grévé ».

Kamara refuse de se résoudre à l’idée qu’il faudrait « attendre dix ans » comme certains anciens lui conseillent pour être régularisé. « Il y en a, ça fait 15 ans qu’ils sont là, qu’ils travaillent, qu’ils payent des impôts, la sécurité sociale, mais ils n’ont toujours pas de papiers ». « Moi je ne peux pas continuer comme ça. Ce que je gagne je le mange. Impossible d’aider ma famille. Il faut que ça change maintenant. Pas seulement pour les papiers. Mais pour avoir le droit de vivre dignement de son travail. » « Nous sommes avant tout des Gilets a dit un camarade, des Gilets noircis par la colère ».

« Pour moi, la peur c’est fini. Quand on a traversé le Sahara, la Méditerranée, on a déjà tout perdu »

Cette détermination vient de loin. De son pays d’origine, la Mauritanie, où « pour avoir un travail, il faut avoir une connaissance » dans les cercles restreints du pouvoir aux mains d’une dictature militaire. Où la nouvelle présidence, passée des mains de l’ancien général Abdel Aziz à son fidèle bras droit le général Ghazouni, et la mascarade d’élections présidentielles de juin 2019 a été récemment adoubée par la France, trop contente d’y protéger ses intérêts et ses bases militaires.

Elle vient aussi de son passage par le Sahara et la méditerranée, devenus des cimetières à ciel ouvert. « Je vois des jeunes comme moi mourir tous les jours. Je suis passé par là. Quand on a vécu ça, on a déjà tout perdu. Alors pour moi, la peur c’est fini. Maintenant, il faut lutter ».

*les prénoms ont été modifiés

Crédits Photo : O Phil des contrastes, Gilets Noirs durant la Marche Adama du 20 juillet 2019, Beaumont-sur-Oise

 
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