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La Izquierda Diario
9 de juillet de 2019 Twitter Faceboock

Université d’été de Révolution Permanente
Débats stratégiques autour du « féminisme pour les 99% » dans l’Aveyron
Paul Morao

Pour la dernière journée de l’Université d’été de Révolution Permanente, un débat passionnant s’est ouvert autour du Manifeste « Féminisme pour les 99 % ». Tout en soulignant les flous stratégiques du Manifeste, Andrea D’Atri a insisté sur l’importance de ce texte et des tendances au développement d’un féminisme anticapitaliste qu’il exprime.

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De la Pologne à l’Argentine, en passant par l’Espagne, les États-Unis ou le Brésil, les femmes ont été en première ligne pour revendiquer leurs droits et s’opposer aux gouvernements réactionnaires ces dernières années, au point de parler d’une nouvelle vague féministe.

Alors que les dernières décennies ont conduit à une incorporation massive des femmes au marché du travail dans des conditions souvent précaires, les femmes ont combiné de façon croissante la lutte pour leurs droits avec des revendications liées au travail, soulignant fréquemment le lien étroit entre capitalisme et oppression patriarcale.

Le féminisme pour les 99% : un manifeste politique produit de la quatrième vague

Face à une audience composée notamment de militantes du courant international Pan y Rosas ainsi que de femmes travailleuses, Andrea D’Atri a commencé par rappeler le contexte de cette quatrième vague féministe dans lequel s’inscrit nettement le manifeste « Féminisme pour les 99% », écrit par trois universitaires nord-américaines et publié le 8 mars dernier. Produit de la radicalisation et de la massification du mouvement des femmes à l’international, ce manifeste en cristallise différentes tendances.

D’abord, la crise du féminisme néo-libéral qui a accompagné les plans d’ajustement structurel. Substituant à la lutte contre les oppressions la promotion de la « diversité », ce féminisme a tenté de légitimer le recul des droits des femmes et la précarisation de leurs conditions de travail en s’alliant avec l’establishment et en présentant l’arrivée de femmes telles qu’Angela Merkel ou Hillary Clinton à des postes de pouvoir comme une victoire féministe.

Ensuite, l’émergence de la grève des femmes comme méthode de lutte. Si celle-ci s’est imposée comme une notion très large, les bureaucraties syndicales ayant rarement permis de mener de véritables mouvements de grève, la mobilisation de cette terminologie pour désigner un ensemble de pratiques, de l’arrêt du travail à celui de la consommation en passant par les sourires exprime bien l’intégration croissante des femmes dans la classe ouvrière dont elles reprennent les méthodes de lutte, au moins symboliquement. En outre, Cinzia Arruzza et Tithi Bhattacharya ont participé activement à l’organisation de la première grève internationales des femmes le 8 mars 2017.

Un manifeste féministe anticapitaliste aux contours stratégiques flous

Abordant le Manifeste à proprement parler, Andrea D’Atri a commencé par souligner les nombreux points de convergence entre ce texte et la tradition revendiquée par le courant Pan y Rosas dont elle est l’une des fondatrices, à savoir un féministe anticapitaliste révolutionnaire, qui lie la lutte contre le patriarcat et la lutte contre le capitalisme. À ce titre, le Manifeste revendique un féminisme anticapitaliste mais aussi anti-raciste et anti-impérialiste.

Pourtant, ici, c’est la question de la stratégie revendiquée qui fait défaut. Si cet enjeu est plutôt absent du livre, qui se conclue pourtant par l’appel à une « insurrection globale », ce sont précisément les silences du Manifeste qu’entend dès lors interroger Andrea D’Atri. Pour cela, elle commence par citer deux phrases du texte, la première évoque une situation marquée par un « vide politique », la seconde le refus, de la part du féminisme des 99%, du « populisme réactionnaire et du néo-libéralisme progressiste ».

Une double prise de position qui fait l’impasse sur la question du néo-réformisme, de Podemos à la France Insoumise en passant évidemment par Bernie Sanders, dont les auteures ont pourtant soutenu de façon critique la candidature aux primaires du Parti Démocrate, l’un des partis historiques de la bourgeoisie et de l’impérialisme états-unien. Pour Andrea D’Atri, ce silence conduit à un soutien tacite au néo-réformisme, qui semble pourtant mal s’accommoder d’une perspective anticapitaliste ou révolutionnaire, comme l’ont montré la trahison de Syriza, la subordination de Podemos à un PSOE social-libéral ou encore les récentes déclarations de Bernie Sanders concernant l’importance de la frontière, pourtant meurtrière, entre les États-Unis et le Mexique.

Si le Manifeste est ainsi extrêmement progressiste dans l’ensemble de ses prises de position, en faveur des LGBTIQ+, de l’anti-racisme, de l’anti-impérialisme ou de l’internationalisme, Andrea D’Atri conclue que ses silences méritent d’être interrogés et débattus, pour tirer les bilans du néo-réformisme et construire une stratégie féministe capable de mettre fin au capitalisme et à l’oppression patriarcale.

Une conception extensive de la classe ouvrière qui élude la question des alliances

Si la question stratégique est relativement absente du livre, le Manifeste évoque cependant la centralité de la classe ouvrière, de plus en plus féminisée et racisée. Ici, c’est cependant la définition de la classe ouvrière qui fait problème puisque les auteures, affiliées au courant de la « théorie de la reproduction sociale », considèrent que toute personne participant à la « reproduction » de la force de travail et de la société, et notamment aux tâches domestiques de soin, appartient de fait à la classe ouvrière. Une conception extensive qui intègre l’ensemble des femmes dans cet ensemble.

Or, pour Andrea D’Atri, outre sa pertinence sociologique, cette définition entraîne un problème stratégique important. En effet, malgré son rôle central, la classe ouvrière et ici diluée dans un large « tous ensemble », celui des 99%, qui conduit à éluder la question des alliances de classes. Si pour Andrea D’Atri la centralité de la classe ouvrière est fondamentale, celle-ci doit aller de pair avec une politique d’alliances en direction d’autres classes, notamment les classes moyennes et la petite-bourgeoisie. En invisibilisant ces fractions de classe, le féminisme des 99% tend vers une logique populiste.

Une discussion riche autour de la nécessité de construire un féminisme révolutionnaire

Le topo qui se voulait synthétique, a été suivi par une riche discussion avec la salle. Lucia, militante de Pan y Rosas en Espagne a abondé dans le sens d’Andrea D’Atri concernant le flou stratégique du féminisme pour les 99% en évoquant les discussions qui avaient pu être menées avec Nancy Fraser lors de sa tournée en Espagne, lors desquelles celle-ci avait affirmé la nécessité contradictoire de porter un programme féministe transitoire et de soutenir les organisations réformistes.

Une intervention a également souligné les ambiguïtés entre un « féminisme pour les 99% », compatible avec une conception associant centralité et hégémonie de la classe ouvrière, et un « féminisme des 99% », inscrit dans une perspective populiste.

Au terme de deux heures de discussion, les participants et les participantes ont pu tomber d’accord sur l’intérêt du Manifeste pour les 99% et l’importance de débattre avec toutes celles qui revendiquent un féminisme anticapitaliste, à l’image des organisatrices de la grève des femmes suisse, pour construire ensemble un mouvement révolutionnaire, anticapitaliste, internationaliste.

Crédit photo : Josep Lago / AFP

 
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