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La Izquierda Diario
1er de juin de 2019 Twitter Faceboock

Mobilisation en Algérie
Elections du 4 juillet en Algérie : un match décisif entre le régime et les masses populaires
Mones Chaieb

Dans un discours prononcé depuis la région militaire de Ouargla, le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah affirmait que « la tenue des élections présidentielles mettra un terme à tous ceux qui tentent de faire perdurer cette crise ». N’hésitant pas à menacer « tous ceux qui sont impliqués dans le complot contre l’armée », l’appareil militaire qui dirige de fait le régime algérien, voit dans les élections du 4 juillet un processus électoral indispensable pour légitimer la mise en place d’un gouvernement qui assurera aux classes dominantes le « retour à l’ordre » tant désiré.

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L’appareil militaire met en effet tout en œuvre pour assurer le « retour à l’ordre ». En démontre l’ampleur de la répression, avec la mort du jeune manifestant Ramzi Yettou suite aux blessures causées par les coups de la police, le décès du militant mozabite Kamel Eddine Fekhar en prison après une grève de la faim de presque deux mois visant à protester contre son arrestation le 31 mars dernier ; de même que le dispositif sécuritaire déployé contre la mobilisation des masses populaires à Alger - jamais vu depuis le début de la mobilisation - et les dizaines d’arrestations dans les rangs des manifestants. Les brèches du régime ainsi mises à nu, l’appareil militaire s’ingère progressivement et de plus en plus directement dans les affaires sociales, comme en témoigne les déclarations du chef de l’état-major, de même que l’arrestation de Louisa Hanoune. En effet, on peut certes reprocher à cette dernière sa stratégie de collaboration de classe, mais il faut cependant être ferme sur le fait qu’il n’appartient nullement à l’armée d’en juger, mais bien aux travailleurs et aux couches populaires elles-mêmes. Cependant, et malgré toutes les atteintes aux droits démocratiques qui menacent le mouvement, le régime peine à sortir de la crise. Aucune candidature n’a été déposée à ce jour, ce alors que la date limite de dépôts au conseil constitutionnel est dépassée. Ce qui montre l’impasse dans laquelle se trouve le régime face au mouvement populaire.

L’irruption des masses populaires algériennes sur le terrain politique, sans contrôle du gouvernement, des syndicats, ou des partis politiques, a réussi le tour de force de dégager le président sortant. Ce faisant, les masses populaires ont pris conscience de leur force collective. Avec des méthodes radicales de par leur capacité à mettre en mouvement l’ensemble des couches opprimées de la société algérienne, la mobilisation inédite en terme d’ampleur, a mis à nu les brèches du régime.

Comme pour un match de football, c’est autour de la stratégie pour remporter la victoire finale que se déclinent les différentes tactiques des équipes antagonistes en fonction de leur composition, des conditions de jeu, et du rapport de force afin de défendre leur camp et de marquer le maximum de but contre l’adversaire. Les élections présidentielles du 4 juillet sont le principal moyen par lequel les classes dominantes ont tenté de résoudre la crise, en redonnant une légitimité électorale au régime par la voie de l’appareil bureaucratico-militaire, Gaïd Salah en tête. Cependant cette option semble compromise, étant donné que tous les potentiels candidats ont dû se retirer sous pression de la rue, et que le chef de l’état-major de l’armée semble incapable d’incarner lui-même le « candidat miracle » de par son long passif de bras armé du régime anti-social de Bouteflika. Ce qui le délégitime largement aux yeux des masses populaires, tandis qu’il apparaît aux yeux des libéraux comme étant trop attaché aux intérêts de la bureaucratie d’Etat qu’il tente à tout prix de garantir en se maintenant sur la « voie constitutionnelle » qui consacre les institutions sur lesquelles cette couche sociale fleurît. Une position inconfortable pour le pouvoir actuel, qui se coltine une fin de match difficile sur fond de remise en cause de la domination d’un régime qui avait pourtant réussit à se répartir les richesses nationales. S’il avait maintenu en sa possession une légitimité historique subtilisée dès le début de l’indépendance, et était ainsi parvenu à déjouer en surface les contre-attaques populaires, on sent l’essoufflement des petites combines qui ne trompent plus personne, et d’un discours populiste vu et revu.

Bouteflika ou l’arbitre corrompu

Abdelaziz Bouteflika jouait depuis son entrée en fonction en 1999 le rôle d’arbitre entre les deux principales fractions des classes dominantes. D’une part l’appareil bureaucratico-militaire soucieux de conserver sa place privilégiée dans l’accaparement des richesses produites dans le cadre de l’économie rentière qu’il avait pu reconquérir après la claque d’octobre 1988, grâce à la mise en scène de son rôle dans la lutte contre le terrorisme dans les années 1990. D’autre part la bourgeoisie compradore, composée d’oligarques qui s’est également largement enrichie pendant la décennie noire, profitant de l’état la torpeur dans laquelle était plongé le mouvement des masses populaires, pour licencier et casser les droits des travailleurs, privatiser les entreprises et s’accaparer des monopoles de l’import-export, en échange de pots-de-vins, dans les secteurs de l’agro-alimentaire, des matériaux de construction, et de l’industrie légère. Cette dernière émettait cependant de manière régulière le souhait sinon de s’en débarrasser, en tout cas de diminuer le pouvoir de la bureaucratie d’Etat, incontournable dans l’attribution des marchés publics, en accélérant le rythme des réformes libérales, afin de démanteler le secteur public dirigé par cette même bureaucratie, et d’en accroître l’ouverture aux capitaux privés.

En conciliant les intérêts de la brute et du truand, l’ère Bouteflika s’inscrivait dans un projet où la corruption joue un rôle central pour répartir les richesses, et où les jeux d’alliances portaient en eux des caractères bien souvent contradictoires, en raison de la porosité entre les différentes fractions : on imagine aisément le bureaucrate cadre d’une entreprise étatique, enrichi hier grâce à la corruption, voulant désormais investir avec son capital propre dans cette même entreprise. Le retrait de Bouteflika de la scène politique depuis son AVC de 2013, combiné à l’instabilité du cours des hydrocarbures sur le marché mondial qui a relativement déstabilisé l’économie rentière, ont ainsi laissé paraître ces contradictions internes au pouvoir. C’est dans ces brèches que se sont engouffrées les masses populaires, avec les mots d’ordre « yetnahaw ga3 » (qu’ils partent tous) et « yethasbou ga3 » (qu’ils soient tous jugé) exprimant tant le rejet de ce projet, que le refus de prendre parti pour l’une ou l’autre de ces factions, toutes qualifié de « serraqin » (voleurs).

Gaïd Salah : quand le défenseur joue en attaque.


La démission forcée du bonaparte Bouteflika à bout de souffle a donc ébranlé un régime qui s’est historiquement construit dans des situations de crise - après la guerre d’indépendance, ou après la décennie noire - lors desquelles le préalable à tout consensus entre les différentes fractions bourgeoises et la restauration de « l’ordre » pour les classes dominantes était l’exclusion des masses de la vie politique. A ce titre, la combinaison entre la fausse opération main propre lancée ces dernières semaines par l’appareil militaire, qui consiste à mettre en scène les arrestations d’oligarques dont la fortune est entachée d’affaires de corruption, avec l’affirmation par le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah des élections présidentielles du 4 juillet comme seule et unique « sortie de crise », s’inscrit dans la continuité d’un régime en mal d’hégémonie.

Au sujet des arrestations spectaculaires d’Ali Haddad, Issad Rebrab, Saïd Bouteflika et des généraux Mediène et Tartag ; Gaïd Salah prétend qu’elles ouvrent la voie pour que l’appareil judiciaire se saisisse des affaires de corruption. Mais quelle justice doit-on attendre de la part d’un appareil militaire, véritable pilier du régime depuis 1962 ? Le journaliste Yassine Temlali notait ainsi que « l’implication de la justice militaire dans cette affaire vise à empêcher que l’éventuel procès des accusés ne révèle sur le fonctionnement du régime d’Abdelaziz Bouteflika des éléments trop embarrassants pour le régime de facto en place depuis sa destitution. Il n’est pas non plus illégitime de croire qu’un procès “maîtrisé”, devant une cour martiale, permet d’éviter à deux anciens puissants généraux, Mohamed Mediene et Athmane Tartag, une humiliation publique qui peut provoquer des remous au sein de l’armée. »

Pour s’en convaincre il n’y a qu’à regarder de plus près les motifs d’inculpation en question. Ali Haddad, ex-chef du FCE et proche de Bouteflika a par exemple été prétendument arrêté au motif qu’il transportait la modique somme de 4500€ et deux passeports. On ne peut que s’étonner de la faiblesse de l’accusation lorsque l’on sait que le patron du groupe ETRHB a profité de la corruption au vu et au su de tous pour empocher des millions lors de la construction de l’autoroute Est-Ouest. Issad Rebrab, le multimilliardaire propriétaire du groupe CEVITAL, est lui inculpé pour une sombre histoire de surfacturation, certes passible de poursuites mais non d’emprisonnement, alors qu’il est de notoriété publique que l’oligarque s’est enrichi grâce à la protection du clan Bouteflika qui lui a permis d’accumuler son capital en profitant du monopole sur le sucre et l’huile, au détriment des ménages durement touché par l’inflation en particulier sur les produits alimentaires. Ce décalage entre les motifs officiels des arrestations et la réalité des affaires de corruption indécentes, montre la vraie nature de l’appareil militaire. Ahmed Gaïd Salah, loin de s’associer aux revendications populaires et de lutter contre la corruption comme il le prétend, endosse en fait la tâche d’assurer un retour à « l’ordre » des puissants, qu’il ne veut en aucun cas effrayer en risquant de déballer leur linge sale en public. Au plus relèvent-elles d’une volonté de l’appareil militaire de négocier avec l’opposition libérale si celle-ci accepte ses conditions.

Une crise d’hégémonie et un régime en mal de remplaçants

Ces arrestations s’inscrivent bel et bien dans une tentative de canaliser la colère des masses en leur donnant l’illusion que le régime simplement débarrassé de la figure de Bouteflika devenue gênante, serait désormais à même d’assurer aux masses la satisfaction de leurs revendications. Elles s’accompagnent d’un tournant répressif opéré à travers le déploiement d’un dispositif sécuritaire sans précédent depuis le début de la mobilisation, contre ceux qui s’opposent à la tenue des élections présidentielles du 4 juillet, à l’instar des arrestations de plusieurs dizaines de manifestants ces derniers jours, ainsi que de la mort emblématique à la prison d’El Harache du militant mozabite Kamel Eddine Fekhar, emprisonné pour son opposition au régime dès le 31 mars dernier.

De même, l’arrestation de la secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT) Louisa Hanoune accusée de « complot contre l’autorité de l’Eat » et « atteinte à l’autorité de l’armée » est constitutive d’une offensive contre l’opposition au chef de l’appareil militaire. Louisa Hanoune et le PT derrière elle ont certes adopté depuis longue date une stratégie de collaboration avec le régime qui les ont rendus sujets de la vindicte populaire dès le début du hirak. Mais il appartient aux travailleurs et aux masses populaires elles-mêmes d’en juger, et non pas à un tribunal militaire convoqué pour sauver le régime. Or en profitant de ce désaveu des masses populaires à l’égard d’une des principales organisations ouvrières existantes en Algérie, de même que du climat anti-politique du discours dégagiste ambiant, le chef de l’état-major s’est permis une percée contre les droits démocratiques et crée ainsi un précédent pour s’ingérer dans les affaires sociales et mettre en cause les figures du mouvement social qui s’opposeraient aux élections présidentielles du 4 juillet.

C’est dire l’importance de ces élections pour le régime. En effet, si l’on considère que la mobilisation populaire est parvenue à un véritable tour de force en imposant la démission de Bouteflika, les classes dominantes algériennes ne semblent pas vouloir en rester là. Deux principales options s’offrent donc à elles. La première consiste à s’appuyer sur l’actuel chef de l’appareil militaire, véritable pilier de l’Etat algérien depuis la confiscation de l’indépendance en 1962. Dans un contexte où les institutions sont profondément remises en cause par un mouvement de masse d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de la République algérienne, le régime doit trouver un moyen pour se relégitimer. L’organisation d’élections verrouillées par des dispositions constitutionnelles, des contraintes temporelles, et surtout par la répression de la mobilisation populaire, semble être le pari sur lequel mise pour le moment Gaïd Salah. Mais pour cela il sait qu’il doit rallier à lui au moins une partie de l’opposition libérale. Cette nécessité implique ainsi pour l’appareil militaire d’offrir des garanties significatives à cette dernière, telles que la mise en place d’un pouvoir collégial qui intègre dans un premier temps les sensibilités des différentes fractions bourgeoises, contradictoire avec la fonction présidentielle que prétend reconduire Gaïd Salah avec les élections du 4 juillet et une forme hyper-centralisée de pouvoir.

La mise en place d’une instance de transition, non élue et composée de « personnalités de confiance », est donc la seconde option qui s’offre aux classes dominantes. Celle-ci n’en est pourtant pas moins bonapartiste. Historiquement les portes de sortie des classes dominantes aux crises successives du régime algérien ont été incarnées par les « hommes providentiels », de Boumédiène à Bouteflika en passant par Chadli. La situation actuelle n’est pas exempte de la volonté des différentes fractions de faire émerger telle ou telle figure pour porter leurs projets respectifs. Ces personnalités politiques coutumières du paysage politique algérien, sont qualifiées « d’honnêtes et de confiance » par les médias et groupe de presse appartenant à ces différentes fractions bourgeoises. Ainsi Ahmed Benbitour et Ahmed Taleb Ibrahimi sont-ils qualifiés de personnalité de « confiance » par les journaux libéraux. En effet, le premier ne cesse de prêcher l’austérité, tandis que le second était ministre des affaires étrangères de Chadli entre 1982 et 1988, soit acteur direct de l’ « infitah » (ouverture) libérale. Quoi de mieux pour mettre en confiance les classes dominantes que de faire diriger une instance de transition par ces deux là... Et pendant qu’ils prépareraient le terrain à la mise en place d’une politique antisociale au service des oligarques et des multinationales, Ali Yahia Abdennour viendrait compléter cette instance en y jouant un rôle de caution pseudo-démocratique en tant qu’ancien dirigeant d’une Ligue Algérienne des Droits de l’Homme (LADH). En réalité cette option bien qu’elle ne soit pas encore arrivée à faire consensus parmi les classes dominantes - l’appareil bureaucratico-militaire restant en parti méfiant - n’en serait pas moins réactionnaire que celle défendu par Gaïd Salah, tant d’un point de vue social que démocratique. En effet, le projet libéral a fait la preuve de son incapacité à garantir la moindre avancée démocratique aux masses populaires algériennes, celui-ci s’étant soldé par une décennie de terrorisme pendant laquelle une minorité d’oligarques se sont enrichis, puis par les vingt ans de régime Bouteflika.

La surface est dégagée pour une alternative politique représentative des intérêts des masses populaires !

Si l’on considère la société algérienne et ce qui détermine les rapports sociaux en dernière instance, c’est à-à-dire les rapports sociaux de production, on se rend vite compte que malgré les tentatives d’industrialisation, l’économie reste majoritairement dépendante de la rente des hydrocarbures et de l’import-export. Ce faisant, elle est ainsi subordonnée aux rapports mondiaux de production, c’est-à-dire à la domination des nations impérialistes, qui rend illusoire la construction d’une démocratie bourgeoise à l’occidentale en Algérie. La pseudo-ouverture démocratique post-1988, et le naufrage de la décennie noire l’a bien montré. Aucun projet démocratique libéral ne saura satisfaire aux exigences démocratiques des masses populaires algériennes, ne serait-ce que parce que ces libéraux sont de fait subordonnés à l’impérialisme auquel ils ne prétendent qu’à fournir des matières premières et des produits manufacturés, tandis qu’ils lui offriraient un marché pour exporter les biens produits en trop grande quantité comme dans le secteur automobile, en bénéficiant du monopole sur l’approvisionnement. Autrement dit les Etats impérialistes français et américains ne laisseront jamais les masses populaires algériennes décider démocratiquement de leur sort. Il convient donc dans un telle situation de « crise par en haut » combinée à la mobilisation « par en bas » de se confronter au projet bonapartiste et libéral des classes dominantes toutes fractions confondues, avec un programme qui combine nécessairement la lutte pour la réalisation des tâches d’indépendance nationale, des droits démocratiques et de combat contre la corruption, à celle pour la construction d’une société qui réponde aux aspirations sociales des masses populaires, contre l’impérialisme.

Un tel affrontement, sur le terrain politique, pouvait sembler difficilement réalisable dans la période de « bouteflikisme » triomphant, lorsque les profits réalisés grâce à la rente le permettaient, de part une conjoncture mondiale favorable à une tendance à la hausse des prix du pétrole et du gaz. Le régime avait alors pour lui la capacité de maintenir l’économie algérienne sous perfusion et d’acheter ainsi la « paix sociale » en arrosant les formations politiques de subventions comme lors des élections présidentielles de 2009, ou en accordant massivement des crédits à taux généreux aux jeunes chômeurs et précaires comme cela a été le cas en 2011 pour se prémunir de l’explosion sociale et politique qui ébranlait le Grand Maghreb. Mais il en est tout autre chose aujourd’hui, d’autant plus dans le contexte actuel d’irruption des masses populaires sur la scène politique.

Les organisations satellitaires du régime sont marginalisées, que cela soit le Rassemblement Nationale Démocratique (RND) et surtout le Front de Libération Nationale (FLN) qui a perdu toute crédibilité. D’autre part tant les partis démocrates-libéraux du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) que leurs alliés réformistes du Front des Forces Socialistes (FFS) et du PT, ont payé le prix fort pour leur collaboration avec le régime et leur absence de délimitation claire avec l’impérialisme. Ils ont ainsi perdu la confiance qu’avaient pu leur accorder des secteurs populaires non-négligeables, acquise pour le FFS durant les premières années de la République algérienne en tant qu’opposition aux militaires, suite aux luttes pour les droits démocratiques après le printemps berbère pour le RCD, et dans le sillage du mouvement social de la fin des années 1980 puis des luttes contre la privatisation du secteur des hydrocarbures et contre l’impérialisme dans le début des années 2000 pour le PT. Les contradictions des discours populistes, bien que déclinés différemment par chacune de ces organisations, les ont mené à jouer le rôle de caution de gauche du régime.

Le FFS et le PT dans le courant des « réconciliateurs » pendant la décennie noire, avaient en effet participé à la rencontre de Rome en 1995, qui avait pour objectif de rétablir la sécurité pour les investisseurs et de garantir la mise en place du Plan d’Ajustement Structurel (PAS) signé avec le FMI en 1994, qui prévoyait le rééchelonnement de la dette en échange de la mise en place de politiques anti-sociales, dans un contexte d’attaques néo-libérales dans le monde entier. La direction de l’UGTA de l’époque incarnée par Benhamouda s’était également compromise en ne daignant pas mener la bataille contre les privatisations et les licenciements induits par les orientations libérales du PAS. Mais surtout en 2001 en pleine explosion sociale en Kabylie, et alors que la répression faisait plus de 120 morts parmi la jeunesse, toutes ces organisations réformistes avaient joué un rôle contre la structuration du mouvement et pour canaliser la colère vers des voies électorales sans lendemain. On se souviendra qu’alors que le PT décidait en son âme et conscience de participer aux législatives, le FFS remettait aux calendes grecques les revendications sociales exprimées par la jeunesse kabyle, tandis que les deux ministres RCDistes dans le gouvernement de Bouteflika refusaient de démissionner, jouant ainsi le rôle de caution de gauche d’un régime assassin.

Ajouté à cela le musellement de l’opposition par un régime ultra-autoritaire, ces épisodes ont marqué le début d’un affaiblissement prolongé des organes traditionnels de contention des masses populaires, qui se poursuit aujourd’hui, comme le montre leur incapacité à présenter une alternative à Gaïd Salah, voir leur suivisme total du régime comme c’est le cas pour la direction bureaucratique de l’UGTA et son secrétaire général Sidi Saïd . Les conditions paraissent donc favorables pour opposer à la tentative de restauration bonapartiste de l’ordre par l’appareil militaire, un programme de classe qui soit l’émanation des aspirations démocratiques et sociales des masses populaires. Celui-ci permettrait en effet, de dépasser le plafond de verre auquel se heurte la mobilisation, qui bien que d’une ampleur sans précédente, peine à se doter d’une direction et à se structurer à la base sur des mots d’ordres politiques en positif, au-delà d’un dégagisme certes radical, mais qui s’enferme à terme dans les limites de la spontanéité.

Saisir l’occasion pour aiguiser la conscience de notre camp social et viser la construction d’une organisation en toute autonomie de classe, avec un programme pour l’ensemble des opprimés

Alors que peut-on opposer aux élections bidons du 4 juillet ? L’instance composée de personnalités de « confiance » des patrons des grands groupes de presse à travers laquelle s’exprime la fraction libérale ne saurait être une alternative pour les masses populaires. Celle-ci sous-tend d’abord un programme réactionnaire, qui consiste à mettre de côté les revendications sociales jugées « idéologiques » et à se concentrer sur un partage soi-disant « démocratique » du pouvoir entre les différentes fractions des classes dominantes tout en maintenant les travailleurs, les chômeurs, les femmes et les précaires en dehors de toute représentation politique. Les dirigeants du RCD et FFS, de même que les pseudo personnalités de confiance l’ont déjà dit, elles refusent que le mouvement se structure à la base et veulent s’entendre à huis-clos avec l’appareil militaire. Le hirak devrait ainsi s’en remettre à leur bonne volonté.

Mais ce que l’histoire nous enseigne c’est que sans contrôle démocratique, la confiance et la bonne volonté sont des vœux pieux. La plus élémentaire des conditions pour que le processus démocratique reste fidèle aux aspirations populaires, c’est d’en passer par des élections, en élargissant les droits démocratiques à tous les secteurs qui en étaient exclus, tels que les femmes réduites au statut de « demi-citoyenne » par un Code de la Famille réactionnaire, ou encore les travailleurs étrangers et les migrants. Or il est très clair que l’appareil militaire ne se résoudra jamais à le faire. Pour preuve les restrictions constitutionnelles dont il se fait le garant, à tous dépôt de candidatures aux échéances électorales. Un tel scrutin démocratique et transparent ne pourra se tenir que grâce à la mobilisation et l’auto-organisation des secteurs exploités et opprimés contre les élections fantôches du 4 juillet organisées par un régime qui matraque, arrête, et tue les opposants, et contre les tentatives de récupérer le mouvement par des voies anti-démocratiques.

Mais alors des élections pour élire quoi ? S’il est également clair que toutes les institutions du régime sont pourries, il en va évidemment de même de l’institution présidentielle. Celle-ci est en elle-même profondément anti-démocratique en ce qu’elle concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme. Complétement à l’inverse de l’exigence de contrôle démocratique que formulent le hirak. Ni le régime ni la présidence de la république ne peuvent être réformés. La force du mouvement doit servir à balayer toutes ces institutions qui n’ont d’utilité que d’exclure les masses populaires de la vie politique. La perspective d’une assemblée constituante révolutionnaire qui se donne donc pour tâche d’en finir avec le régime actuel, de réaliser l’indépendance nationale pour de bon, et de construire une société représentative des intérêts sociaux et démocratiques des masses populaires contre l’impérialisme et ses relais locaux, est la seule revendication en positif pour unifier le mouvement populaire contre les tentatives visant à le mener vers des voies de garage.

Celle-ci s’inscrit à une étape donné de la mobilisation où, malgré la crise du régime et l’énorme mobilisation qui s’exprime à travers les manifestations du vendredi, ainsi que les grèves pour les libertés syndicales et les augmentations de salaires, la structuration du mouvement à échelle tant locale que nationale reste faible, tandis que le principal organe de représentation des travailleurs qu’est l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA) a été depuis trop longtemps confisqué par le pouvoir. Si malgré cela le mouvement, et en particulier les grèves se sont bien développés, au point de menacer les intérêts des classes dominantes et de pousser Bouteflika vers la sortie, la question de la structuration du mouvement est à l’ordre du jour, ne serait-ce que pour débattre le plus démocratiquement possible des revendications à mettre en avant, de même qu’à coordonner les différentes actions et aller vers la grève générale.

Dans ce cadre, la défense des droits démocratiques est le premier biais par lequel développer l’auto-organisation, étant donné la nécessité absolue d’éviter que le pouvoir parvienne à installer un climat de terreur qui réduira à néant les espoirs du peuple algérien, comme ce fût le cas après 1990, avec la décennie noire. D’autre part c’est la perspective de l’assemblée constituante révolutionnaire qui doit donc servir de moteur pour stimuler la combativité des travailleurs et des couches populaires avec un projet en positif qui ne s’inscrit ni dans la confiscation du mouvement, ni dans la restauration de l’ordre par le biais d’illusions réformistes dont plus personne ne veut. Ce faisant elle doit également être un levier pour que notre camp social s’affronte politiquement au pouvoir en place, à partir d’un programme débattu à la base, dans les assemblées générales, les comités d’usine et de quartier, qui réponde aux aspirations exprimées par le hirak. Contre la corruption et l’évasion fiscale, l’ouverture des livres de comptes des entreprises. Contre les privatisations et le pillage des richesses nationales, la nationalisation des entreprises sous contrôle ouvrier, la hausse des salaires et leur indexation sur l’inflation. Contre la bureaucratie syndicale, la révocabilité des élus. C’est à partir de cette dynamique que les masses populaires et les travailleurs en tête pourront construire leur propre organisation en toute indépendance de classe, outil stratégique pour mener à terme la lutte contre ce régime pourrissant.

 
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