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La Izquierda Diario
8 de février de 2019 Twitter Faceboock

Témoignage
Précarité, inégalités, bataille pour le prestige. Le « plafond de verre » fonctionne à plein régime dans l’éducation nationale.

A l’occasion de la venue en France d’Andrea D’atri, membre du collectif féministe socialiste révolutionnaire Pan y Rosas, nous publions une série de témoignages de femmes travailleuses qui nous racontent leur quotidien dans une société capitaliste et patriarcale et défendent un féminisme lutte de classes.

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Flora

Enseignante au collège, je fais partie d’une catégorie professionnelle où les inégalités de genre sont, en théorie, inexistantes. En effet, dans ma profession, l’égalité salariale est respectée, la grossesse n’est pas un frein de carrière et la gestion de la vie familiale et professionnelle est beaucoup plus fluide (on a les mêmes horaires que ses enfants… pratique !).

J’évolue toutefois dans un milieu très féminisé : en France, les femmes représentent presque 70 % des personnels de l’Education Nationale. Cette particularité, liée à l’association traditionnelle entre femmes et métiers de l’enfance et du soin, en fait un observatoire privilégié de l’ancrage profond des inégalités de genre au travail, et, plus généralement, dans notre société. Car, si en surface, le problème de l’inégalité femmes/hommes n’existe pas dans la fonction publique, il est en réalité très présent au quotidien. C’est ce qui m’a frappée dès l’entrée dans le métier, intuition confirmée par la lecture des chiffres officiels.

Dans le petit monde de l’éducation nationale, il existe en effet plusieurs catégories d’établissements : écoles maternelles et primaires, collèges, lycées, supérieur, privés et publics. Il existe aussi plusieurs catégories de professionnels : les enseignants, mais aussi les personnels de direction, les personnels administratifs, les personnels « sociaux et de santé » (l’infirmière, l’assistante sociale), les personnels « de surveillance et d’assistance éducative » (les surveillants et les AVS/AESH), les personnels « techniques » (ménage et maintenance)… Et j’en passe. Chacun de ces métiers est accessible par un concours, dont certains sont très difficiles à obtenir, ou sur recrutement. Or, qui dit catégories dit implicitement hiérarchies. Hiérarchies de fait, liées au statut professionnel, lui-même lié au niveau de recrutement et au concours obtenu : par exemple, le chef d’établissement, qui a été recruté à un niveau plus élevé, est mon « chef ». Mais il existe aussi des hiérarchies qui reposent uniquement sur des représentations, sur une conception du « prestige » d’un métier ou d’un établissement : par exemple, le lycée est « mieux » que le collège parce que le « niveau » est plus élevé, bien qu’on y accède en théorie avec les mêmes diplômes ; ou encore : c’est moins bien d’être femme de ménage que prof.

Or, j’ai pu très vite constater que plus le niveau dans la hiérarchie ou le prestige est faible, plus le recrutement est précaire, plus on trouve de femmes. Dans mon établissement, cela saute aux yeux dès la salle des profs. Les femmes y sont en écrasante majorité. Si j’étais au lycée, les hommes seraient probablement plus nombreux : c’est en tout cas ce que j’ai pu observer lors de mes différents stages. De même, neuf fois sur dix, les AESH, qui occupent l’une des fonctions les plus précaires de l’Education Nationale, sont des femmes. Si vous poussez les portes de l’administration, pas de surprise non plus : la gestionnaire, la secrétaire, l’intendante… Sont des femmes. Mais le chef d’établissement et le chef d’établissement adjoint sont des hommes. Par curiosité, j’ai voulu vérifier si cette situation est représentative. D’après les chiffres officiels, les femmes représentent bien 84,7 % des personnels administratifs, sociaux et de santé, 71,5 % des non-enseignants, 57 % des principaux adjoints et 46 % des principaux. Si ce n’est que l’adjoint est un homme, mon établissement est tout à fait représentatif.

Être enseignante m’a ainsi fait prendre conscience que, quel que soit le niveau d’études et d’éducation d’une femme, elle reste soumise aux contraintes sociales et familiales associées à son genre. Beaucoup de mes collègues, qui sont à bac +5 et ont un niveau culturel plutôt élevé, continuent à préparer pour la semaine les Tupperwares de leurs maris et à prévoir au congélateur, au cas où elles décideraient de s’absenter pour quelques jours, les repas pour tout le reste de la famille… De toutes façons, plus de la moitié de mes collègues mères travaillent à temps partiel, alors même que très peu de mes collègues pères ont fait ce choix. Bien qu’elles soient en principe plus libres de choisir que dans d’autres professions, les femmes continuent là encore à jouer prioritairement leur rôle de « gardiennes d’enfants », au détriment de leur salaire. Elles restent ainsi sous la dépendance économique de leurs compagnons. J’ai demandé une fois, à l’une de mes collègues, dont le conjoint est universitaire (donc fonctionnaire et soumis au même régime salarial), pourquoi elle avait choisi un mi-temps et lui un temps plein, au lieu de travailler tous les deux à 80 %. Elle m’a répondu que son salaire à lui étant plus élevé, c’était un choix plus rationnel, et que se mettre à temps partiel risquait d’être un frein à sa carrière a lui. Dans un milieu 100 % fonctionnaire, on trouve donc la même soumission au marché du travail, et les mêmes mécanismes de maintien des femmes dans la dépendance que dans le privé.

Car le choix de ma collègue est parfaitement justifié. Son compagnon gagnant plus, il faut qu’il travaille plus. Et s’il gagne plus, c’est parce qu’il a accès à un poste plus prestigieux. On pourrait donc se dire : pourquoi les femmes n’occupent pas des postes plus prestigieux ? C’est que le « plafond de verre » fonctionne aussi à plein régime dans l’éducation nationale. Plus le concours donne accès à un niveau considéré comme prestigieux, moins on y trouve de femmes. Pour la maternelle et l’école primaire, les femmes sont une écrasante majorité au concours et représentent aujourd’hui plus de 80 % des enseignant·e·s, alors que dans le second degré (collège-lycée), elles sont moins nombreuses au concours et représentent un peu moins de 60 % des enseignant·e·s... Pourtant, le niveau d’étude requis est exactement le même ! Ainsi, l’école, qui devrait être un lieu d’émancipation, donne pour modèle aux enfants celui d’une société patriarcale, où les femmes se trouvent, encore et toujours, cantonnées aux tâches subalternes.

Quel que soit notre entourage et notre milieu professionnel, je crois que nous avons toutes connu des moments où nous avions conscience, en tant que femmes, des différentes oppressions auxquels nous sommes soumises. Soumission d’abord au marché du travail salarié, qui nous contraint à en faire toujours plus pour gagner toujours moins. Soumission aussi au patriarcat, qui nous conditionne à accepter les métiers les moins payés et les moins valorisants, et, en alliance avec le système capitaliste, a fait de nous des travailleuses gratuites pour entretenir notre propre famille. Avec les progrès de l’éducation et les droits que nous, femmes, avons péniblement gagnés ces cent dernières années, nous avons toutefois acquis les moyens de nous faire entendre, non pas contre mais aux côtés des hommes pour mettre fin à toute forme d’exploitation. La présence en première ligne des femmes dans des mouvements sociaux comme celui des gilets jaunes prouve que nous avons un rôle à jouer, et que nous en sommes capables !

Révolution Permanente sera à l’initiative de plusieurs événements publics avec Andrea D’Atri :
 A Bordeaux, le 14 février : Le retour de la lutte des femmes en France
 A Toulouse, le 15 février : De l’Argentine à la France : les femmes en première ligne ?
 A Paris, le 22 février : Des foulards verts en Argentine aux Gilets Jaunes en France : les femmes en première ligne ?, en présence également de plusieurs femmes protagonistes de différentes luttes ces dernières années, dans la santé, le nettoyage, la SNCF, et aussi des femmes Gilets Jaunes qui viendront partager leurs expériences et débattre avec le public.
Une section spéciale dédiée à la diffusion des écrits et articles d’Andrea, ainsi qu’aux différents débats au sein du mouvement féministe, a été créée à cette occasion. N’hésitez pas à visiter, lire, commenter et partager les articles !

 
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