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La Izquierda Diario
10 de janvier de 2019 Twitter Faceboock

Gilets Jaunes
Italie. Luigi Di Maio du M5S propose son aide aux Gilets Jaunes : une bonne nouvelle ?
Max Demian

Sur son blog Luigi Di Maio, le leader du mouvement populiste italien Mouvement 5 Etoiles (MS5), partenaire de la Ligue du Nord (parti d’extrême-droite) dans la coalition italienne au pouvoir, a adressé une lettre aux Gilets Jaunes dans laquelle il leur adresse son « soutien », se déclarant même prêt à « offrir » aux Gilets Jaunes les services de leur plate-forme numérique soi-disant démocratique. Une bonne nouvelle ?

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A y regarder de près, les déclarations du leader italien ne sont pas sans poser nombre de problèmes. De quoi ce soutien d’un mouvement qui partage le pouvoir avec l’extrême-droite est-il le nom ? Quelle est cette soi-disant plateforme démocratique miraculeuse, dont, à y regarder de près, on voit qu’elle est la propriété d’une entreprise privée lucrative qui cherche à vendre ses services ? Le Mouvement Cinq Etoiles est-il vraiment, dans les faits, un mouvement démocratique et opposé au néolibéralisme ?
Quelques questions pour y voir plus clair dans ce soutien qui n’a rien d’une bonne nouvelle.

Qui soutient quoi : de quoi le soutien du MS5 est-il le nom ?

Tout d’abord, il est important de situer le Mouvement 5 Etoiles dans le champ politique italien et européen, afin d’y voir plus clair dans cette « déclaration de soutien » qui n’est en réalité qu’une récupération de la part de di Maio, qui s’appuie sur la vitalité des Gilets Jaunes pour récupérer du terrain sur son allié d’extrême-droite la Ligue du Nord qui n’a de cesse de le distancer à l’approche des européennes.

En effet, au pouvoir avec la Ligue du Nord, parti d’extrême-droite, dans un gouvernement de coalition, le Mouvement 5 Etoiles a très vite été débordé, puis éclipsé par son homologue, le ministre de l’intérieur Matteo Salvini attirant sur lui toute la lumière et isolant de plus en plus le MS5 sur la scène politique italienne et européenne. Salvini, se chargeant des déplacements pour rencontrer les principaux leaders populistes européens, Orban, le Pen ou Sebastian Kurz, le chancelier autrichien, afin de nouer des alliances, a fini par renvoyer son partenaire de coalition au bord de l’inexistence politique.

Récemment, c’est Salvini, encore lui, qui s’est rendu en Pologne pour rencontrer, et sans que cela ne soulève une quelconque forme de protestation au sein du MS5, le très réactionnaire président de la république polonaise Andrzej Duda, une rencontre qui s’inscrit dans la stratégie de préparer les élections européennes et rassembler les forces populistes d’extreme-droite au sein d’une coalition.

Comme le résume un article du Financial Times : « M. Salvini a pris le dessus sur Luigi Di Maio, le leader des cinq étoiles, depuis la formation de la coalition l’année dernière, et ce vote représente la première occasion pour la Ligue de cristalliser son avantage électoral dans un vote national. M. Di Maio a entamé ses propres discussions avec des groupes amis à travers l’Europe avant les élections. Ce mois-ci, il a écrit une lettre ouverte aux manifestants des gilets jaunes de France pour leur offrir " le soutien dont ils ont besoin " et leur dire qu’ils pourraient s’inspirer du succès politique de son propre parti anti-establishment. »

En effet, la position du MS5 est précaire sur la scène européenne ou italienne, ce qui le conduit à chercher un moyen de se refaire une santé. Ce « soutien » aux Gilets Jaunes est donc une véritable cure de jouvence pour le Mouvement 5 Etoiles, qui y voit une opportunité de se repositionner : « En Italie, la Ligue de Matteo Salvini a pratiquement doublé son score dans les sondages en termes d’intentions de vote depuis les élections législatives de mars 2018, bien devant le Mouvement 5 étoiles, écrit Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS. A l’approche des élections européennes, Luigi Di Maio est lui très isolé.... Son groupe, Europe de la liberté et de la démocratie directe, est essentiellement constitué des parlementaires britanniques de UKIP, qui vont bien évidemment le quitter en raison du Brexit. L’enjeu pour Luigi Di Maio est donc de trouver de nouveaux parlementaires pour ne pas se retrouver sur le banc des non-inscrits, très marginalisés au Parlement européen. »

Un premier point important, donc, pour voir que derrière ce prétendu soutien de la part du MS5 politique se cache un misérable et médiocre enjeu de politique intérieure pour un mouvement à la traine, et qui cherche à se faire une place, sur le dos des Gilets Jaunes, dans ce jeu politique que les Gilets Jaunes n’ont de cesse de dénoncer.

« Rousseau » : le juteux business de la « démocratie directe » à la sauce MS5

Second point avancé par Di Maio, la proposition « d’offrir » les services de Rousseau, la plateforme en ligne utilisée par le MS5 pour « structurer » son mouvement : « Nous pouvons mettre à votre disposition certaines fonctions de notre système opérationnel pour la démocratie directe, Rousseau, écrit Di Maio dans sa lettre publiée sur son blog, par exemple call to action pour organiser des événements sur le territoire ou le système de vote pour définir le programme électoral et choisir les candidats à présenter aux élections14. C’est un système conçu pour un mouvement horizontal et spontané comme le vôtre, nous serions heureux si vous souhaitiez l’utiliser. »

« Mouvement horizontal », « démocratie directe », une véritable campagne marketing menée par Di Maio, qui place tous ses mots-clés pour en appeler aux Gilets Jaunes. Mais derrière les opérations de « branding » et de communication, Rousseau, loin de constituer une solution miracle à la structuration démocratique, n’est que le prête-nom d’une juteuse entreprise privée à mille lieux des aspirations démocratiques des Gilets Jaunes.
Comme l’explique Jacopo Iacboni, journaliste italien à la Stampa, dans un entretien à Ouest France, le MS5 ressemble plus à une entreprise privée qu’à une quelconque forme d’organisation démocratique : la marque MS5 étant elle-même la propriété d’une entreprise privée, les décisions sont captées par l’appareil du parti et ne sont nullement le fruits de délibérations démocratiques à la base : « Rousseau est une plate-forme interactive développée par Casaleggio Associati qui permet aux inscrits du MoVimento de participer à des moments de la vie du parti. Selon le marketing Casaleggio, les militants pourraient participer grâce à Rousseau “à l’élaboration des programmes, à la rédaction de lois, mais aussi au choix des candidats pour les élections locales ou nationales” (cet élément de langage a été repris par la plupart des médias qui ont suivi la nouvelle). Les limites du système sont pourtant évidentes. Rousseau a souvent été l’objet de piratages. Le code n’est pas open source, ce qui limite grandement la possibilité d’évaluer la transparence des votations. La souveraineté est détenue par Casaleggio qui peut décider en dernière instance quand et à propos de quoi voter. On pourrait enfin remarquer que la participation des citoyens à l’élaboration des lois ou des listes électorales relève plus de la démocratie participative, tout à fait compatible avec un système représentatif, que de la démocratie directe. »

Dans le même entretien, le journaliste italien explique que tous les élus du MS5 doivent par ailleurs s’inscrire sur la plateforme et s’acquitter d’un versement mensuel de 300 euros : « Avec 338 parlementaires, sur cinq ans cela fait un beau chiffre pour une boîte privée. Cela fait plus de six millions d’euros. C’est à la fois un outil de propagande et une affaire commerciale. Ils ont fait la promotion de Rousseau au Brésil. L’idée, c’est que ce sera la plateforme miraculeuse de la démocratie directe. En réalité, l’affirmation du M5S s’est davantage fait grâce à Facebook qu’à Rousseau. Avec une série de profils plus ou moins occultes destinés à la propagande négative contre les adversaires et les migrants. »

Un autre point mis en avant par le MS5 serait que cette plate-forme constituerait la réponse miracle à la captation du pouvoir par une élite coupée du peuple, une solution numérique « facile » pour rendre au peuple son pouvoir de décision et accéder à l’oasis de la démocratie directe. Hélas ! les solutions miracles sont souvent des mirages. Car force est de constater que le MS5 ressemble à une forme très dirigée de démocratie, se passant allègrement des principes vendus dans ses tracts publicitaires-politiques :  La décision de soutenir la Gilets Jaunes n’a pas fait l’objet d’une consultation, c’est une démocratie très dirigée que celle du M5S. Par contre, on a vu des expulsions, peut-on lire dans le même entretien.  Deux sénateurs viennent d’être expulsés du Mouvement parce qu’ils ne voulaient pas voter le décret Salvini sur la sécurité. Surtout, le gouvernement Ligue-M5S a contredit ses promesses. En adoptant une amnistie fiscale. En secourant il y a quelques jours une banque en faillite, alors qu’ils accusaient Matteo Renzi de le faire. Et surtout sur l’environnement. Le M5E avait promis qu’ils s’opposeraient au gazoduc Tap en Méditerranée, ils ont fini par l’accepter. Idem sur les forages pétroliers. »

C’est que derrière les écrans de fumée marketing et les postures de façade, le MS5 est totalement adapté à la politique néolibérale menée en Europe et contre laquelle se soulèvent les Gilets Jaunes. A regarder quelques-unes de leurs mesures phares, on cerne en effet mieux la réalité de leur politique derrière les discours : Mouvement 5 Etoiles rime plutôt bien avec néolibéral.

Quand 5 Etoiles rime avec néolibéral 

Un des éléments les plus mis en avant dans le discours politique du MS5 serait son opposition à l’Europe libérale, voire néolibérale. Faut-il les croire sur parole ? A lire Di Maio dans sa lettre, le MS5 aurait mené tout un ensemble de réformes en faveur des plus démunis : « En Italie nous avons réussi à inverser cette tendance et il y a maintenant un gouvernement qui recueille un consensus populaire de plus de 60 % parce que les mesures économiques que nous avons mises dans le budget visent à améliorer la vie des plus faibles, à donner un soutien économique à ceux qui n’ont plus de travail, à les insérer dans un plan pour l’emploi ; nous augmentons les retraites les plus faibles pour un demi-million d’Italiens qui vivent dans la pauvreté et qui ne sont pas propriétaires de leur maison ou détenteurs d’économies à la banque. »

Pourtant, force est de constater que les populistes européens, dont font partie le MS5, ont un projet politique tout opposé aux Gilets Jaunes. Ceux-ci ont beau jeu de dénoncer le projet néolibéral de l’Union Européenne, la politique qu’ils mènent en Europe, notamment en Italie, s’inscrit dans la continuité de l’austérité et de la flexibilisation du travail portée par Bruxelles. C’est ainsi que le gouvernement italien, après avoir montré les muscles a récemment cédé sur la question du budget. Celui-ci vient de présenter un déficit à 2,04% pour l’année 2019, plus proche des exigences de l’UE que les 2,4% sur lesquels il avait annoncé initialement ne pas vouloir céder. Il prévoit également des coupes budgétaires de 7,5 milliards d’euros qui portent un coup aux deux réformes phares du gouvernement italien - le revenu universel et le retour en arrière sur la réforme des retraites – et qui commencent à créer des frictions en interne au sein de la coalition gouvernementale qui se compose du Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo et la Ligue dirigée par Salvini.

Plus encore, la proposition de revenu citoyen proposé par le MS5 tient plutôt de la destruction de la sécurité sociale et d’un durcissement de la flexibilisation du marché du travail, dans la lignée même des politiques menées par Macron – que le MS5 n’a pourtant de cesse de dénoncer et de présenter comme son ennemi. En effet, ce revenu citoyen, preuve de la docilité du MS5 à l’égard du néolibéralisme, diminuera en fonction du déficit budgétaire : comprendre, plus le déficit italien sera important, moins l’allocation le sera – une façon de rassurer Bruxelles et les banques italiennes. Une mesure, dans la lignée de celles adoptées en France par Macron, qui entend durcir les conditions pour bénéficier de l’allocation-chômage, le versement de ce revenu citoyen étant en effet conditionné à la signature d’un « pacte » qui oblige les demandeurs d’emploi à accepter une des trois offres qui leur est proposée, dans un rayon de 100 kilomètres les six premiers mois et sur l’ensemble du territoire au bout d’un an. Comme si cela ne suffisait pas, le « bénéficiaire » devra des travaux d’intérêt général à sa commune ; enfin, cerise du le gâteau, si les entreprises devaient embaucher un bénéficiaire de cette allocation en CDI sans licenciement pendant deux ans, l’aide sera versée aux entreprises directement !

Ainsi, le vernis « anti-austérité » ne suffit pas, loin de là, à mener une politique qui soit opposée de façon conséquente au projet des classes dominantes. Le MS5 a beau jeu de prétendre proposer un budget plus « expansif », quoi que les perspectives de déficit ont vite été revues à la baisse après le rappel à l’ordre de Bruxelles et des banques italiennes.

Comme on le voit, qu’il s’agisse de flexibiliser toujours plus le marché du travail ou de détruire la Sécurité Sociale, le néolibéralisme poursuit sa route avec le MS5. En effet, comme le rappelle justement l’économie Stefano Palombarini : « Une fois de plus, il est essentiel de souligner que le cœur du néolibéralisme n’est pas l’austérité budgétaire, mais une relation salariale « flexible », la main libre au patronat dans les relations du travail, une protection sociale pliées aux règles marchandes. L’austérité a été utilisée, en France comme ailleurs, pour montrer le caractère prétendument inéluctable des réformes néolibérales, qui sont à l’origine de la diffusion de la précarité, de la pauvreté et des inégalités grandissantes : autant de dynamiques qui ne seraient pas arrêtées, loin de là, par le simple passage à une politique budgétaire plus expansive. »

La conversion électorale : une issue pour le Gilets Jaunes... ou pour le gouvernement ?

En prétendant offrir une « structuration politique » au mouvement, Di Maio entend servir d’inspiration aux Gilets Jaunes. S’agit-il d’une issue progressiste pour les Gilets Jaunes ?

Là encore, à y regarder de plus près, il semblerait que le grand gagnant de cette affaire soit, outre Di Maio qui fait sa publicité, le gouvernement lui-même. En effet, quel meilleur espoir pour le gouvernement que de voir ce mouvement, qui dure depuis des semaines désormais, et remet en cause les institutions de la Vème République, revenir sur le terrain de ces mêmes institutions ? C’est tout l’enjeu non seulement du grand débat, mais surtout des européennes : ramener les Gilets Jaunes « raisonnables » dans le cadre de la démocratie parlementaire, d’une façon ou d’une autre.

Le coup est par ailleurs à double bande pour le gouvernement : voir une formation politique de type MS5, totalement adaptée au néolibéralisme, se former en France, serait aussi un moyen d’affaiblir, à l’approche des européennes, son adversaire politique qu’est Marine le Pen, principal bénéficiaire, pour le moment, d’un point de vue électoral selon les sondages, du mouvement des Gilets Jaunes.

Plutot qu’une structuration inspirée du MS5, qui attesterait d’une « conversion électorale réussie », comme l’écrit un article du Monde, il s’agit plutôt pour le mouvement d’être capable de se structurer à la base, démocratiquement, afin de porter ses revendications en propre, comme a pu le faire, par exemple, l’assemblée de Gilets Jaunes de Commercy, seule façon de forger des anti-corps à même d’éviter tout type de récupération, des plus opportunistes et des plus vulgaires, à la façon de Bernard Tapie ou de Di Maio, aux formes plus subtiles de captation du pouvoir. 

A ce tire, Eric Drouet, dont le Journal du Dimanche avait rapporté que ce dernier aurait soi-disant été favorable à une rencontre avec Di Maio, a publiquement démenti et rejeté tout type de soutien via un post Facebook : « Mr Luigi Di Maio. Les Gilets jaunes avons commencé un mouvement apolitique depuis les débuts, il ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans ça ! Nous refuseront tout aide politique, peu importe d’où elle vienne ! Nous refusons donc votre aide. Nous avons commencé seul nous finiront seul. »

Si ce refus est légitime, il ne laisse pas moins ouvert les questions d’organisation démocratique au sein des Gilets Jaunes, carence qui permet à des politiciens comme Di Maio – dont on connait maintenant toutes les arrière-pensées – de s’essayer à la plus crasse des récupérations politiques.

 
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