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La Izquierda Diario
5 de juillet de 2018 Twitter Faceboock

Avis sur Qui a tué mon père
La littérature est un sport de combat
Julien Chino

Après avoir lu les deux précédents romans d’Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence qui furent pour moi des véritables réussites littéraires, Qui a tué mon père était une obligation de lecture. L’approche sociologique que l’auteur apporte à sa littérature est un véritable plaisir.

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Crédits photo : AFP / Jan Haas / picture alliance / DPA

Ce livre, c’est la déclaration d’amour d’Edouard Louis à son paternel. Paternel qui l’a rejeté à de multiples reprises mais qui ne l’a jamais non plus délaissé. Dans cet entre-deux, les deux hommes n’ont jamais vraiment réussis à se saisir, à s’aimer même si dans le fond l’un est inexorablement lié à l’autre.

Il me semble souvent que je t’aime

Mais loin d’être un simple livre de résilience d’une relation paternelle complexe, c’est une plaidoirie politique acerbe contre nos dirigeants. L’auteur qui dans son premier roman dévoilait les registres racistes et homophobes de sa famille va se faire ici le défenseur et l’avocat de son père. Plutôt du corps de son père. Il va accuser, en nommant directement ceux qu’il juge responsables de la situation. Les noms des différents dirigeants sont évoqués sans retenue, car eux ne savent pas. Ils ne sauront jamais que des simples décisions peuvent bouleverser une vie puisque leur statut de dominant ne bougera pas. La politique pour les dominants, c’est regarder le bateau sans subir les vagues qui s’y heurtent.

Ton état de santé aujourd’hui, tes difficultés à te déplacer, tes difficultés à respirer, ton incapacité à vivre sans l’assistance d’une machine viennent en grande partie d’une vie à faire des mouvements automatiques à l’usine, puis à te pencher huit heures de suite tous les jours pour balayer les rues, pour les ordures des autres. Hollande, Valls et El Khomri t’ont asphyxié

Ce qui est frappant, c’est que son père n’a que 50 ans et n’est en fait pas mort comme pourrait le laisser croire le titre. Mais les différentes décisions politiques l’ont tuées ou du moins l’ont rendues déjà "mort" . Sa santé est calamiteuse, son dos n’est plus. Les problèmes cardio-respiratoires rendent toute action, aussi simple soit-elle, presque irréalisable pour lui. La mort n’est pas arrivé mais elle est déjà là. La politique a volé la vie de son père, elle lui a dérobé son existence.

Edouard Louis évoque les non-dits entre lui et son père, ce livre n’est d’ailleurs basé que sur cela. Les non-dits d’une relation que la bouche ne peut parfois évoquer. La plume peut parfois supporter un fardeau plus lourd que nos cordes vocales.

Dans les 90 pages du livre, il n’est question que de ce père à qui il s’adresse directement. Ce père qui a eu le dos broyé à 35 ans durant le travail d’usine. Ce père qui a récemment perdu sa femme. Ce père que le passage du RMI au RSA a forcé à travailler en tant que "balayeur" pour pouvoir toujours vivre décemment malgré un dos détruit. Ce père pour qui une prime de 100€ pour la rentrée scolaire peut le rendre "fou de joie".
Edouard Louis fustige ceux pour qui la politique n’est qu’affaire d’esthétique, alors que pour sa famille elle est affaire de vie ou de mort et absolument rien d’autre. Le lumpenprolétariat (couche sociale qui se trouve en dessous du prolétariat) dont fait parti son père, qui n’a plus que les aides sociales pour subsister et ne peut se permettre de voir la politique comme une simple bataille d’idées, elle est une bataille vitale. La politique, c’est une affaire de meurtre.

Ce transfuge de classe qu’est l’auteur qui a côtoyé les milieux pauvres du Nord et l’intellect bourgeois parisien est l’un des mieux averti de nous tous sur l’influence des réformes politiques pour les classes populaires. Le fait de n’être vraiment ni réellement d’un côté, ni de l’autre appuie sur la capacité de l’auteur à faire ressentir au lecteur l’impact réel des mesures politiques sur ces gens d’en bas. Il est celui qui se fait messager des silencieux, ceux qui sont exclus. Ceux qui subissent dans le silence, ceux dont l’existence est spoliée et bafouée.

Pierre Bourdieu, dont le premier livre d’Edouard Louis fut une analyse de son œuvre, témoignait que La sociologie est un sport de combat, la littérature d’Edouard Louis se veut sociologique.
Edouard Louis est de ceux qui se battent dans la littérature. Sa plume est un gant de boxe pour ses livres. Chaque mot, chaque virgule ne sont que des coups que porte l’auteur à notre société pour déconstruire et mettre à nu ces rapports de domination.

Le prisme politique d’un amour paternel sied parfaitement à ce court livre où l’on apprend dans les dernières pages que la relation entre les deux protagonistes s’est recousue. Le père comprend désormais le fils, peut-être qu’après tant d’années de rejet, son fils ne pouvait faire autrement que le défendre lui qui a haï ce qu’il était à cause de l’homophobie de ce même père.

Le père d’Edouard Louis ne sera jamais devenu celui qu’il voulait être. Son corps n’a pas pu, son corps ne peut plus, son corps ne peut pas, son corps n’est pas, son corps n’est plus.
Il ne reste alors que les mots d’un fils pour témoigner.

L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique

 
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