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La Izquierda Diario
13 de juin de 2015 Twitter Faceboock

Prix Princesse des Asturies 2015
Leonardo Padura et Mario Conde. Une aventure cubaine (I)

Juan Luis Hernández

À l’occasion de l’obtention par Leonardo Padura d’un des prix les plus prestigieux en langue espagnole, le prix Princesse des Asturies de littérature, nous publions en deux volets la traduction d’un article paru dans la revue Ideas Izquierda, en mai 2015. L’article retrace le parcours de la série des romans noirs « Les quatre saisons » de l’écrivain cubain et propose quelques réflexions sur les thématiques sociales présentes dans ses œuvres.

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L’écrivain cubain Leonardo Padura, reconnu internationalement pour son roman L’homme qui aimait les chiens, est aussi l’auteur d’une série de romans policiers dont le détective havanais Mario Conde est le personnage principal. Inspiré par les romans noirs anglais, l’auteur construit cette série en suivant les préceptes de son mentor J.D. Salinger, « très inspiré par la simplicité ». Voici une condition d’écriture pour l’auteur : une histoire simple ayant la capacité d’émouvoir le lecteur et dont les ressources littéraires se focalisent sur la description dense du contexte et le traitement minutieux des personnages. Ces caractéristiques font de ce genre une source d’indéniable valeur pour la compréhension et les études sur l’histoire sociale d’une époque. Les romans noirs de Padura nous offrent un point de vue imprenable pour contempler l’histoire et la vie quotidienne du peuple cubain, dépeinte par la plume critique de l’auteur. Nous présenterons, ici, les romans qui font partie de cette série, et nous ébaucherons quelques éléments de réflexion sur les thématiques sociales qu’elle développe.

Les quatre saisons

Le cycle « Les quatre saisons » comprend les cas les plus importants du Conde dans sa trajectoire comme membre actif de la Police des Investigations de la Havane. Il commence avec Passé Parfait (1991), puis continue avec Vents de Carême (1993) et Electre à La Havane (1997) et s’achève par L’automne à Cuba (1998). Les quatre romans ont été écrits et publiés pendant la « période spéciale », comme on appelait à Cuba les années immédiatement postérieures à la chute de l’Union soviétique en 1991.

Passé parfait raconte l’histoire de Rafael Morín, un cadre politique qui souffre d’une lente décomposition personnelle. Il se retrouve à faire du commerce, et dans sa recherche de pouvoir il finit par se noyer dans des histoires de corruption. En enquêtant sur sa disparition, Conde rencontre Tamara, l’épouse de Morín. Cette rencontre l’emmène à retracer ses années d’adolescence où elle était la fille la plus convoitée par ses amis. L’auteur profite de ce retour en arrière pour présenter le groupe d’amis les plus proches du Conde, - Carlos le maigre et sa mère Josefina, le Lapin, Andrés, Candito le rouge – qui, avec Tamara, l’accompagnent tout au long de l’histoire.

Dans Vents de Carême, une histoire qui a lieu pendant un torride printemps à La Havane, le protagoniste est convoqué pour enquêter sur la mort mystérieuse de Lisbeth, une enseignante de chimie à l’Université, et dont le corps sans vie est retrouvé dans son propre appartement. Cette histoire permet au détective de rentrer dans les recoins les plus sombres du monde académique.

Quant à Electre à La Havane, il est le pari politico-littéraire le plus risqué de ce premier cycle. Le détective doit résoudre une affaire d’assassinat : un travesti est retrouvé étranglé dans un bois à La Havane. La victime était le fils d’un diplomate important, ce qui pousse Conde à pénétrer dans l’hypocrite monde de la bureaucratie. L’enquête démarre par la rencontre de Marqués, écrivain homosexuel, artiste plastique excentrique, très cultivé, qui introduit Mario dans un univers peuplé d’êtres inimaginables pour le détective. Parallèlement, le monologue de Marqués retrace les diverses étapes qui structurent les relations difficiles du monde homosexuel et de l’art avec le régime politique cubain. Ce récit crée des sensations contradictoires chez Conde, excitation, intrigue, révulsion, s’exacerbant ensuite par l’apparition d’une personne avec qui il vivra une passion à la fois étrange et intense.

Le cycle se conclut avec L’automne à Cuba, le roman le plus sombre de la série. L’histoire est celle de Miguel Forcade Mier, révolutionnaire qui dans les années 60 dirigeait une unité spécialisée dans la réappropriation des biens luxueux, expropriant la bourgeoisie qui fuyait vers Miami. Se trouvant à l’apogée de sa carrière, il décide après un voyage officiel fait à l’extérieur de l’île, de ne plus rentrer au pays. Le récit s’ouvre avec la démission de Conde de son poste dans la police, suite au licenciement de son chef, remplacé par un jeune et inexpert bureaucrate rattaché à l’intelligentsia cubaine. Celui-ci, pour accepter sa démission, lui demande de résoudre une nouvelle affaire, celle de l’assassinat de Forcade, exécuté à son retour à Cuba avec son épouse quelques jours auparavant. À nouveau, Conde doit pénétrer dans les recoins les plus sordides de la société cubaine, ce qui ne fait que confirmer sa volonté de mettre fin à son expérience policière. Le jour où il réussit à clore l’enquête, c’est son 36ème anniversaire et une terrible tempête traverse la ville. Le soir même, l’enquêteur apprend qu’un de ses meilleurs amis commence les démarches pour quitter définitivement le pays.

Règlement de comptes

Adiós Hemingway a été publié en 2011, pour une série dans laquelle la fiction policière s’entrecroise avec la vie d’écrivains réels, ce qui fait que l’auteur convoque à nouveau Mario Conde. Ayant quitté son poste à la police, Conde se consacre à la vente de livres d’occasion. Son ancien assistant, Manolo, lui demande un jour de l’aider à résoudre un cas étrange : à Finca Vigía, au port de Cojimar, où se trouve la dernière résidence d’Ernest Hemingway, la chute d’un arbre a permis d’exhumer un cadavre dans le jardin de la maison. Conde, qui en 1960 avait été emmené par son grand-père dans un village de pêcheurs où il a pu rencontrer Hemingway, essayera d’aider son ami pour éclaircir ce mystère. Dans cette trame se développera une relation d’amour-haine de Padura-Conde envers l’écrivain étatsunien, un écrivain génial et, en même temps, un être méprisable qui avait trahi de nombreuses personnes lui ayant fait confiance.

Padura, à travers son alter ego Mario Conde, accuse Hemingway d’une infâme félonie envers son ami et écrivain John Dos Passos, à l’époque de la guerre civile en Espagne. En effet, Hemingway finit par rompre cette amitié en reprochant, avec mépris, l’entêtement de Passos à découvrir la vérité sur la disparition de José Robles. Ce dernier aurait été jugé comme traître de la République et fusillé par la suite, alors qu’il n’était qu’une victime de plus de la terreur stalinienne. Mais Dos Passos accusa aussi Hemingway d’un dernier méfait : celui d’avoir fait de Robles le personnage du traître pour son célèbre roman Pour qui sonne le glas. Ainsi, si Padura réussit à formuler une critique politiquement correcte sur ces éléments, elle reste à mi-chemin quant aux opinions et attitudes de Hemingway sur les femmes, la corrida ou la chasse. Son protagoniste prend ses distances par rapport au machisme et à la tuerie en série d’animaux perpétrée par l’écrivain. Mais cette position est remise en question lorsqu’il retrouve des traces des célèbres amantes d’Hemingway à Finca Vigía. Le sexisme se faufile ainsi entre les pages du roman sans que l’auteur puisse l’éviter.

Le retour de Mario Conde

Plusieurs années après avoir abandonné la police, Conde découvre une précieuse bibliothèque dans une vieille demeure à La Havane, habitée par deux frères. En feuilletant des ouvrages, il trouve une page de revue dans laquelle une chanteuse de « boleros » des années 50 annonce son retrait, à l’apogée de sa carrière. Attiré par la beauté de cette femme et le mystère de sa destiné, Mario décide d’enquêter sur les faits. C’est le début Des brumes du passé (2005) ; un voyage hallucinant dans le temps vers les convulsives années 1958 et 1959, qui lui permet d’accéder au monde de la nuit de La Havane prérévolutionnaire, des conspirations politiques et crimes mafieux, en suivant les pas de Violeta del Río, la Dame de la Nuit et son amant mystérieux. Dans cette aventure, l’ancien policier a un seul partenaire : Yoyi el Palomo, trafiquant de livres et de disques. Au fur et à mesure que Mario Conde vieillit, il devient plus romantique, plus accroché aux vieux codes, d’où la nécessité pour Padura de créer des personnages plus jeunes, porteurs d’un regard encore plus cynique que son protagoniste. Le contraste entre Conde et Yoni prend la forme d’une tension générationnelle qui survole l’intégralité de l’œuvre.

Si Les brumes du passé est le roman le plus « historique » de la série, Mort d’un chinois à La Havane est sans doute le plus « sociologique ». Inspirée de recherches journalistiques, l’action a lieu dans l’ancien quartier chinois de la ville (aujourd’hui presque inexistant) et le quartier de Regla, où habitent les baolabes. Ces derniers pratiquent la santeria, une religion très populaire qui trouve ses origines dans le syncrétisme des rites chrétiens et africains.

Tout commence avec l’évocation de Mario d’une enquête menée il y a quelques années à la demande d’une amie et collègue à lui, Patricia Hion. Lieutenante de la police spécialisée dans les délits économiques, elle lui demande d’enquêter sur un sombre assassinat au quartier chinois. Le résultat : une lucide investigation de l’environnement social de La Havane, qui permet au détective de parcourir des lieux et anecdotes vécues dans le passé par ses parents, sa famille et ses amis les plus proches.

12/11/06

 
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