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31 de janvier de 2018 Twitter Faceboock

Université
Comprendre les leçons du mouvement de 2009 pour penser la mobilisation contre la sélection
Paul Morao
Max Demian

Cet article vise, à l’heure des mobilisations contre la sélection à l’Université, à tirer les leçons des défaites politiques du mouvement de 2009 dans les universités. Nous nous appuierons principalement sur l’essai d’Emmanuel Barot, Révolution dans l’Université, qui visait à produire une analyse critique du mouvement de 2009. A partir de cette analyse, nous tenterons de dégager des perspectives stratégiques pour le mouvement. Il s’agira d’abord de relever les contradictions internes au mouvement de 2009 qui ont mené à son échec afin, dans un second temps, d’en tirer les leçons et ainsi, sur la base de cette analyse critique, formuler des propositions tactiques pour la suite de la mobilisation actuelle.

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Comprendre le mouvement de 2009…

2009, un mouvement « alternatif » aux nombreuses limites

En 2009, face aux décrets d’application de la LRU portant notamment sur la mastérisation de la formation des professeurs et sur la réforme du statut d’enseignant-chercheur, un mouvement de « grève du zèle » des enseignants chercheur démarre à partir de février. Autour du mot d’ordre « L’Université s’arrête », émanant notamment de la Coordination Nationale des Universités, les EC entament une lutte « alternative », remplaçant leurs cours traditionnels par des moments de discussion sur la réforme ou mettant en place des expérimentations pédagogiques.

En parallèle, des AG réunissant enseignants-chercheurs, étudiants et BIATSS se mettent en place. La mobilisation dessine alors une possible convergence avec des enseignants-chercheurs à qui les étudiants reprochaient jusqu’ici de ne s’être pas mobilisés au moment de la LRU en 2007.

Pourtant, la « grève du zèle » montre vite ses limites. En effet, elle permet à tous ceux qui le souhaitent de continuer à travailler normalement, qu’ils soient enseignants ou BIATOS. La politisation de la grève ne débutera réellement qu’avec l’entrée en scène des étudiants et le blocage des universités. C’est à ce moment que le mouvement commencera à avoir des répercussions sur le fonctionnement des universités et à se faire entendre.

L’attitude des EC au moment des blocages se caractérise par une forte ambivalence. Soucieux de défendre une université en grève mais « ouverte », les blocages ne seront pas soutenus officiellement par les enseignants. La lutte sera alors canalisée, du côté des professeurs, vers un terrain syndical et co-gestionnaire. Les examens constitueront finalement un tournant de la mobilisation, alors même que de nombreux étudiants demandaient la « validation automatique » afin de permettre au mouvement de continuer.

Le rôle des enseignants chercheurs dans l’échec de la mobilisation

Il ne s’agit pas ici de lancer des anathèmes sur le corps enseignant mais de le mettre face aux contradictions d’une position qui l’a déjà mené dans l’impasse. Notre analyse critique constitue, pour reprendre la formule de Clausewitz, une réflexion qui doit précéder l’action.

En effet, il est certain que les EC se sont distingués en 2009 par un fort attachement au mythe de l’université démocratique et républicaine post-68. La revendication « éthico-culturelle » de l’accès aux savoirs pour tous a participé à dépolitiser la lutte, en privant le mouvement d’une réflexion sur le rôle de l’université au sein de la société capitaliste, au profit d’une simple aspiration à sauver l’existant.

Les enseignants ont refusé de bloquer une institution dont ils étaient persuadés qu’elle était, au fond, une conquête démocratique à préserver. Loin d’idolâtrer l’Université, il aurait fallu – sans nier les acquis réels d’une Université démocratique acquise de haute lutte après 68 – d’interroger son rôle dans la reproduction de l’idéologie bourgeoise et des inégalités sociales dans le cadre de la société capitaliste néo-libérale.

Car, en effet, la vision fétichisée d’une Université Républicaine a justifié un repli vers les organisations syndicales cogestionnaires plutôt qu’un soutien au mouvement de blocage mené par les étudiants, pourtant seul capable d’imposer un rapport de force à même de mener au retrait des décrets (comme l’ont compris, eux, les personnels Biatts en grève de du Mirail à Toulouse. Le fait que les examens aient pu conduire à l’épuisement du mouvement témoigne de l’insuffisant engagement du corps enseignants qui aurait pu – et dû – imposer une validation automatique.

Ces leçons sont particulièrement parlantes dans le cadre d’un début de mobilisation qui a été impulsé par des enseignants du supérieur (excepté au Mirail à Toulouse, en lien avec une configuration locale particulière) . Or, l’appel du 20 janvier de l’ASES semble déjà annoncer un constat tronqué et des revendications en-deçà de l’attaque du gouvernement. Mentionnant « l’éthique du fonctionnaire », évoquant les équilibres budgétaires nationaux auxquels l’ASES entend ne pas « porter atteinte », et appelant à mobiliser tous les « moyens légaux », il semble clairement manquer d’une radicalité qui est essentielle pour dessiner la perspective d’un retrait du Plan Vidal.

En l’absence d’une perspective offensive et d’une compréhension fine du rôle de leur institution dans le système capitaliste, les EC risquent de se contenter de vouloir « Sauver l’Université », et n’entrevoir la sélection que comme une question touchant à la sphère éducative, sans la lier aux transformations du capitalisme.

Tirer les leçons de 2009 signifie au contraire d’aller au-delà du sauvetage hypothétique d’une Université déjà formellement soumise à l’exigence de reproduction de la force de travail capitaliste (le développement de cette partie interviendra dans un second article). Proposer un ensemble de lignes d’actions capables d’opposer au gouvernement un rapport de forces qui soit en mesure d’aller au-delà des mobilisations sur des intérêts uniquement corporatifs - comme ce fut le cas en 2009, tel est l’enjeu de cette seconde partie.

Le retrait de la loi Vidal : l’achèvement de l’asphyxie planifiée de l’Université

La loi Vidal visant à accroître la sélection à l’Université ne fait qu’accélérer un processus entamé et mené de longue date avec détermination par la bourgeoisie. Si la sélection a toujours existé au sein d’une Université dont nous avons évoqué le rôle ambigu dans le système capitaliste, cette série de réformes constitue une accélération brutale de la soumission de l’Université aux intérêts bourgeois. Après avoir asphyxié les universités, complètement privées de moyens, la bourgeoisie, sous l’égide de Macron, lui assène un coup de grâce en instaurant – sans jamais bien sûr mentionner le terme – une sélection accrue dans les Universités. C’est ce que les Macron Leaks avaient déjà révélé : Robert Gary-Bobo, professeur d’économie à l’ENSAE et conseiller d’En Marche invitait ainsi le Président à « instaurer la sélection sans faire de vagues », introduisant en contrebandes toute sorte de tactiques pour démolir l’Université et la soumettre toujours plus aux intérêts du marché : développer les crédits étudiants, augmenter les frais de scolarité... »

Cependant, il paraît essentiel de rappeler que si l’enjeu présent constitue le retrait de la loi Vidal et le refus de la sélection, c’est en filigrane une lutte menée par et pour l’avènement d’une démocratie réelle dans l’Université mais aussi dans l’ensemble de la société qu’il s’agit de mener. Mais tout horizon, aussi désirable soit-il, ne peut prendre corps par la force de l’invocation et des formules creuses. Donner corps à la démocratie réelle implique dès maintenant de dresser des lignes tactiques qui ouvrent la voie à des modalités démocratiques d’auto-organisation.

Nous en proposerons ici quelques-unes – ne prétendant nullement à l’exhaustivité ; loin de formule et recettes toutes faites, il s’agit de fournir des principes à l’action.

Contre les divisions : créer un rapport de forces par des cadres unitaires

Seule la convergence entre les secteurs étudiants, personnels et profs mais aussi les lycéens et profs du secondaire qui sont particulièrement concernés par la réforme, permettra de créer un rapport de forces susceptibles de faire reculer le Gouvernement. A ce titre, deux appels à la mobilisation ont déjà été annoncés : le 1er février mais aussi le 6 février appelé plus spécifiquement par les syndicats de l’enseignement secondaire.

Ces journées doivent faire émerger des cadres de mobilisation unitaire – EC, étudiants, BIATSS, lycéens – par la convocation d’AG partout où cela est possible. Du Mirail à Rennes 2 en passant par Paris-1 ou Bordeaux 2, de tels cadres se sont d’ores et déjà mis en place, réunissant à chaque fois des centaines de personnes, et permettent de poser la question des formes que doivent prendre la lutte. Le Mirail et Jussieu ont déjà annoncé qu’ils bloqueraient le 1er février. Cette question du blocage devra être posée de façon primordiale partout où les forces le permettent, si le mouvement souhaite peser réellement sur la situation. En outre, comme on l’a vu en 2009, l’enjeu essentiel est de s’assurer que les cadres demeurent unitaires et ne soient pas désertés par l’une des composantes du mouvement au profit d’un cadre plus délimité et cogestionnaire.

Ne pas céder aux sirènes du réformisme : se rappeler le coût de la « paix » de 2009

La « paix » de 2009 – qui ne fut certainement pas une victoire – a eu un coût énorme dont l’université paie aujourd’hui le prix : celui d’une nouvelle offensive du gouvernement. Le refus de l’affrontement en 2009 n’a fait que retarder l’échéance d’une lutte qui se mène aujourd’hui dans des conditions encore plus défavorables avec l’asphyxie prolongée des budgets alloués à l’université. Rappelons en effet que le coût de la paix sociale peut s’avérer bien plus élevé que celui de la lutte sociale.

En l’occurrence, ce sont les professeurs qui doivent particulièrement mûrir les leçons du mouvement de 2009 en se posant la question de leur capacité à passer à une réelle offensive, qui alimente et soutienne la mobilisation étudiante.

Quel rôle pour l’Université dans la lutte des classes ?

Face aux multiples assauts néolibéraux, une fétichisation des savoirs « désintéressés » ne sera d’aucune aide. Au contraire, il est urgent de (re)politiser l’université mais surtout les savoirs eux-mêmes. Quel rôle pour les savoirs dans une Université et une société émancipée ? Et quel rôles le savoir doit-il jouer dans l’avènement d’une telle société ?

La dénonciation du rôle de l’Université dans la reproduction de l’ordre social capitaliste n’est qu’un moyen en vue d’une fin : celui d’une réappropriation réelle des savoirs et de leur visée émancipatrice. Il s’agit d’opposer à une éthique du désintéressement une éthique d’un savoir intéressé, dont l’intérêt se trouve dans son potentiel critique et émancipateur, dans sa capacité à devenir une "force matérielle" au service d’un combat contre le capitalisme.

Transformer le savoir c’est en effet le transformer en puissance d’agir dans le processus réel de la lutte des classes ; question trop souvent occultée au sein de L’université qui, faut-il le rappeler, ne constitue pas un isolat au sein du monde social. Son rôle politique doit être explicitement posé puis exposé pour être réapproprié : quel rôle pour l’Université dans la lutte des classes et, plus largement, dans une perspective communiste ? « Communisme qu’il convient d’entendre, comme l’écrit Emmanuel Barot, ici au double sens marxiste du mouvement actuel, de la pratique réelle abolissant hic et nunc l’état de choses existant, mais aussi de la visée assumée de cette pratique réelle. »

A l’aube de ce qui pourrait bien être la première mobilisation importante de l’ère Macron, et alors que le gouvernement voit son influence décliner, sous la pression de son aile gauche gênée par sa politique migratoire, et de diverses mobilisations déstabilisantes, des prisons aux EHPAD, chacun doit prendre la mesure de sa responsabilité. Enseignants-chercheurs, étudiants et BIATSS ont l’opportunité de freiner la série d’attaques du gouvernement Macron, de pousser au retrait du Plan Vidal, et d’impulser une dynamique de mobilisation qui pourrait s’étendre à de nombreux secteurs. Pour cela, les enseignants-chercheurs déjà mobilisés devront notamment relire les leçons de 2009 et s’assurer de ne pas reproduire ce qui a conduit à un échec.

 
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