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La Izquierda Diario
1er de janvier de 2018 Twitter Faceboock

Les plus grosses mobilisations depuis le « Mouvement Vert » de 2009
Plusieurs morts, des dizaines d’arrestations, mais les manifestations se poursuivent en Iran
Ciro Tappeste

Le président Hassan Rohani a essayé de jouer la carte de la répression avant de revenir aux appels au calme couplés aux menaces mais rien n’y fait : parties de Mashad, les manifestations continuent à s’étendre à l’ensemble des villes du pays et Téhéran, la capitale, est également touchée par la mobilisation depuis samedi soir.

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La protestation a commencé jeudi, à Mashad, la seconde ville du pays. Des centaines de manifestants étaient descendus dans la rue pour protester, notamment, contre la vie chère, mais également contre la banqueroute, pilotée par le gouvernement actuel, de plusieurs banques, rongées par des actifs pourris. Le fait que la mobilisation commence à Mashad a pu entraîner certains à considérer qu’il ne s’agissait que de manifestations orchestrées par une fraction du régime iranien pour déstabiliser le président Rohani, classé dans le camp des « réformateurs » et qui a rempilé pour un second scrutin, en mai 2017, fort de ses promesses d’embellie économique et de fin des sanctions économiques.

Mashad est en effet l’une des villes les plus importantes de l’Islam chiite : réputée rigoriste, c’est là où se trouve le mausolée de l’Imam Reza et c’est surtout le siège de la puissante fondation présidée par le conservateur Ebrahim Raisi, qui avait tenté de défier Rohani au printemps dernier. Un mouvement anti-Rohani fomenté par les ultras du régime ? Une façon, pour l’ancien président Mahmud Ahmadinejad, dont le bilan est très fortement critiqué et plusieurs de ses proches accusés de corruption (notamment dans le cadre du programme de construction de logements Mehr, sa plus grande « réalisation »), d’orchestrer une sorte de tir de barrage préventif et de revenir dans le jeu politique ?

Quoi qu’il en soit et indépendamment de l’origine des manifestations de Mashad, ce jeudi, avec la diffusion du mouvement à la plupart des villes du pays et avec l’entrée en mouvement de Téhéran, la capitale, samedi, il est clair que la mobilisation dépasse, et de loin, une quelconque instrumentalisation par une fraction du régime du malaise social. Ce malaise, d’ailleurs, est généré autant par l’orientation de Rohani que par une embellie économique promise mais qui n’est pas au rendez-vous. Les sanctions post-accord sur le nucléaire, en effet, n’ont pas toutes été levées et certaines devraient être rétablies par l’administration Trump. En attendant, les investissements étrangers (européens et français, notamment) tardent à arriver ou ne sont pas suffisants pour donner un coup de fouet à l’économie. Parallèlement, dans la sillage de la poursuite de « l’ouverture » voulue par les « réformateurs » et pour répondre à des besoins d’entrées fiscales supplémentaires, le gouvernement a annoncé des mesures extrêmement impopulaires (fin des allocations sociales qui concernent, aujourd’hui, 20 millions d’Iraniens, hausse des tarifs du gaz et de l’essence, des taxes perçues sur les voyages à l’étranger, etc.).

Et quand bien même ces contre-réformes ne sont pas censées entrer en application avant mars, elles suscitent inquiétude et colère et génèrent une première vague inflationnaire (alors que Rohani prétendait l’avoir jugulée par rapport à l’ère Ahmadinejad) ainsi qu’une élévation de certains produits de première nécessité, à commencer par les denrées alimentaires. A cela il faut ajouter un climat social qui continue à être agité, avec des grèves qui ont été enregistrées, ces dernières semaines, dans le secteur pétrolier mais aussi dans la chimie (industrie pneumatique de la capitale), pour des questions salariales, ou à Tabriz, la capitale du Nord-ouest iranien, dans l’industrie mécanique. C’est ce vaste éventail de mécontentements, aux sources variées et parfois opposées entre elles, que l’on retrouve dans les slogans qui ont été scandés ces derniers jours, certains, relayés par les conservateurs, appelant à la « mort de Rohani », d’autres appelant à cesser de dilapider l’argent de l’Etat dans les interventions en Syrie et au Yémen, d’autres, encore, appelant à en finir avec le régime, toutes, néanmoins, soulignant les difficultés économiques auxquelles sont confrontées les classes populaires et la classe moyenne.

Dans ce cadre, si les manifestations actuelles ne sont pas encore aussi nourries que pendant le « Mouvement Vert » de 2009, lors des mobilisations massives de millions de personnes contre la réelection frauduleuse de Ahmadinejad, elles sont déjà largement plus importantes que les « rassemblements officiels » auxquels avaient appelé Rohani, en appui à son gouvernement, samedi. C’est ce qui a décidé le gouvernement à essayer de faire baisser la pression, appelant au calme, Rohani déclarant, ce lundi, comprendre l’inquiétude de la population tout en promettant de poursuivre les organisateurs des mobilisations, interdites par le gouvernement.

Les manifestations, néanmoins, se poursuivent et les affrontements qui vont avec également. Selon le régime lui-même dix manifestants auraient été tués et ce sont plusieurs dizaines de personnes qui ont été arrêtées depuis jeudi. Cela n’a pas empêché, aux dires de plusieurs témoins sur place, que la manifestation de lundi soir, à Téhéran, soit la plus importante de ces derniers jours.

Bien que concurrents par rapport à ce que tous considèrent comme l’un des plus gros marchés de la région et opposés quant à la marche à suivre par rapport aux sanctions, les impérialistes ont fait part, par la voix des chancelleries, de leur « vive inquiétude ». En pointe, Trump a tweeté à multiples reprises depuis jeudi et en appelle, aujourd’hui, au « changement » en Iran. Ce ne sont pas les puissances impérialistes, les anciens alliés de la monarchie ultraréactionnaire renversée en 1979, celles qui ont mené la guerre contre le peuple iranien, d’abord à travers la guerre Iran-Iraq des années 1980 puis à travers les sanctions économiques, qui permettront d’obtenir un quelconque changement dans l’intérêt des classes populaires.

La classe ouvrière et la jeunesse d’Iran ont montré, à plusieurs occasions, leur capacité à se mobiliser et à faire trembler les différents régimes en place. En 2009, la jonction ne s’était pas faite. Sur fond de crise persistante et de frustrations générées par des promesses non-tenues, cette convergence pourrait s’opérer, ou commencer à s’opérer cette fois-ci. C’est à espérer. C’est le scénario que craignent le plus les impérialistes et les régimes réactionnaires en place dans la région.

[Photo / Crédit Photo : Des manifestant-e-s à l’une des entrées de l’Université de Téhéran, samedi 30 décembre. Stringer/Anadolu Agency]

 
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