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Biden et l'illusion du retour au multilatéralisme

Victoire de Biden : quels enjeux pour les relations internationales ?

Après Trump et sa politique « America First », nombreux sont les analystes et dirigeants étrangers qui pensent qu’un retour au pouvoir des démocrates annonce un potentiel retour au multilatéralisme dans les relations internationales. Cependant, il semble bien que les tendances lourdes qui ont entraîné la crise d’hégémonie des États-Unis sur la scène internationale soient plus fortes que Biden.

Lucia Nedme

10 novembre 2020

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Crédits photos : AP

Cet article est une adaptation de l’article d’Esteban Mercatante paru sur la Izquierda Diario

Ces élections américaines avaient une importance particulière pour une grande partie de l’establishment politique bipartite de la classe capitaliste américaine. Pour ne citer qu’un exemple, Eliot Cohen, ancien conseiller de la ministre des affaires étrangères Condoleezza Rice sous l’administration de George W. Bush, déclarait la semaine précédant les élections, qu’une nouvelle victoire de Donald Trump ne marquerait ni plus ni moins que "la fin de la puissance américaine" . Un discours similaire a été soutenu chez des analystes locaux, favorables à la victoire du démocrate Joe Biden.

Aux yeux des entreprises capitalistes les plus mondialisées des États-Unis, qui ont été parmi les plus dynamiques en terme de rentabilité et d’accumulation de capital ces dernières années, quatre années supplémentaires de Trump pouvaient porter atteinte aux fondements de la domination américaine depuis la Seconde Guerre mondiale. La victoire de Biden pourrait mettre donc fin à ce processus d’isolement de cette puissance impérialiste, cependant le retour au multilatéralisme reste incertain.

L’ « America First » de Trump : un changement de position des Etats-Unis auniveau international ?

Trump est arrivé au pouvoir avec une promesse de remettre sur pied l’économie américaine avec son célèbre slogan « Make America great again », suite aux effets dévastateurs de la Grande Récession de 2008-2010 pour de larges secteurs de la société américaine.

Au début de l’année 2020, tout indiquait que le magnat marchait tranquillement vers sa réélection, aidé par une croissance économique plus ou moins soutenue pendant les trois premières années de son mandat. Mais la tendance s’est renversée suite à la crise déclenchée par le coronavirus qui a mis en lumière l’échec du système capitaliste ainsi que la crise économique que l’épidémie n’a fait qu’accélérer. La croissance dont a profité Trump a pu exister car il a continué à bénéficier pendant ses quatre années de mandat des mêmes politiques de laxisme monétaire de la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale américaine. Dans la même logique, Trump a réduit les impôts pour les multinationales qui rapatrient des capitaux, ce qui a attiré des centaines de milliards de dollars qui, loin d’être investis dans des entreprises productives, ont été placés en bourse ou distribués aux actionnaires.

Cependant, l’idée selon laquelle Trump défendrait plus agressivement les « intérêts » américains et ramènerait les emplois que les entreprises avaient « exportés » dans d’autres pays, n’a en réalité pratiquement rien donné. La "guerre commerciale" avec la Chine n’a pas donné de résultats notables ; sa promesse d’abandonner l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’accord le plus important entre les États-Unis et le Canada et le Mexique, a été remplacée par une renégociation de l’accord dans laquelle le Canada et le Mexique ont fait plusieurs concessions, mais en maintenant les directives de libéralisation du commerce que Trump avait promis d’abandonner. Au cœur de ce rejet se trouvaient l’Organisation mondiale du commerce et les accords multilatéraux de libre-échange, et il a répudié l’accord de Paris sur le climat. Il a également attaqué, dès la première minute de son gouvernement, l’OTAN, une alliance militaire avec d’autres puissances à laquelle il a exigé qu’elles fournissent plus de fonds pour la soutenir sous la menace de l’abandonner.

Quelles perspectives s’ouvrent avec la victoire de Biden sur la scène internationale ?

De nombreux dirigeants de différents pays se sont réjouis de la victoire de Biden, car cela pourrait ouvrir de nouvelles relations sur le plan international. Un des premiers a été Cuba, qui a été une des principales cibles des attaques menées par Trump. Attaques qui se sont traduites par pas moins 132 mesures et sanctions ces dernières années. La victoire de Biden ouvre la possibilité du retrait des sanctions, même si cela reste incertain : « Dans les élections présidentielles, le peuple américain a choisi un nouveau chemin. Nous croyons en la possibilité d’une relation bilatérale constructrice et respectueuse des différences » a affirmé Miguel Díaz-Canel, président de Cuba. Mais les cubains n’oublient pas une chose : depuis 1959, l’île a affronté 12 présidents américains et ce sont les démocrates qui ont appliqué les mesures les plus strictes vis-à-vis de l’île.

L’Irak a également fait preuve d’un accueil favorable à Biden. « Le mandat de Donald Trump, a été une période de destruction très négative » a affirmé Mohamed Mohie, porte-parole des brigades du Hezbollah, « Nous espérons que la nouvelle administration va régler cela, en mettant fin à la crise et en retirant ses troupes ».

Au Venezuela, quoique très circonspect par rapport à ce que Biden pourrait changer, le président ouvre la voie a la possibilité de travailler au rétablissement d’un dialogue « décent » et « sincère » avec les Etats Unis. La relation reste tendue après la rupture des relations diplomatiques avec Washington en janvier 2019, lorsque l’administration de Trump avait reconnu Juan Guaido comme Président du pays. Bien que de nombreux gouvernement voient ainsi la possibilité d’une ouverture dans les relations internationales avec la victoire de Biden, d’autres ne partagent pas cet enthousiasme.

C’est notamment le cas du Brésil, du Royaume Uni ou de la Russie, dont les dirigeants furent plutôt proches de Trump. C’est le cas de la Chine également, qui a été la cible d’attaques dans les campagnes de Trump et Biden, promettant tous deux d’être durs envers cette puissance émergente. De plus, il ne sera pas aisé de régénérer les alliances qui se sont détériorées non seulement en raison de l’unilatéralisme de Trump mais aussi par l’affaiblissement de la puissance américaine. Le panorama de la « concurrence entre les grandes puissances » que l’on retrouve dans les documents de la Défense américaine ne changera probablement pas sous une nouvelle administration démocrate.

Pour les pays semi-coloniaux comme ceux de l’Amérique latine : il n’y a pas de moindre mal

Du point de vue de l’Amérique latine, Trump a donné le dernier signe il y a quelques mois que la doctrine Monroe n’a pas perdu sa validité. La nomination d’un étatsunien, Mauricio Claver Carone, à la tête de la Banque interaméricaine de développement (BID), qui depuis sa fondation - sur ordre des États-Unis eux-mêmes - était présidée par des Latino-américains, a montré à quel point le magnat était prêt à se passer des formalités qui ornent la primauté des américains dans la région. Claver Carone est le même qui a quitté l’Argentine sans saluer Alberto Fernandez le jour de son entrée en fonction, du fait que le pays avait invité une délégation vénézuélienne à la cérémonie d’inauguration. C’est aussi lui qui a reconnu ouvertement, il y a quelques mois, que Trump a fait pression pour que le FMI saute toutes les formalités et accorde à Mauricio Macri un prêt généreux, en 2018, pour qu’il gagne les élections.

Mais il ne faut pas oublier non plus que le coup d’État institutionnel au Brésil a eu lieu sous l’administration Obama. Dans la politique envers le Venezuela - y compris les sanctions économiques - on ne peut pas attendre moins de fermeté de la part d’un gouvernement démocrate, puisque la première option envisageable pour les États-Unis sera toujours le changement de régime. Bien avant l’arrivée de Trump, les institutions régionales telles que CELAC et Unasur étaient déjà un sujet de litige régional. Même la politique migratoire aux États-Unis a peu de chance de connaître des changements substantiels dans ses lignes directrices, au-delà de la rhétorique.

Biden pourra fixer quelques lignes directrices différentes de celles de Trump, mais il fera preuve de la même rapacité impérialiste, qui pour la région latino-américaine signifie pillage financier, extractivisme, interventionnisme, pression pour des alignements politiques contre la "menace" de la Chine et pour le maintien de toutes les politiques d’ouverture économique, de libéralisation et de bénéfices au capital transnational. Quelle que soit la solution imposée, dans un contexte de crise mondiale et de conflit aggravé avec la Chine, nous pouvons nous attendre à une offensive plus importante. Il devient urgent de développer une politique anti-impérialiste pour y faire face, qui ne peut être menée que par les classes ouvrières de la région en alliance avec les peuples opprimés, pour une issue qui mette fin à la dépendance économique.


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