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Suicide à Jtekt, sous traitant automobile

Victime de harcèlement, Eric Alberola se jette du toit de l’entreprise

Eric Alberola, 45 ans et père de deux enfants, s’est jeté du toit du bâtiment où siège la direction de l'entreprise JTEKT, près de Lyon, une filiale de Toyota spécialisée dans les directions assistées. La direction du sous-traitant automobile avait convoqué le technicien, quelques jours avant son suicide, afin d’exiger de lui le retrait d’une procédure prudhommale intentée par le salarié pour suppression unilatérale de la prime d’astreinte.

Damien Bernard

2 novembre 2015

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Une chose est sure. Les cas de suicides de salariés sur leurs lieux de travail se suivent et se ressemblent bien. Au préalable, ce sont pression, répression et harcèlement patronal, qui précèdent dépressions, arrêts maladie à répétition, puis dans certains cas, des suicides pour celles et ceux qui n’arrivent pas à trouver une riposte collective pour s’opposer et lutter face au rouleau compresseur patronal.

JTEKT, un modèle de patron-voyous

Le 9 juin 2011 à Irigny, près de Lyon, siège du groupe JTEKT Europe, Mazakazu Nagai alors président directeur général de la filiale européenne avait prononcé un discours cru et sans détour : « Je suis de retour chez JTEKT Europe en tant que chairman depuis le 1er juin. L’un de mes principaux objectifs pour JTEKT est la reconstruction de son organisation managériale. Je sais que ce sera très difficile, mais nous devons le faire. Mais avant tout, je souhaite que vous compreniez ce qu’il y a de plus important pour une entreprise. C’est de faire des bénéfices. JTEKT Europe enregistre des résultats négatifs depuis 2007. »

Le ton est alors donné. L’objectif du nouveau « chairman » de JTEKT Europe, filiale du japonais JTEKT Corporation leader mondial des systèmes de direction automobile et de fabrication de machines-outils, est de réorganiserses « managers ». Ces cadres sont les piliers de la chaine de commandement du patronat, ceux qui appliquent les plans patronaux sans coup férir, avec un unique objectif : atteindre les résultats qui leur sont fixés individuellement par la direction. La direction délègue alors à sa hiérarchie l’application de cette politique guidée par le profit, celle d’une pression permanente, du harcèlement, de la sous-traitance, des licenciements qu’ils soient « volontaires » ou forcés.

Pour la direction, une délégation bien utile, du fait qu’elle s’autonomise alors relativement de l’application concrète de la politique de casse sociale qu’elle a décidée et ce que ce soit pour « rétablir » ou augmenter ses profits. En échange de ses bons et loyaux services, la direction offre à ces managers une part de ses profits. Ces managers, en tant qu’agent du patronat, font la sale besogne de la direction, pression, répression et licenciement qu’ils expliquent alors par un froid « nous exécutons seulement les ordres ». Des salariés comme les autres ? Non, des agents actifs des politiques patronales et anti ouvrières.

Une course au profit sur le dos des salariés qui s’annonce brutale et violente

Des ordres qu’elles exécutent froidement, les plans de licenciement s’enchainent et se ressemblent, le vendredi 7 novembre 2008, le sous-traitant automobile JTEKT, dont les principaux clients sont PSA, Renault et Volkswagen, avaient annoncé un plan de restructuration, 280 emplois supprimés en France, dont 110 sur les 2 sites de Dijon et Saint-Etienne.

Le 15 octobre 2010, sur le site d’Irigny, où Eric s’est suicidé, les salariés, à l’appel de la CGT se mettent en grève tous les lundi et vendredi, par tranche de deux heures contre des « conditions de travail dignes du Moyen Âge ». Une nouvelle organisation du travail mise en place depuis la fin des 35 heures a engendré le licenciement de 26 personnes et la suppression à terme de 70 emplois. Le 7 janvier 2013, la direction du site d’Irigny a placé tout son personnel en chômage partiel depuis la mi-novembre. Ainsi les 1500 employés de JTEKT sont mis sur le carreau jusqu’à la fin du mois de mars. Le jeudi 19 juin 2014 au soir, 300 salariés des équipes de 2X8 et de nuit de cette filiale de Toyota sont en grève pour revendiquer des augmentations de salaires décentes et de meilleures conditions de travail.

Le mardi du 9 Avril 2015, à force de tirer sur la corde de l’augmentation des cadences et l’exploitation sans vergogne, ce sont les prudhommes, sous la pression de travailleurs et de militants combattifs de la CGT, qui donnent raison à un salarié de JTEKT Dijon. Son tort ? Avoir refusé d’effectuer des heures supplémentaires. Sous la pression organisée des salariés, les prudhommes ont jugé que « le délai de prévenance est insuffisant et impose au salarié d’exécuter quasi immédiatement les heures supplémentaires en cause, imposant une contrainte incompatible avec la liberté individuelle du salarié protégée par l’article L1221-1 du code du travail ». Les travailleurs n’étaient ainsi pas si loin de la vérité lorsqu’ils affirmaient en 2010 que les conditions de travail étaient « dignes du Moyen Âge ».

La direction réplique

Le prix à payer de cette défaite ? 12000 euros d’amende pour la direction, ridicule par rapport aux milliards que l’entreprise brasse. Mais l’important, pour les salariés, c’est une fierté retrouvée, une façon de relever la tête, une victoire qui bien que sur le plan judiciaire et symbolique, légitime leurs combats. Cette lutte victorieuse a amené Eric, soutenu par la CGT JTEKT, à lui aussi revendiquer sa prime d’astreinte aux prud’hommes. La direction a supprimé une partie de son salaire du jour au lendemain, une façon de faire craquer les salariés, un chantage et un harcèlement à la démission.

Pour mettre un frein aux velléités des travailleurs, et notamment à tout sursaut ouvrier de grève combative tel qu’ils l’ont démontré ces dernières années, la direction a décidé de taper fort, une convocation individuelle dans les coulisses pour faire taire le dissident. Depuis plusieurs jours, la direction lui mettait la pression via du chantage à l’emploi au point de lui faire croire à une situation de pré licenciement. Cette pression trop forte, il ne l’a pas supporté.

Face au harcèlement et à la dictature patronale, la lutte collectives’impose

Individualiser les « fauteurs de troubles », harcèlement délibéré, chantage à l’emploi, telles sont les méthodes usées par la direction et les représentants patronaux. Toutes les excuses sont bonnes pour licencier, avec pour dernier exemple Dominique, licencié pour avoir « volé » un joint.

Certains le payent de leur vie, comme Corinne Bernard, caissière dans un magasin Zara du Luxembourg, qui s’est suicidée suite au harcèlement par la direction, ou encore la tentative de suicide une ouvrière d’Onnaing à Toyota Onnaing près de Valenciennes, et maintenant Eric Alberola.

Quelles que soient les modalités du harcèlement sur les lieux de travail et les formes qu’il peut prendre dans les relations interpersonnelles, les causes sont, on le sait, profondes. Elles prennent racine dans ce système économique et social, celui qui oppose d’un côté ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, et de l’autre le patronat et ses représentants, leur avidité insatiable de profits, avec un gouvernement à sa botte.

Contre les patrons voyous qui persécutent les ouvriers et tous ceux qui osent remettre en cause d’une manière ou d’une autre l’ordre établi de l’exploitation, contre le harcèlement et les licenciements de masse qui conduisent dans certains cas à des suicides. C’est bien sûr dans la lutte collective, syndicale et politique, que se posent les moyens de relever la tête et de retrouver la fierté. Pour qu’à l’image des cadres dirigeants d’Air France prenant la fuite avec leurs chemises déchirées, la peur commence à changer de camp.


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