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racisme d'Etat

VIDEO. Echange entre le Comité Adama et Left Voice sur la mobilisation contre les violences policières à l’international

Dimanche dernier, Julia Wallace, militante à Left Voice aux Etats-Unis, Almamy Kanouté, membre du Comité Adama, et Anasse Kazib, militant à Révolution Permanente étaient réunis sur RP pour un live exceptionnel sur la mobilisation à l’international contre les violences policières et le racisme d’Etat. Retour sur une discussion très riche.

Mica Torres

10 juin 2020

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Si la mort tragique de George Floyd a généré un mouvement historique aux Etats-Unis et dans le monde, elle rappelle par de nombreux points l’histoire d’Adama Traoré, mort entre les mains de la police au commissariat de Beaumont-sur-Oise le 19 juillet 2016. Les deux ont prononcé les mêmes mots : « Je ne peux pas respirer ». Pourtant, si grâce à des mobilisations de masse aux Etats-Unis et dans le monde entier suite à la publication la vidéo du meurtre de George Floyd, les policiers en lien avec sa mort ont été inculpés pour meurtre, les gendarmes impliqués dans l’affaire Adama Traoré ne sont toujours pas mis en cause.

Après la mobilisation massive du 2 juin à Paris, nous avons voulu faire se rencontrer Julia Wallace, militante africaine-américaine de Left Voice à Los Angeles et Almamy Kanouté, militant du Comité Adama pour revenir sur le mouvement en cours. L’occasion de pointer les similitudes entre les dynamiques des deux côtés de l’Atlantique et de débattre des perspectives stratégiques.

Une mobilisation historique, ancrée dans la jeunesse aux Etats-Unis comme en France

Revenant sur la situation, les deux militants ont commencé par rappeler la jeunesse du mouvement et son caractère multi-ethnique. Dans les deux cas, ce sont des jeunes, parfois précaires ou issus des quartiers populaires, qui sont sortis massivement dans la rue. Comme l’exprime Almamy Kanouté, ces jeunes sont ceux qui vivent les violences et harcèlements policiers dans les quartiers. Or, leur situation a été aggravée dans un contexte de violences accrues dans les quartiers populaire pendant le confinement, qui a donné lieu à des émeutes en banlieue parisienne et dans différentes villes de France. En outre, la récente polémique autour de la chanteuse Camélia Jordana, qui avait déclaré ne pas se sentir en sécurité face à la police, semble avoir préparé le terrain pour une politisation massive autour de ces questions.

Le mouvement en cours répond ainsi à une colère généralisée qui plonge ses racines dans un contexte social explosif, comme l’ont développé Julia Wallace et Almamy Kanouté. C’est à un ras-le-bol général d’une jeunesse qui subit la précarisation, l’oppression, et qui ne voit pas ce que ce monde a à leur offrir qu’on assiste.

« En plus du racisme endémique, la crise du coronavirus est arrivée et comme la population racisée est en général la population la plus précaire qui travaille par exemple dans les entrepôts d’Amazon, dans les McDonalds, dans les hôpitaux, ces derniers ont été plus exposés au virus. On sait aussi que c’est la catégorie de la population qui a été le plus touchée par le chômage, ceci explique le degré de radicalisation aujourd’hui dans la rue » note ainsi Julia Wallace.

En France, ce sont également les jeunes des quartiers populaires qui concentrent le plus de travailleurs en première ligne qui ont dû subir la répression accrue.

Les illusions sur la réforme de la police

Alors que la question de la réforme de la police traverse les mots d’ordre du mouvement, Julia Wallace a tenu à mettre en avant le caractère structurel du racisme dans la police, pour contrecarrer les illusions sur la moralisation de celle-ci. Elle a ainsi dénoncé les tentatives de certains de désamorcer la colère par des opérations de communication, comme lorsque les policiers se mettent en scène en déposant un genou à terre face aux manifestants. Bien loin de régler le problème, cela fait passer la mort de Georges Floyd pour le résultat d’une « bavure policière ».

Or, ces mêmes policiers qui posent un genoux à terre sont ceux qui ne dénoncent pas les violences quotidiennes et les méthodes brutales de la police. Pour Almamy Kanouté, la notion de bavure n’a pas de sens : « Pour moi, il n’existe pas de bavure policière, tous les actes violents, tous les coups portés, tout le réflexe répressif émanant d’un policier ou groupe de policier est la réponse d’un ordre donné, c’est volontaire, pour moi bavure sous entendrait que la personne n’a pas fait exprès. Le problème il faut le prendre à la racine […] il est politique ».

Il affirme que la police n’est pas là pour protéger les personnes dans les quartier et fait ce triste constat : « Ne pas avoir sa pièce d’identité, c’est une question de survie quand on est noir ou arabe, issue des quartiers populaires ».

Pour Julia Wallace, ces actes sont liés à la peur des capitalistes et de l’État de voir se propager la révolte. Elle affirme : « Aux Etats-Unis, les images de la police qui danse dans les manifestations, on appelle ça la « copaganda » c’est un mot qui mélange « flics » (cops) et propagande, de la propagande pro-flics. Mais cela ne change absolument pas la nature de la police, dans la même ville d’un jour à l’autre on peut voir la police qui se met à genoux en solidarité avec les manifestants, et le lendemain, ils font une charge et ils poussent un homme de 70 ans à terre qui est blessé à la tête et qu’on laisse saigner sur le sol… En fait la police est un ennemi de classe. »

Anasse Kazib abonde dans son sens, en marxiste il rappelle que la police est une instance coercitive de l’État bourgeois, qui est là pour maintenir un système oppressif. Pour ce faire, la police doit être acquise à une certaine idéologie et c’est ce qui explique, pour Julia Wallace, la forte politisation à l’extrême-droite dans les rangs de la police.

Une institution au service des profits

Ainsi, le mouvement de révolte correspond à une colère, un ras-le-bol qui dépasse les frontières et met en lumière le rôle de la police dans le système capitaliste, notamment dans le contexte du coronavirus. Alors que l’État n’était pas en mesure de répondre à la crise et de protéger la population, il a déployé un arsenal répressif sans commune mesure, avec pour objectif la reprise des activités économiques le plus rapidement possible.

Répondant à ceux qui disent que parler de racisme divise, Julia Wallace revient sur le rôle du racisme dans le système capitaliste. Elle soutient que le système a besoin de créer des divisions pour se maintenir, notamment des divisions ethniques qui permettent de justifier les inégalités de traitement. Ce sont ces mêmes divisions qui ont pu justifier l’esclavage, la colonisation et les politique néo-coloniales qui permettent l’accumulation de richesses par les pays impérialistes.

Les deux intervenannts soulignent ainsi le lien étroit qui existe entre les violences policières, le racisme et capitalisme. Le comité Adama a d’ailleurs très vite adopté une stratégie de convergence avec les mouvements sociaux et écologiques, face aux tentatives de la classe dominante de diviser les travailleurs. La grève des travailleuses d’Onet a montré que les enfants, cousins, frères des femmes qui se battaient contre leur patron qui les exploitaient étaient ceux qui mouraient sous les coups de la police. Pour Almamy Kanouté :

« Il n’y a pas que les questions de racisme, de discrimination, mais les questions de droit de travail, de retraite, de respecter les individus qui contribuent à l’évolution d’une société, de rejeter toute forme d’exploitation, d’abus, de mépris, de rejet […] tout naturellement le système capitaliste a tout intérêt à avoir en face d’eux plusieurs opposants que d’avoir un bloc […]. C’est avec le recul que j’ai compris que ça les dérangeait (qu’on soit unis), alors on s’est dit soyons présents et actifs là où ils s’attendent pas à nous voir et effectivement ça les dérangent qu’on aille vers les cheminots. Ça les arrange pas qu’on aille vers les militants climatiques, soutenir des mouvements qui soi-disant seraient loin de nos réalités alors que tout se rejoint »

Les intervenants reviennent également sur le caractère illusoire du fait de revendiquer un plus grand accès aux postes de pouvoir pour les populations racisées sans remettre en cause plus profondément le système capitaliste. Barack Obama, très peu critiqué en France, a pourtant mené des guerres impérialistes et soutenu le système carcéral de masse. Julia Wallace critique également les tentatives des grandes entreprises de coopter le mouvement : « Leur objectif est de forcer les gens à retourner au travail et du coup leur solution est d’essayer d’acheter le mouvement. Amazon a déclaré donner 10 millions de dollars à une organisation antiraciste. C’est rien pour ces entreprises mais ils veulent absolument y mettre fin pour obliger les gens à retourner au travail, en même temps qu’ils font des donations, ils attaquent leurs propres employés qui demandent des meilleures conditions de travail et meilleure conditions sanitaires. On a un exemple avec le cas de Chris Smalls, un employé d’Amazon viré car il demandait des mesures de sécurité par rapport au Covid. D’un côté ils donnent des millions de dollar à des organisations et de l’autre côté ils attaquent leurs travailleurs qui sont en grande partie des personnes noires, c’est de l’hypocrisie totale. »

Ces tentatives de récupération permettent à la classe dominante d’invisibiliser la question sociale.

La nécessité de la construction d’une organisation prônant une indépendance de classe

Face à ces constats est revendiquée la nécessité d’alliance de la classe travailleuse, notamment par sa prise de conscience que l’oppression raciste est commune à tout un pan de la population. Pour ce faire, Julia Wallace met en avant la nécessité de construire une organisation politique propre à notre classe, indépendante des institutions capitalistes, Une organisation pour contrecarrer les politiques et les partis qui essayent d’instrumentaliser les luttes anti-racistes pour leurs profits, ou encore qui se servent du système patriarcal pour justifier les inégalités de salaires et du racisme pour piller des territoires.

Ainsi, pour Julia Wallace, il est nécessaire que toutes les organisations de gauche créent des ponts entre les questions du racisme et du capitalisme : « Notre lutte contre la capitalisme mais aussi contre l’impérialisme contre les intervention impérialistes à l’internationale, doit s’associer à la classe ouvrière, au EU, il y a un mouvement d’ampleur qui est né mais pour l’instant il n’y a pas de présence forte de ces mouvements, et avec leur méthode forte qui est la grève qui permet d’attaquer financièrement le capitalisme, il faut qu’on réussisse, et ce qu’on essaye de faire avec Left Voice est de créer des ponts avec les syndiqués, les non syndiqués, les chômeurs qui sont de plus en plus nombreux avec la crise sanitaire, en fait la lutte des classes pour nous va de pair avec la libération des peuples opprimés. »

À ce titre, on peut par exemple penser à l’implication des travailleuses et travailleurs de la santé organisés au sein de la Front Line Workers Task Force, un groupe très présent dans les manifestations pour George Floyd en tant que Street Medic, et qui ont été eux-mêmes réprimés par la police. Mais la question d’une organisation politique propre ne sert pas uniquement à créer ces ponts. Elle doit également servir à poser la question de qui doit diriger la société, qui doit le faire dans un contexte où les jeunes, encore une fois, posent la question du monde d’après avec force.


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