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La Grèce, Syriza et l'Europe néolibérale

Unité Populaire. Kouvelakis au Lieu-Dit, à Paris

Jeudi soir, la salle du Lieu-Dit, café-militant du 20ème arrondissement de Paris, était remplie. Au programme, une rencontre avec Stathis Kouvélakis, porte-parole international de l’Unité Populaire, animée par Alexis Cukier. Cette entrevue avait pour objectif de débattre autour de leur dernier ouvrage, La Grèce, Syriza et l'Europe néolibérale, qui vient de paraître aux éditions La Dispute. Damien Bernard

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À la lumière de la capitulation de Tsipras et Syriza, avec pour toile de fond l’accord néocolonial imposé à la Grèce par les décideurs européens, Sthatis Kouvelakis et Alexis Cukier ont présenté une analyse des récents événements en Grèce, vécus comme « un désastre », une « catastrophe » et pas seulement comme une « défaite » pour « la gauche européenne ». 

À travers l’analyse des différentes périodes qui ont marqué la crise grecque, les intervenants ont présenté un bilan des erreurs stratégiques ayant menées Tsipras à une capitulation aussi brutale face aux différents créanciers. Il s’agit aussi pour Stathis Kouvelakis, l’un des principaux dirigeants de la Plateforme de Gauche, de faire un bilan de la politique qu’ils ont eux-mêmes mené en tant qu’opposition à l’intérieur de Syriza. Pour cela, Stathis Kouvelakis, décortique l’expérience grecque à travers trois périodes :

La première commence à l’aube de la période intense de lutte des classes de 2010 à 2012, une période marquée par une situation quasi « insurrectionnelle » à l’automne 2011, couplée à une « crise de l’hégémonie de la classe dominante » et de sa « capacité à diriger la société ».

Les « mobilisations populaires » prenant « un aspect multiforme » n’ont pas débouché sur une « structure organisée » et « stable », capable de remettre en cause le pouvoir politique. Cet échec a conduit à penser la nécessité d’une « alternative politique ». Syriza était un « gouvernement de gauche anti austérité » qui ouvrait un espace « à gauche de la sociale démocratie », une avancée « qualitative » dans une Europe essentiellement marquée par les politiques néolibérales.

La seconde période commence au lendemain des (très) bons résultats de Syriza aux élections législatives du 17 juin 2012, et a marqué le début d’une nouvelle période, véritable « tournant » de la « normalisation » progressive de Syriza, soit le « recentrage » qui fait suite à la « peur de la dynamique » enclenchée par le succès électoral.

Les éléments qui préfigurent ce « recentrage » s’observent sur deux lignes rouges. La première a été l’abandon de la ligne initiale qui ne faisait pas de l’euro un « fétiche » pour en faire un choix « irrévocable ». La seconde, plus « graduelle », consistait à abandonner la ligne du défaut partiel et de l’annulation d’une grande partie de la dette, qui s’est transformée en l’acceptation du cadre de négociation imposé par les créanciers.

Ce tournant s’est aussi illustré par la transformation profonde de Syriza en tant que parti, devenu un « parti d’adhérent ». Cette mutation s’accompagne aussi d’un désintérêt croissant des mouvements sociaux, et de modifications profondes du point de vue de la démocratie au sein du parti, où s’accélèrent les « procédures express », ainsi que la centralisation du parti autour du « leader Tsipras ».

Selon Kouvelakis, « l’équilibre interne » est brisé et Tsipras cesse d’être « centriste ». Il s’agit « d’une tendance lourde » qui n’est pas une « totalité » et qui revêt en réalité « des contradictions » qui peuvent être tranchées d’un côté ou d’un autre, poussées notamment par les militants et le « mouvement social ».

La victoire électorale est précieuse, mais le « recul du mouvement » n’est pas attribuable seulement à Syriza qui a été « porteuse d’une alternative ». Cependant, il s’est « adapté » à la « conjoncture de base », ne misant pas sur les mobilisations populaires, notamment suite à la fermeture de la télé grecque ou la grève des enseignants. En réalité, cette politique a mené à une logique de « délégation ».

A partir de 2015 débute la troisième période, celle de la victoire de Syriza aux élections de janvier 2015, une « victoire prévisible » quant au « rapport de force », Tsipras obtient un « mandat fort » pour rompre avec l’austérité. Il opte cependant pour une « solution négociée » qui se matérialise notamment par le programme de Thessalonique, qui ne prévoit pas de « taxe sur le capital » et se centre sur la lutte contre « l’évasion fiscale », tout en misant pour se financier sur « des fonds européens ». C’est la logique du « compromis honorable » qui prend le pas, même si cela n’est jamais explicite.

La ligne rouge de la sortie de la zone euro n’est jamais clarifiée, aucune préparation n’est envisagée en cas de refus des Européens du programme de Thessalonique. Non seulement aucun plan B n’est préparé, mais « l’absence de Plan B » est présenté aux principaux dirigeants européens comme un « atout de Syriza » dans la logique du « nous sommes raisonnables, récompensez-nous, nous trouverons bien un arrangement au milieu ».

Mais la BCE a coupé très vite les « canaux de financement », la 4 février, soit dix jours après l’élection. C’est la stratégie du « blocus pour asphyxier ». L’accord du 20 février est alors signé, avec en germe la capitulation du 13 juillet, en reconnaissant « l’intégralité » de la dette, en s’engageant à dégager des excédents primaires et acceptant un programme de privatisation, une spirale de concessions qui durera jusque juin.

Pour Kouvelakis, la stratégie « du compromis honorable » est impraticable. Le référendum constituait une « carte » décidée au dernier moment pour tenter de relever « les contradictions à un niveau européen », et cela sans avoir la possibilité de rupture avec la zone d’euro.

« Que faire face au désastre » donc ? Selon Kouvelakis, il faudrait une solution qui consisterait à « approfondir le désastre » pour « jouer sur les failles de la situation nouvelle ». La victoire de Syriza et de l’extrême centre recueille 85% des voix au parlement autour d’un bloc unifié pour le « mémorandum », il reste au Parlement à le mettre en œuvre, ce qui aura pour effet notamment d’« approfondir la récession » et le « désastre économique et social ». Ce pourrait être la base d’une contestation possible.

Ainsi, il y aurait une reconstruction possible sur la base de ce nouveau cycle de lutte et des nouvelles contradictions. « Il faut garder le cap du possible ». Avec la victoire du « non » au référendum », un vote de classe contre les mesures d’austérité du 5 juillet 2015 qui semblait émerger, et avec l’échec de 6 mois de « négociation » de l’austérité dans le cadre de la zone euro, se fait ressentir la nécessité de rompre avec l’Euro comme préalable nécessaire, conclu-t-il.

Durant les débats, Kouvelakis précisera que « sa rupture » avec l’euro n’a jamais été presenté independemment et doit s’associer à un défaut sur la dette, à la nationalisation des banques sous contrôle social, au contrôle des capitaux, à la taxe sur le capital et à la mise en place d’une monnaie parallèle.

Kouvélakis finit par construire un bilan critique sur la Plate-forme de Gauche, et sur sa participation au gouvernement Syriza, bilan qu’il justifie notamment par une « erreur d’appréciation » de la stratégie du « recentrage » de Tsipras, une PG en définitive trop « timorée ». Malgré les « ambiguïtés » de Syriza, il était pourtant possible de trancher la contradiction de notre côté. Il aurait fallu s’adresser à la société civile et pas seulement aux militants de Syriza.

Dès avril, la Plate-forme de Gauche aurait du « sortir du gouvernement » avec un programme politique alternatif. Elle est cependant restée sur un mode opératoire antérieur qui ne correspondait plus au rapport de force et à la dynamique de « normalisation ». Une « guerre de position » finalement inadaptée à la conjoncture depuis 2012.

Kouvelakis pose alors la question du « que faire ? » L’épisode grecque a démontré qu’il y avait des possibilités réelles, comme en témoigne son « on n’était pas loin ». On peut regretter l’absence d’une stratégie de rupture avec l’euro. Cet acte de rupture, acte de « désobéissance » en tant que mesure « unilatérale », aurait bénéficié du soutien interne (national) et externe (international), entraînant les « mobilisations sociale en Grèce », le contrôle des capitaux, ainsi qu’un ensemble de mesures progressistes.

Il aborde alors la question du Plan B. L’euro, c’est l’austérité, l’expérience grecque le démontre. Une vision partagée notamment par des économistes keynésiens Stiglitz et Krugman. C’est le « bras armé » pour faire plier la « gauche radicale ». Dans ce cadre, la « conférence du plan B » auquel l’Unité Populaire est parti prenante, une initiative de Jean Luc Mélenchon et du Parti de Gauche, apparaît comme une façon rationnelle d’aborder le problème, une discussion internationalisée, prenant en compte la spécificité de chaque pays, dans un esprit commun et une démarche commune, cela dans le cadre d’une « rupture » avec « l’Ether européiste » pour définir les enjeux du « Quel programme ? Quels moyens ? » Et surtout pour répondre à la question : Sont-ils les bons ?


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