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Une soignante en colère : "Les quartiers populaires sont à l’hôpital, il y a une jonction a faire"

Révolution Permanente a interviewé Charlotte, une soignante en colère, notamment au sujet de la mobilisation du 16 juin et du lien avec la lutte contre les violences policières. Elle raconte : « dans ma résidence, ça n’applaudissait pas à 20h pour la simple et bonne raison que dans mon bâtiment personne n’était confiné car on allait tous travailler : soignants, caissières, éboueurs, livreurs. »

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Crédits photos : Twitter

Propos recueillis par Damien Bernard

Révolution Permanente : comment vois-tu la mobilisation du 16 juin ?

Charlotte : Le déconfinement nous a permis à nous, les soignants, de se faire entendre. Le ressenti est le même dans tous les services, d’après mes discussions avec des collègues d’autres hôpitaux, on ressent tous une grande colère, une rage par rapport à tout ce qu’il s’est passé.

Ça fait bien 2 ans, qu’on est à bout, que l’hôpital est à bout. Ça fait bien deux ans qu’on prévient l’Etat qu’une catastrophe va arriver, et le cher Covid-19 est arrivé, confirmant que tout ce qu’on disait, c’était pas des bêtises. Tout ce qu’on disait, depuis deux ans tout est arrivé. Toutes les catastrophes qui pouvaient arriver à l’hôpital sont arrivées.

Pendant deux mois, on nous a fait passer pour des héros de guerre, et puis le déconfinement est arrivé, et la vie reprend son cours. Hier encore, le Président a dit seulement deux lignes au sujet des soignants. Alors qu’à chaque allocution, pendant deux mois, il passait 20 minutes à chaque fois à nous remercier, nous dire qu’on est des héros de guerre. Les choses redeviennent normales et finalement les soignants on les oublie bien vite.

RP : Quelle est l’ambiance chez les collègues ? Comment se prépare le 16 juin ?

Charlotte : Nous les soignants, habituellement, les grèves, on ne peut pas trop les faire. Parce qu’on n’est pas trop entendu, parce qu’on est réquisitionné, parce qu’il y a toujours un manque de personnel. Depuis plus de deux ans, on est en nombre minimum, et si on se met gréviste, on sait qu’on va être réquisitionné. On pouvait donc percevoir un côté résigné des soignants, on se mettait plus trop en grève car on se disait que ça ne servait à rien car dans tous les cas on serait réquisitionnés.

Mais là vraiment y a une vraie mobilisation. Je suis auxiliaire de puériculture dans la fonction publique hospitalière depuis 10 ans, et c’est la première fois qu’on discute autant d’une manifestation entre collègues, qu’on se mobilise autant pour y aller, qu’on s’est organisé pour se mettre en repos et faire des échanges de service, poser des jours.

Pour moi, c’est une première de voir autant de mobilisation autour d’une mobilisation de soignants. Cette fois, on est « au taquet », tous très motivé. On se dit aussi que si on ne le fait pas maintenant, on ne sera jamais entendus. On se dit que c’est maintenant ou jamais !

On compte aussi beaucoup sur les gens qui ont applaudi au 20 h, on espère tous qu’ils vont être à nos côtés. La presse a beaucoup parlé de l’argent, des augmentations de salaires qu’on exigeait, ce qui est très important car il ne faut pas oublier qu’on est payé une misère. Donc bien sûr qu’on doit être augmenté, ce n’est pas le même débat.

Si on se bat depuis deux ans, c’est pour avoir du matériel, du personnel, pour qu’on puisse tout simplement prendre en charge nos patients. Ça concerne tout le monde, on est tous malades à un moment, on devient tous patient un jour ou l’autre. C’est pour cette raison que tout le monde doit se mobilise pour sauver l’hôpital.

RP : Les applaudissements sont devenus une forme de rituel pendant le confinement, mais comment va se cristalliser ce soutien dans la rue ? Quel message vous voudriez leur fasse passer ?

Charlotte : Le message que j’ai envie de passer c’est que je peux comprendre que jusqu’à maintenant on ne nous ait pas écouté, mais il faut comprendre qu’on aurait pu éviter quelque chose. Toutefois, après la crise sanitaire, on ne peut plus faire semblant : si vous voulez sauver la vie de vos enfants, de vos parents, il faut se mobiliser.

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que le manque de matériel coute concrètement des vies. Là, il faut se bouger aujourd’hui si vous ne voulez pas qu’on arrive à un système de santé où il y aura un écart entre les riches et les pauvres. Il est vraiment temps de faire quelque chose avant qu’il soit trop tard.

RP : Quel est votre avis autour de la question du Ségur ?

Charlotte : Comme d’habitude on ne mets pas les soignants au cœur des débats. L’Etat, les Directions, ne nous considèrent pas et dévalorisent notre travail. Comment construire une bâtisse sans ouvriers ?
On ne peux pas reconstruire un hôpital sans soignants.

RP : Que pensez-vous du mouvement autour des violences policières ?

Charlotte : Très honnêtement, je suis à fond dans les deux mouvements. Pour demain, on y va sans être très serein. Notre manifestation était illégale jusqu’il y a deux jours. Monsieur Macron a d’ailleurs dit hier qu’il ne recommandait pas les manifestations. Pour nous, ça n’est pas anodin.
Le racisme est encore très très présent, il faut que ça s’arrête. A l’hôpital, on y est régulièrement confrontés. On voit des choses, des violences policières.

RP : Est-ce que vous avez un petit mot à adresser au gouvernement ?

Charlotte : Dans notre hôpital, on n’a même pas été payé correctement ce mois-ci. Les primes on ne les a pas touchées. La colère est accentuée par ça. Si j’avais un petit mot pour le gouvernement, ce serait leur rappeler que les soignants, c’est un métier. Dans l’histoire, c’était des religieuses qui s’occupaient des gens malades. Mais aujourd’hui c’est fini : on va à l’école, on a une expertise, c’est un métier. Je lui rappelle qu’on ne fait pas d’humanitaire, ni du bénévolat, on doit être considérés comme les autres.

RP : Plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont réunies ce mois-ci pour Adama, comment faire en sorte que cette jeunesse qui se mobilise se joigne aux soignants ?

Charlotte : Ces deux questions sont intimement liées : on est très nombreux à l’hôpital à vivre dans les quartiers populaires. Il ne faut pas oublier qu’on est très mal payés. Par exemple dans ma résidence, ça n’applaudissait pas à 20h pour la simple et bonne raison que dans mon bâtiment personne n’était confiné car on allait tous travailler : soignants, caissières, éboueurs, livreurs.

Bien sûr qu’il y a une jonction à faire : les quartiers populaires sont à l’hôpital. J’ai la sensation que les gens se sont réveillés et ont réalisé que ce sont les gens des quartiers populaires qui nous font vivre. Mais ça fait des siècles que ce sont eux qui nous font vivre, et au lieu de les dénigrer pour la première fois on les a applaudis. Pour moi c’est le même combat : les violences policières, le racisme car c’est un combat contre une mentalité. De toutes façons, à l’hôpital on est très nombreux à avoir été aux manifestations contre les violences policières et on sera là demain, car c’est le même combat.


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