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Bilan des débats

Une séquence parlementaire sous le signe du 47-1 : construisons la grève reconductible !

Après neuf jours de débats, l’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale a pris fin, sans vote sur l’ensemble du texte. Si « l’obstruction » menée par LFI a retenu l’attention des médias, cette séquence marque surtout une offensive anti-démocratique inédite, conséquence de l’utilisation de l’article 47-1 par le gouvernement.

Antoine Weil

20 février 2023

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Crédits photo : AFP

Vendredi dernier à minuit, les débats sur la réforme des retraites, discutée sous la forme d’un projet de loi rectificatif de financement de la Sécurité sociale, ont pris fin. Dans un contexte d’offensive anti-démocratique majeure par la macronie avec la procédure accélérée, la séquence parlementaire a été marquée par les divisions au sein de LR sur le soutien au texte et par la polémique sur « l’obstruction parlementaire » lancée par le gouvernement et le RN contre la France Insoumise. Au point d’invisibiliser l’attaque majeure représentée par l’usage de l’article 47-1.

Une réforme des retraites sans vote en première lecture à l’Assemblée : une attaque anti-démocratique

En effet après seulement neuf jours de débats, les discussions ont été closes à l’Assemblée, ne permettant qu’à trois articles de la loi d’être discutés par les députés, et contournant tout vote en premier lecture à l’Assemblée nationale. Cette situation est la conséquence du « véhicule législatif » retenu par le gouvernement et de la mobilisation de l’article 47-1 de la Constitution pour raccourcir les débats à seulement 50 jours, en se laissant dans le même temps la possibilité d’imposer sa réforme par ordonnance ou 49-3.

Dans ces conditions, seul l’article 1 actant la suppression des régimes spéciaux a pu être voté, quand l’article 2 installant un « index senior », obligeant les entreprises à communiquer la part des plus de 55 ans parmi leurs employés, a été rejeté par les députés. Malgré cela, l’ensemble du projet de loi est renvoyé au Sénat dans son état initial, tel qu’il était avant l’examen à l’Assemblée. Il s’agit en effet d’une autre disposition permise par le 47-1, le code la Sécurité sociale disposant que « si l’Assemblée nationale n’a pas émis un vote en première lecture sur l’ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale dans le délai prévu à l’article 47.1 de la Constitution, le gouvernement saisit le Sénat du texte qu’il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l’Assemblée nationale et acceptés par lui ».

Dès lors non seulement l’essentiel de la réforme des retraites n’a pas été discuté à l’Assemblée nationale mais le projet de loi n’a même pas été voté par les députés, laissant la possibilité au Sénat seul d’amender la réforme. Sans se faire d’illusions sur la possibilité d’obtenir des avancées pour les travailleurs grâce à l’Assemblée nationale, où le gouvernement dispose d’une majorité relative et de nombreux outils pour contourner toute décision défavorable, le fait qu’une réforme aussi importante pour des millions de personnes ne soit même pas votée par les députés constitue une attaque anti-démocratique profonde.

Des tensions avec la droite qui soulignent la fragilité du gouvernement

Au Sénat, le gouvernement espère pouvoir compter sur la droite et les sénateurs, élus par une poignée de notables, pour finaliser les derniers détails de la réforme des retraites. Concernant la première, la première partie du débat parlementaire a montré combien le fait de ne disposer que d’une majorité relative pouvait fragiliser le gouvernement.

Malgré la tentative des macronistes de verrouiller les débats et de s’assurer une majorité en amont, la discussion à l’Assemblée n’a pas été de tout repos, illustrant notamment les contradictions de l’alliance scellée avec Les Républicains. Si les ténors du parti Eric Ciotti et Olivier Marleix restent attachés à l’accord avec la majorité, des voix discordantes se sont ainsi faites entendre autour d’Aurélien Pradié, donnant des sueurs froides au gouvernement en menaçant de ne pas voter la loi si le dispositif carrières longues n’était pas aménagé, de sorte à ce que les moins de 21 ans soient contraints de travailler 43 ans avant de partir à la retraite, contre 44 dans la loi initiale.

Si Olivier Dussopt a semblé avancer dans le sens du député, tout en restant très flou, l’insistance d’Aurélien Pradié sur cette question a fini par lui coûter son poste. Le patron du parti Eric Ciotti a ainsi décidé de le limoger ce week-end. Le député du Lot, qui cherche à construire sa réputation personnelle en profitant des faiblesses de la macronie et de l’hostilité contre cette réforme des retraites, tout en restant favorable au report de l’âge à 64 ans et hostile aux droits des travailleurs, pourrait continuer de jouer un rôle de déstabilisation au sein du groupe LR dans les semaines à venir.

De fait, plusieurs députés, souvent élus de zones rurales très mobilisées contre la réforme, ont soutenu les manœuvres de Pradié et, maintenant que ce dernier est évincé de l’état-major de LR, leur attitude face à la réforme est difficile à prévoir. Un facteur d’instabilité pour le gouvernement, signe des difficultés engendrées par la crise par en haut pour faire passer cette réforme.

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Le RN cherche à se légitimer et espère capitaliser la colère

Sans être un allié déclaré du gouvernement, l’extrême-droite lui a de son côté largement facilité la vie au cours de l’examen du texte. Si le parti de Marine Le Pen est sorti de son silence dans les derniers instants de discussion du texte à l’Assemblée, en cherchant à faire voter, sans beaucoup d’espoirs, une motion de censure dans la nuit de vendredi à samedi, le RN a tout fait pour apparaître comme un opposant mesuré et respectueux des institutions.

Face aux amendements déposés par la FI, Marine Le Pen s’est ainsi faite la défenseuse des institutions, estimant que : « La Nupes va de plus en plus loin, on a l’impression qu’ils sont dans une fuite en avant qui porte atteinte à la sérénité des débats en hémicycle », rejoignant ainsi le discours du gouvernement et de la cheffe des députes Renaissance Aurore Bergé.

Pas question de défendre trop hardiment les droits des travailleurs ou la retraite à 60 ans : le RN s’est montré mal à l’aise sur le dossier, ses porte-paroles se sont contredits sur les régimes spéciaux, sa présence dans les cortèges a été rejetée par les syndicats, et son programme sur la question représente une arnaque pour les travailleurs. Plus récemment, Jordan Bardella, s’est même opposé comme le gouvernement au « blocage du pays » et à la grève reconductible.

Le numéro 2 du groupe RN Philippe Tanguy résumait la position de son organisation : « Le seul écho qui restera de ce débat, c’est : “la majorité nous a baladés, les LR, on y comprend rien du tout et la gauche fout le bordel” […] Nous, on gagne petit à petit en crédibilité, y compris sur la question économique. Politiquement, notre message est simple à comprendre. On a proposé le référendum dès le début des débats et on propose la censure à la fin ». Une position hypocrite, qui souligne combien la priorité du RN est à l’institutionnalisation et à la légitimation de son projet pro-patronal et raciste, mais qui, malgré la mobilisation massive et les millions de travailleurs en grève, souligne combien la menace d’une capitalisation par l’extrême-droite en cas de défaite du mouvement social doit nous alerter.

Des divisions profondes dans la NUPES et la FI et une impuissance de la gauche institutionnelle

Renouant avec la « guérilla parlementaire », la France Insoumise à l’inverse a été au cœur de l’attention médiatique avec ses 13 000 amendements déposés, et s’est faite remarquer par des prises de paroles et action offensives contre le gouvernement, symbolisées par la photo prise par le député Thomas Portes, tenant au pied un ballon à l’effigie d’Olivier Dussopt, qui lui a valu une exclusion 2 semaines de l’Assemblée nationale.

Cette ligne a été révélatrice de divisions importantes au sein de la NUPES, mais également de la France Insoumise elle-même, qui se sont cristallisées autour de la question de l’obstruction parlementaire. Ainsi, les partenaires écologistes socialistes et communistes de LFI au sein de la NUPES ont attaqué ce choix de l’organisation de Mélenchon. En parallèle, face aux pressions du régime et de l’intersyndicale qui voulait que l’article 7 sur le report de l’âge légal soit voté, le groupe LFI lui-même s’est divisé.

Près de la moitié des députés du groupe, emmenés par François Ruffin, Clémentine Autain ou Alexis Corbière se sont ainsi opposés à l’orientation défendue par Jean-Luc Mélenchon. Une situation qui démontre un affaiblissement inédit de l’emprise de ce dernier sur l’organisation, bien que sa ligne l’ait finalement emporté (de peu) en interne.

Derrière les débats de tactique parlementaire, c’est cependant la même impuissance de la gauche institutionnelle à dessiner une stratégie alternative à celle de l’intersyndicale. LFI comme la NUPES ont choisi de se subordonner entièrement aux orientations promues par Laurent Berger et Philippe Martinez, convergeant avec la stratégie de pression des directions syndicales qui se refuse à construire la grève reconductible. Une stratégie qui n’a pour le moment pas fait bouger le gouvernement, mais que la gauche refuse de questionner, démontrant son inutilité sur le terrain de la lutte des classes.

La stratégie de pression reconduite par les directions syndicales, malgré un changement de ton

Finalement, la séquence parlementaire aura également souligné les limites de la stratégie de pression des directions syndicales. Celles-ci espéraient que les mobilisations massives dans la rue permettraient d’imposer aux députés de droite un refus de la réforme des retraites. Une illusion. Face à cette situation et à l’inflexibilité du gouvernement, les directions syndicales ont dû appeler à « mettre la France à l’arrêt ».

Un changement de ton qui poursuit cependant la stratégie de pression comme l’a assumé Laurent Berger, expliquant le 16 février : « il y a un débat au Sénat dans lequel l’intersyndicale a décidé d’être entièrement présente et c’est notamment les raisons de la mobilisations le 7 mars. » Une logique qui va de pair avec le refus de construire le rapport de forces avec le gouvernement par la grève, en faisant du 7 mars le début d’une grève reconductible.

Une perspective qu’il va falloir continuer d’exiger de l’intersyndicale, tout en construisant à la base, à travers l’auto-organisation, l’extension de la grève et la préparation de la reconductible en s’appuyant sur les appels en ce sens émanant de différents secteurs stratégiques, des cheminots à la RATP en passant par les raffineurs.


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