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Une réforme des retraites qui augmentera les pensions ? Les petits arrangements des Échos avec la réalité

Une réforme pour de meilleures pensions ? C’est une idée avancée dans un récent article publié par Les Échos. Le problème c’est que l’argumentaire du journal pro-patronal est mensonger… Décryptage.

Joshua Cohn

16 janvier 2023

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Crédits photo : AFP

Selon un sondage Elabe réalisé après les annonces d’Elisabeth Borne sur le projet de réforme des retraites, 66% de la population est opposée au report de l’âge légal de départ à 64 ans et 58% à l’accélération de la réforme Touraine portant la durée d’une carrière complète à 43 ans dès la génération 1965. Selon un autre sondage Odoxa-Agipi pour Challenges et BFM Business publié le 9 janvier, c’était même 80% des personnes interrogées qui répondaient être opposées au report de l’âge de départ à 64 ans.

Le gouvernement, pour faire passer sa réforme, essaie donc de composer avec cette opinion très défavorable, et multiplie les fausses promesses pour tenter de faire passer la pilule que ce soit en matière de carrières longues, de pénibilité ou encore de pension minimale. Mais certains vont plus loin, prétendant que la réforme permettrait même d’augmenter le montant des pensions. Débunkage.

Une augmentation des retraites complémentaires ?

Dans un article du 13 janvier, Les Echos relayaient l’analyse du cabinet de conseil en retraites Sapiendo selon lequel la réforme aurait pour effet d’augmenter le montant final des pensions, grâce au mécanisme des retraites complémentaires. « Les actifs cotiseront plus longtemps, ce qui leur permettra d’acquérir plus de points pour leurs retraites complémentaires. Ces points se transformeront en espèces sonnantes et trébuchantes au moment de la liquidation de la retraite » affirme notamment le journal.

De quoi est-il question ? En plus du régime général de retraite géré par la Sécurité sociale, il existe un régime obligatoire de retraites complémentaires pour les salariés : l’AGIRC-ARRCO. Il s’agit d’un régime par répartition par points, cogéré par le patronat et les bureaucraties syndicales dont dépend en moyenne 30% de la pension totale des retraités.

Le système par points de l’AGIRC-ARRCO fonctionne de la façon suivante. Les cotisations sont calculées sur la base du salaire brut : 7,87% jusqu’au plafond de la Sécurité sociale (3 666 € par mois en 2023) et 21,59% pour la tranche de rémunération allant jusqu’à 8 plafonds (29 328€ par mois en 2023). Ces cotisations servent ensuite à calculer le nombre de points acquis. En 2023, le « prix d’achat » d’un point est de 17,4316 € c’est-à-dire qu’un peu plus de 17€ cotisés ouvrent droit à 1 point. Enfin, le nombre total de points accumulés tout au long de la carrière est multiplié par la « valeur du point » pour obtenir le montant de la pension de retraite complémentaire. En 2023, la valeur du point est de 1,3498€.

Le raisonnement relayé par Les Échos est donc simple : si les carrières durent plus longtemps, les travailleurs cotiseront plus à l’AGIRC-ARRCO, accumuleront plus de points et auront de meilleures pensions… « à paramètres constants » est-il toutefois précisé. En effet, le prix d’achat et la valeur du point sont déterminés par le conseil d’administration paritaire de l’AGIRC-ARRCO afin d’équilibrer comptablement les cotisations et les prestations du régime.

Cependant, le régime n’offre aucune garantie, ni sur l’accumulation des points durant la carrière (le prix d’achat du point pouvant augmenter, rendant plus difficile l’accumulation de ceux-ci), ni sur la valeur du point à l’entrée en retraite (la valeur des points pouvant baisser, rendant les pensions plus faibles). C’est ce qui s’est passé le 1er novembre dernier, lorsque la valeur du point a été revalorisée de 5,12%, tandis que sur un an, du 1er novembre 2021 au 31 octobre 2022, l’inflation a été de 6,2% selon l’INSEE. Avec une augmentation inférieure à l’inflation, c’est dans les faits une diminution du niveau réel des pensions complémentaires des salariés qui a été validé par le patronat, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC, tandis que la CGT s’est contentée de s’abstenir.

A cela s’ajoute le caractère inégalitaire des retraites complémentaires, puisque son fonctionnement n’est pas strictement proportionnel : les salariés rémunérés plus de 3666€ bruts par mois cotisent plus et donc accumulent des points plus rapidement. L’écart entre la pension complémentaire d’un cadre supérieur et d’un ouvrier est donc encore plus marqué que l’écart entre leurs salaires : un système qui n’a rien de redistributif.

Travailler plus (longtemps) pour gagner plus (et encore) : le mantra sarkozyste de la réforme

Les petits calculs des Echos partent également d’un autre présupposé pour affirmer que la réforme proposée par le gouvernement permettrait une augmentation des pensions : l’idée selon laquelle les salariés travaillent plus longtemps et valident intégralement les trimestres requis selon leur année de naissance pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

L’article prend ainsi l’exemple d’un ouvrier ayant commencé à travailler à 20 ans avec un salaire moyen sur 25 ans de 30 000€ bruts annuels pour le calcul de sa retraite. Ce cas est ensuite décliné selon l’année de naissance du salarié :

1ère hypothèse : Si le salarié est né en octobre 1961 et appartient donc à la première génération touchée par la nouvelle réforme, son départ à taux plein passe de 62 ans (168 trimestres soit 42 ans) à 62 ans et 3 mois (169 trimestres soit 42 ans et 3 mois). Partant à taux plein avec tous ses trimestres, sa retraite de base ne bouge pas puisqu’il aura travaillé 3 mois de plus pour éviter la décote. Mais, ajoutent les Echos, ayant travaillé 3 mois de plus, il aura également acquis quelques points AGIRC-ARRCO supplémentaires et gagnera donc « à paramètres constants », 3€ de plus par mois !

Les Echos, enfilant leur robe d’avocat du gouvernement et de sa réforme, soulignent donc le gain de 3€ par mois d’un ouvrier ayant déjà travaillé 42 ans et auquel on demandera de travailler 3 mois de plus ! Un gain absolument ridicule et sans aucune garantie, alors que la revalorisation des retraites complémentaires ne suit même pas l’inflation.

2ème hypothèse : Pour le même salarié, né cette fois en 1968 et donc soumis à l’âge légal à 64 ans et à la durée de cotisation de 43 ans, le gain estimé sur sa retraite complémentaire est estimé à 19€ par mois, mais en contrepartie d’un an et demi de travail supplémentaire ! En effet, alors qu’avant la réforme, il pouvait demander à partir dès 62 ans et partir à taux plein à 62 ans et 6 mois (170 trimestres soit 42 ans et 6 mois), il ne pourra plus partir avant 64 ans et cotisera donc de fait 44 ans au total.

L’objectif de la réforme des retraites de Macron est clair : nous faire travailler plus longtemps. Si des miettes peuvent être promises pour faire passer le projet comme « social » ou « juste », toutes les promesses du Gouvernement sont subordonnées à cet objectif fondamental.

Une « carrière complète » ou rien : une baisse nette des pensions pour les précaires, les femmes et les étrangers

La réalité de la réforme et de ses effets sur le montant des pensions est bien éloignée des spéculations des Echos sur les retraites complémentaires. Avec l’accélération de la réforme Touraine, ce sont toutes les personnes nées entre septembre 1961 et 1972 qui devront travailler plus longtemps pour partir à taux plein ou qui partiront avec une pension réduite, à défaut d’avoir pu valider tous les trimestres requis.

En effet, partir avant d’avoir validé tous les trimestres exigés est doublement pénalisé. Le mécanisme le plus connu est celui de la décote. Alors que le régime général prévoit un taux plein de 50% du salaire de référence pour calculer la retraite de base des salariés, ce taux est réduit de 0,625 point par trimestre manquant. Cela donne un taux de liquidation de 49,375 % pour 1 trimestre manquant, de 48,750 % pour 2 trimestres, et ainsi de suite, jusqu’à un plancher de 37,5%. Le taux plein de 50% est octroyé automatiquement à 67 ans.

Toutefois, un deuxième dispositif vient pénaliser les carrières incomplètes et s’ajouter à la décote : la « proratisation ». Après avoir appliqué le taux de liquidation au salaire de référence, le total est multiplié par le rapport du nombre de trimestres validés sur le nombre de trimestres requis. Ce mécanisme, au contraire du taux de liquidation, ne connait pas de plancher et peut donc lourdement pénaliser le montant de la pension.

Par exemple, avec la réforme, un salarié né en 1962 devra cotiser 168 trimestres, et pourra partir en retraite dès 62 ans et 6 mois. S’il part dès l’ouverture de ses droits, avec 160 trimestres cotisés et un salaire mensuel brut moyen de 2500€ sur ses 25 meilleures années, le calcul de la retraite de base donne : 2500 x 45 % x (160/168) = 1071,42€ bruts.

Précision importante : contrairement au taux de liquidation, la proratisation n’est pas annulée à 67 ans. Ainsi, un salarié partant au « taux plein » automatique à 67 ans sera tout de même pénalisé par la proratisation à la hauteur des trimestres manquants. Ainsi, si ce même salarié part à 67 ans mais toujours avec 160 trimestres validés sur 168, le calcul donne : 2500 x 50 % x (160/168) = 1190,48€ bruts. Le taux plein automatique à 67 ans augmente donc le montant de la pension de retraite de base mais il ne s’agit pas d’une pension « complète ».

Avec l’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans, déjà prévue par la réforme Touraine de 2014 mais accélérée par le nouveau projet, ce mécanisme est amplifié. Du fait de la réforme Touraine, un salarié né en 1968 devait cotiser 170 trimestres. S’il partait avec 165 trimestres, il subissait la décote et la proratisation à hauteur de 5 trimestres manquants : un taux de 46,875 % et un prorata de (165/170), soit une « décote » totale de 45,49%. Avec le nouveau projet, il devra cotiser 172 trimestres, pour le même départ après 165 trimestres, sa pension baisse puisqu’il ne lui en manquera plus 5 mais 7. Son taux de liquidation sera alors de 45,625 % et son prorata de (165/172), soit une « décote » totale de 43,76%.

En clair, pour la même pension, il faudra travailler plus longtemps pour ne pas être pénalisé par l’allongement de la durée de cotisation. Ce sont ainsi les plus précaires, qui ont alterné périodes de travail et d’inactivité, les femmes qui se sont arrêté plusieurs années pour élever leurs enfants, ou encore les étrangers arrivés tardivement en France et ayant travaillé sans être déclarés, qui seront le plus violemment impactés par ces mécanismes.

La volonté du gouvernement de nous faire travailler plus longtemps se cristallise enfin dans la promesse d’une pension minimum à 1200€ et 85% du SMIC pour les carrières complètes au SMIC à temps plein. En effet, cette promesse exclut tous ceux qui n’auront pas tous leurs trimestres, y compris ceux qui partent à taux plein à 67 ans. Seront également exclus les femmes et les précaires à temps partiel.

Loin de préparer une quelconque hausse du niveau des pensions, la réforme présentée par le gouvernement exigera des travailleurs de trimer plus longtemps pour toucher une pension équivalente. Pour toutes celles et tous ceux qui ne pourront pas achever une carrière complète, ce projet est même synonyme d’une diminution de leurs droits, sans garantie d’une pension minimale, si ce n’est l’allocation de solidarité assurant 960€ pour survivre.


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