Accords de performance collective

APC. Une arme de destruction massive des conditions de travail et d’emploi

Camille Münzer

APC. Une arme de destruction massive des conditions de travail et d’emploi

Camille Münzer

Depuis la fin du confinement, les mal nommés « plans de sauvegarde de l’emploi » et « accords de performance collective » (APC) se multiplient dans les entreprises. Marginaux après leur création en 2017, ces accords sont devenus un instrument privilégié de l’offensive patronale contre les conditions de travail et d’emploi. Comme le montre le comité juridique de RP, s’ils se veulent aujourd’hui une réponse à la crise économique, à terme ils deviendront un outil de gestion quotidien des relations sociales en entreprise.

L’aboutissement de dix ans de réformes gouvernementales

Les accords de performance collective ne sortent pas de nulle-part. Ils sont l’aboutissement de dix ans de réformes gouvernementales cherchant à accorder plus de marges de manœuvre au patronat dans la négociation collective. Ils cherchent notamment de s’émanciper des règles collectives du droit et tout particulièrement des conventions collectives, afin de revoir à la baisse les conditions de travail et d’emploi dans les entreprises. Il faut rappeler que les revendications patronales en faveur de plus de flexibilité dans les entreprises datent d’il y a bien plus longtemps. Elles existent au moins depuis la crise des années 1970, voire depuis les premières grandes restructurations industrielles des années 1960. Seulement, le patronat n’avait pas le rapport de forces pour pouvoir imposer ses revendications sur la négociation collective. Il a dû attendre une trentaine d’années et une nouvelle crise économique pour pouvoir avancer l’idée d’un primat de la négociation d’entreprise sur le contrat de travail, les conventions collectives et la loi.

Ce processus a débuté au lendemain de la crise économique de 2008. Celle-ci, tout comme celle que l’on traverse actuellement, a connu son lot de plans de licenciements et de fermetures d’entreprises. C’est alors que le gouvernement Sarkozy a pensé un nouveau type d’accord collectif qui se voulait « donnant-donnant » et surtout « protecteur de l’emploi ». Dans ce que l’on a appelé de manière générique des « accords de compétitivité », les « partenaires sociaux », c’est-à-dire les organisations de salariés et les employeurs se concerteraient sur la situation de l’entreprise et sur les mesures nécessaires pour garantir l’emploi. L’accord devait être à durée déterminée, le temps que l’entreprise améliore sa situation économique.

Ainsi, on a vu tout d’abord apparaître les accords « compétitivité-emploi » en 2012. Pour Nicolas Sarkozy, ces accords devaient, déjà à l’époque, permettre aux employeurs d’aller outre le cadre trop restrictif du Code du travail et de discuter « librement » des conditions de travail et d’emploi. En effet, jusqu’à présent, un accord collectif ne pouvait pas déroger au contrat de travail ou à la loi dans une direction qui serait contraire l’intérêt du salarié. La particularité de ces accords était de pouvoir le faire.

La brèche était ouverte. Au fil des années, différentes lois allaient favoriser le recours à ce type d’accord dans les entreprises. En janvier 2013, sous le gouvernement de François Hollande, l’accord national interprofessionnel qui allait consacrer la « flexisécurité » met en place les « accords de maintien de l’emploi ». Ces derniers sont présentés comme des accords défensifs ou des accords de crise. Pour les négocier, l’entreprise doit justifier d’une situation économique conjoncturellement défavorable et s’engager à maintenir l’emploi ou un niveau de production. En 2016, c’était au tour de la loi El Khomri de les remplacer par les « accords de préservation ou de développement de l’emploi ». À chaque fois, il s’agissait d’accorder aux entreprises la possibilité d’adapter l’organisation du travail aux changements conjoncturels en rapprochant la négociation collective du niveau de l’entreprise. La nouveauté de la loi de 2016 était de faire que les accords puissent « développer l’emploi », c’est-à-dire qu’ils pouvaient être négociés en dehors des contextes de crise.

Les ordonnances du 22 septembre 2017, dites ordonnances Macron, ont chamboulé de fond en comble les relations sociales en entreprise en fusionnant les instances représentatives du personnel dans le CSE et en introduisant les ruptures conventionnelles collectives et les APC. Ces derniers jouissent d’une définition plus large que leurs versions précédentes dans le code du travail. Ils ont tout simplement pour but de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » (article L2254-2). On voit bien le danger que peut représenter une définition aussi large d’un accord, où tout peut être mis sur le compte des « nécessités de l’entreprise ».

Les APC concernent aussi des aspects très vastes des conditions de travail et de l’emploi. Ils peuvent modifier l’organisation du temps de travail, la rémunération ou les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Les APC peuvent être négociés en toute circonstance, même si l’entreprise ne traverse pas des difficultés économiques. Ainsi, ils consacrent la fin de la distinction entre des accords de crise et des accords qui cherchent à favoriser la compétitivité des entreprises. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, les APC peuvent être tant à durée déterminée qu’à durée indéterminée.

Un des sujets sur lesquels les APC ont été attendus est la modification de la rémunération des salariés. Un accord peut réduire la rémunération des salariés, mais jamais en dessous du SMIC et des minimas conventionnels fixés par l’accord de branche. De la même manière, un APC peut réduire la majoration des heures supplémentaires, mais pas en dessous de 10 %. Les APC sont aussi plus rapides à négocier et bien moins coûteux socialement qu’un plan de sauvegarde de l’emploi, dont la procédure s’est tout de même simplifiée au cours des années. On estime qu’un PSE peut prendre de deux à quatre mois pour être négocié, tandis qu’un APC peut être négocié en bien moins de temps, deux mois tout au plus.

Comme le rappelle la juriste Caroline Diard, le principal objectif des APC est de s’imposer sur les contrats de travail individuels des salariés. Ainsi, dit-elle, « les clauses de l’accord se substituent aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail avec l’accord du salarié. Une fois signé et validé, l’accord s’impose au salarié qui dispose d’un mois pour accepter ou refuser. S’il accepte, les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail ». Si un salarié refuse la modification de son contrat de travail par l’APC, il peut être licencié pour cause réelle et sérieuse.

Ces accords ont malgré tout quelques limites. Ils ne peuvent pas déroger à certains principes d’ordre public comme le SMIC ou la majoration des heures supplémentaires au-delà de 35 heures, parmi d’autres. Malgré ces contraintes, ils accordent une très grande marge de manœuvre aux employeurs.

Les APC ont été vus comme une aubaine par les employeurs. Ils leur accordent tellement de libertés, que le ministère du Travail s’est vu obligé de clarifier les conditions de recours à un APC à partir d’un « questions-réponses » en juillet 2020, comme le rapporte un article des Échos.

Le Livre Blanc de Plastalliance est un parfait exemple de comment les employeurs se sont saisis à tour de bras des APC. Ce syndicat patronal minoritaire de la plasturgie a publié son « guide de l’APC » en septembre 2020. Dans celui-ci, le syndicat patronal dénonce la « déconnexion » entre les acteurs des branches et ceux des entreprises et voient alors dans les APC un retour au « terrain ». Pour eux, les APC pourraient même devenir le nouveau « socle social de l’entreprise ».

Plastalliance affirme ainsi avoir accompagné la négociation de 51 accords dans le secteur avant même la crise sanitaire de 2020. Il affirme aussi de manière cynique qu’il s’agit d’accords « résolument offensifs », le plus souvent à durée indéterminée. En outre, il vante cet « outil très puissant et permettant une réactivité optimale », surtout en ce qui concerne le temps de travail. Comme nous l’avons dit ailleurs, le plus grand danger pour les salariés se trouve dans les petites entreprises dépourvues de CSE ou sans implantation syndicale, où le patronat impose une dégradation des conditions de travail et d’emploi à travers ces nouveaux accords.

Que contiennent les APC ?

Alors qu’ils sont présentés par le gouvernement et par le patronat comme des accords « donnant-donnant », où l’on échangerait des « efforts » de la part des salariés pour un « maintien de l’emploi », les quelques chiffres qui existent sur les APC montrent qu’il n’en est rien. En effet, seulement 3 % des accords signés en 2018 prévoient des efforts de la part des employeurs et seulement 10 % des accords contiennent des contreparties chiffrées précises en termes d’investissements productifs ou de maintien de l’emploi [1]. La rhétorique du « donnant-donnant » ne tient donc pas la route comme le rappelle le cabinet Secafi.

De même, le discours sur les « efforts » provisoires de la part des salariés, le temps que l’entreprise améliore sa situation, est aussi un mensonge. Comme le montre un rapport de France Stratégie d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 à partir d’une étude de 371 accords conclus jusqu’en juin 2020, près de trois quarts des accords seraient à durée indéterminée. L’argument de l’« adaptabilité » de l’entreprise à la conjoncture économique se marie mal avec la durée indéterminée des accords. On voit donc que les APC s’inscrivent dans une modification durable des conditions de travail dans les entreprises.

Enfin, la facilité de négocier des APC fait qu’ils commencent à devenir des accords passe-partout entre les mains du patronat, se substituant à d’autres accords collectifs, comme aux accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou même à des plans de sauvegarde de l’emploi. Ces abus ont poussé le ministère du Travail à rappeler dans son « questions-réponses » qu’un APC « ne peut pas être utilisé pour la fermeture définitive d’un site ou d’un établissement », de même qu’il « ne saurait se substituer aux dispositions applicables en matière de licenciement collectif pour motif économique qui s’imposent à tout employeur dont la situation correspond aux prévisions légales ».

Le maintien de l’emploi : un mensonge patronal

La promesse qu’un APC garantirait l’emploi est un mensonge patronal. En effet, une entreprise n’a pas besoin d’avoir recours à un plan de suppression d’emplois pour supprimer des postes. Il suffit pour cela de suivre les courbes des effectifs dans des sites industriels, où chaque réorganisation du travail, chaque rééquilibrage des postes, comme on dit dans le secteur automobile, favorise l’enrichissement des postes, la polyvalence, l’intensification du travail, entre autres. À cela s’ajoutent les ruptures conventionnelles, les plans de pré-retraite et autres dispositifs de gestion de la main-d’oeuvre qui autorisent les employeurs à se débarrasser d’une partie de leur main-d’œuvre, qu’elle soit trop combative, trop vieille, ou trop abimée.

De plus, souvent, les employeurs ne s’engagent pas sur un maintien de l’emploi, mais sur un volume de production, un nouveau modèle, un investissement productif, etc. Pourtant, emploi et investissement productif ne sont pas équivalents car, comme on vient de le dire, on peut toujours produire autant –voire plus – avec le même effectif de salariés.

L’absence de réponse de la part des confédérations

Les APC mettent en évidence le positionnement fragile des confédérations syndicales dans la séquence. Comme on l’a vu plus haut, les APC sont le résultat de dix ans de réformes qui ont cherché à faire de la négociation en entreprise le principal moyen de régulation des relations de travail. Pourtant, dans l’esprit des directions syndicales, la négociation collective continue d’être synonyme d’une amélioration des conditions de travail des salariés. Le gouvernement et le patronat s’appuient là-dessus pour présenter les APC comme des accords donnant-donnant. Ils entretiennent l’illusion qu’il est toujours possible d’obtenir « des contreparties ». Pourtant, la crise économique fait que cette configuration est désormais caduque. En quelque sorte, l’avènement des APC – qui fait de la négociation une série de concessions au patronat – met à mal le fait que la négociation soit le nec plus ultra du syndicalisme.

On pourrait s’étonner de l’absence de plan de bataille de la part des directions syndicales face à l’avalanche d’APC survenue après le déconfinement. Pourtant, il suffit de se rappeler l’attitude de Laurent Berger au début de la crise sanitaire qui se satisfaisait de demander des « garanties » au gouvernement, alors que celui-ci autorisait dans certains secteurs une augmentation du temps de travail pouvant aller jusqu’à 60 heures par semaine. De même, face au « travailler plus et produire davantage » de Macron, Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT, voit d’un bon œil le renforcement de la négociation au niveau de l’entreprise. En ce qui concerne les APC, la CFDT appelle ses militants tout simplement à la « prudence » et à se faire accompagner d’un expert si leur employeur leur propose une négociation sur ce sujet.

Du côté de la CGT, on dénonce les APC en tant qu’« outil de chantage à l’emploi » dans une fiche réalisée le 17 juin 2020. Cependant, cette dénonciation est seulement un moyen pour affirmer que le « dialogue social » est « instrumentalisé » par le gouvernement, comme s’il pouvait y avoir, dans le contexte présent, un « bon dialogue social ». De plus, en même temps qu’elle dénonce les APC, la CGT appelle souvent à chercher des « alternatives » aux nouveaux accords, au lieu de les refuser tout simplement. De telles positions sont en phase avec les problèmes que nous avons pointé du doigt à l’occasion du débat entre Philippe Martinez et le patron du Medef à la Fête de l’Humanité, notamment l’absence de plan de bataille et l’esprit du « dialogue social ».

Les exemples de lutte contre les APC ne manquent pourtant pas. On peut citer celui de Bridgestone, où la CFTC et la CFE-CGC ont essayé s’imposer un accord à partir d’un référendum d’entreprise en mai 2019. Les salariés ont réussi à refuser l’accord à plus de 60 %. Si aujourd’hui l’usine de Béthune est promise à la fermeture, c’est peut-être aussi par « punition » pour avoir refusé cet APC. Mais le cas le plus exemplaire de lutte contre un APC est celui de Derichebourg Aeronautics, où, malgré une défaite, les salariés ont refusé le chantage à l’emploi, y compris contre l’avis de la direction du syndicat Force ouvrière.

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Hélène Cavat, « Les accords de performance collective. Enseignements d’une étude empirique », Revue de droit du travail, n° 3, 2020, p. 165-177.
MOTS-CLÉS

[Crise sanitaire]   /   [Derichebourg]   /   [Négociations]   /   [compétitivité]   /   [Lutte des classes]   /   [Mouvement ouvrier]   /   [Métallurgie]   /   [Medef]   /   [Licenciement(s)]