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Interview d'un professeur de St-Denis

"On ne va pas risquer nos vies pour un mois de cours"

Lundi soir, Emmanuel Macron annonçait la possible réouverture des crèches, écoles, collèges et lycées dès le 11 mai. Révolution Permanente a interviewé un professeur exerçant dans un collège de Saint-Denis (93).

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Propos recueillis par Nathan Erderof

Révolution Permanente : Qu’as-tu pensé de l’annonce par Macron de la réouverture des écoles le 11 mai prochain ?
Je suis prof en Seine-Saint-Denis, au collège. J’ai trouvé ça très surprenant parce que les jours d’avant, on avait plein de pseudo-fuites de personnes « haut placées » dans l’exécutif, qui disaient qu’il n’y aurait pas de réouverture avant septembre. On a l’impression qu’il a sorti cette annonce de son chapeau, qu’il n’y a eu aucune concertation, tout le monde a l’air de tomber des nues. Je suis vraiment très surpris, c’est une aberration totale selon moi.

Révolution Permanente : Le risque c’est de faire des écoles un nouveau foyer de contamination, un cluster épidémiologique, tu penses que vous aurez des garanties sanitaires ?
Un cluster, oui bien sûr, mais pas uniquement pour les profs – aussi pour les familles. Il faut savoir qu’un établissement en Seine-Saint-Denis, on est, au bas mot, 600 élèves, ça va même jusqu’à 1500, 2000 élèves. Il faut qu’on m’explique comment on va faire dans les couloirs exigus pendant les intercours, est-ce qu’il va y avoir des traitements de l’air dans les classes, des désinfections des salles ? Est ce que les élèves vont pouvoir respecter les gestes barrières, la distanciation sociale ? Du matériel sera-t-il fourni, notamment des masques FFP2, qui pour l’instant, jusqu’à preuve du contraire, sont les seuls qui protègent du virus ? Est-ce qu’il va y avoir du gel hydroalcoolique ? En général dans les écoles il n’y a même pas de savon pour se laver les mains, quid des cantines : comment ils vont faire pour organiser les services des cantines, quid des professeurs qui seront absents ? Que va-t-on faire des élèves, est-ce qu’on va tous les entasser dans les permanences ? Est-ce qu’il y a suffisamment d’assistants d’éducation pour ça ?

Pour moi, clairement, les conditions ne sont pas réunies. Mais surtout, va-t-on tester les gens ? On nous dit que les élèves sont asymptomatiques mais ça veut seulement dire qu’ils n’expriment pas de symptômes mais ils peuvent être vecteurs du virus, ce qui veut dire qu’ils peuvent se le transmettre entre eux, que certains infecteront leurs familles, leurs professeurs, les adultes dans l’établissement. C’est un casse-tête complet, comment ils vont faire dans la cour de récréation ? Ça sera la récréation, mais sans jouer, sans rien. C’est du grand n’importe quoi, c’est de l’amateurisme, c’est de l’impro totale, c’est à l’image de ce gouvernement depuis le début.

Révolution Permanente : C’est vrai qu’on a eu pas mal d’atermoiements de la part de ce gouvernement, par exemple lorsque Blanquer expliquait qu’il n’y aurait pas de fermeture des écoles, il était contredit le soir même par Macron. Qu’est ce que tu penses de la gestion de la crise dans les écoles ? Blanquer parle de 5% d’élèves perdus pendant la période, comment s’est passé la continuité pédagogique dans ton établissement ?
J’aimerais bien pouvoir le donner, le pourcentage, mais comment faire pour savoir si nos élèves sont derrière leur écran, savoir s’ils ont un ordinateur ou pas ? Il ne faut pas se voiler la face, on n’a pas contacté nos mille élèves. On ne l’a pas fait, on était pas du tout préparés à cette « continuité pédagogique ». Ce sont juste des effets d’annonce spectaculaires sur les chaînes de télé. Il n’y a pas eu de mot d’ordre, ou alors une méthode ou un mode d’emploi donné aux professeurs. On nous a laissé nous débrouiller tous seuls. Alors on a fait avec les moyens du bord et on s’est adaptés au jour le jour. Mais affirmer que tous nos élèves étaient derrière les écrans, et ont fait le travail demandé, c’est impossible. On connaît les situations sociales des élèves et on sait qu’il y en a qui ne sont pas équipés de toute façon.

Révolution Permanente : La permanence de l’évaluation dans la période, pour toi ça a renforcé les inégalités face à la réussite scolaire ?
Evidemment que ça creuse les inégalités. Mais ces inégalités existaient déjà et ont été creusées par les gouvernements successifs avec la casse de l’école publique, la casse des services publics, … Ça vient de là. Ce n’est pas l’épidémie qui a fait que les inégalités se sont creusées de manière exponentielle. Ça existait déjà, ça les a renforcé, certes. Les élèves n’y sont pour rien, les professeurs non plus, c’est tout un système qu’il faut repenser.

Révolution Permanente : Macron dit rouvrir les écoles au nom de l’égalité des chances : « Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires, dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents, c’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes » : qu’est ce que tu en dis ?
C’est une question purement économique et ils ne s’en sont même pas totalement cachés. Ils ont bien dit que les parents doivent retourner au travail, en gros c’est un mode de garderie. Preuve en est, les universités ne reprendront pas avant septembre, c’est normal, ils sont plus grands donc ils peuvent se garder seuls. On fait garder les plus petits. C’est un non-sens complet. On va avoir affaire à une deuxième vague, qui sera sans doute encore plus meurtrière. Le gouvernement est complètement irresponsable. L’école, c’est une mini société. À l’échelle d’une école, on voit ce qu’il risque de se passer dans une société, tout simplement.

Révolution Permanente : Au cours de sa gestion de la crise, le ministre de l’éducation a annoncé que le bac serait évalué en contrôle continu, quelle est ta position ?
Je n’en pense pas grand-chose. Je ne comprends pas qu’on nous dise que le bac est en contrôle continu, pour nous faire ensuite reprendre l’école le 11 mai, sachant qu’il y a eu deux semaines de vacances, et une pseudo continuité pédagogique. Si on suit la logique du gouvernement, les élèves ne devraient pas avoir perdu tant que ça. Si on les prend au mot, puisque les conditions sont apparemment réunies pour reprendre les cours, pourquoi on ne fait pas passer les examens, un brevet normal, un bac normal ? C’est bien qu’il y a un risque, c’est une contradiction totale, c’est incompréhensible.

Ce que je ne comprends pas non plus, c’est que j’écoutais Jean-Michel Blanquer ce matin, qui disait que le retour à l’école le 11 mai ne serait pas obligatoire. Il faut qu’il soit un peu plus clair dans ses propos puisqu’il annonce que le bac se fera en contrôle continu, mais qu’il y aura une note d’assiduité qui comptera pour ce contrôle continu. Comment mettre en place une note d’assiduité si le retour à l’école n’est pas obligatoire ? Pour l’instant, on a l’impression qu’il navigue à vue.

Révolution Permanente : On le sait, les profs ont été assez actifs politiquement ces deux dernières années, entre la contestation du bac Blanquer, des E3C et leur implication dans le combat contre la réforme des retraites ; ils ont été de plusieurs luttes. Qu’est-ce que tu vas répondre à cette injonction à reprendre les cours le 11 mai ?
Je pense qu’il est trop risqué de reprendre. On peut se comparer aux pays qu’on veut lorsque ça nous arrange : ce matin, le ministre de l’éducation nationale nous comparait au Danemark, mais la situation est incomparable à celle de la France, la manière de gérer la crise n’a pas été la même au Danemark. Ou alors, si on nous compare à l’Allemagne, c’est à nouveau complètement différent. Mais cela dit, il y a plusieurs pays qui ont décidé de reprendre en septembre parce que c’était trop risqué, trop risqué pour les familles, les élèves, les personnels. Il n’y a rien qui est mis en place, et rien ne sera mis en place. Normalement, lorsqu’on prend une telle décision, c’est qu’on a réfléchi à tout auparavant. Et là lorsqu’on pose la question au ministre sur le minimum, à savoir est ce qu’il y aura des masques, du gel hydroalcoolique, on nous dit qu’on aura la réponse dans 15 jours. Mais comment on peut prendre une décision et nous dire qu’on aura la réponse dans 15 jours ?

C’est complètement hallucinant, c’est que rien n’est préparé, comme d’habitude ça va être de l’improvisation totale, et on va nous envoyer au front tout comme les soignants, et ça, clairement, on le refuse. Ce sera une décision collective mais aussi quelque chose de personnel, nous sommes aussi parents. Et nos propres enfants on refusera de les envoyer à l’abattoir, prendre des risques comme ça, puisqu’on sait que toute façon, la distanciation sociale n’est pas possible, que rien n’est mis en place pour protéger les enfants et le personnel. On ne peut pas demander des garanties à ce stade de l’épidémie, puisque des garanties, ils ne peuvent pas en donner et il n’y en a pas. L’épidémie est beaucoup trop importante. Aujourd’hui on a plus de 15 000 morts, en un mois c’est énorme. Le seul barrage qui serait possible ce serait un vaccin, un traitement, et pour l’instant on est dans le flou total, donc il s’agit quand même de vies humaines. On ne peut pas faire des tests, il faut des garanties sérieuses et on n’en aura pas, clairement.

Alors oui on va leur reprocher les politiques successives qui nous amènent à cette catastrophe, la casse du service public, la casse du système de santé. On était réputés pour avoir le meilleur service sanitaire au monde, et on se retrouve avec des soignants qui vont au front avec des sacs-poubelle en guise de blouse. C’est juste une honte. Je suis abasourdie par leur manière de gérer cette crise. Alors évidemment, on ne reprendra pas. On ne va pas risquer nos vies pour un mois de cours. Nos collègues, les personnes mortes du Covid-19, pour eux s’est terminé, la partie est terminée. Je m’en fiche de leurs erreurs, de leur incapacité à gérer l’épidémie. On ne mettra pas nos vies en danger pour rien.


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