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Témoignage

"Un homme est mort ce matin dans le canal Saint-Denis"

Nous relayons ci-dessous le témoignage de Philippe publié sur la page facebook Solidarité migrants Wilson. Un témoignage poignant qui fait suite à la découverte d'un homme mort dans le canal Saint-Denis. Un corps d'exilé gît sur la berge —propriété de Paris—, emballé dans une housse blanche, au niveau du Pont de Stains à Aubervilliers.

10 juillet 2020

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Crédit photo : Solidarité migrants Wilson

Il dormait dans une tente, pas loin de là où on fait le petit-déjeuner le mercredi. Il était « un peu fou » me dit pudiquement une des personnes qui le connaissait. Il est tombé dans le canal. Ne savait pas nager.

Je ne connais pas son prénom, ni son âge. Les policiers avec qui j’ai discuté m’ont dit qu’il avait un frère ou un cousin sur place. Je crois plutôt que les personnes avec qui j’ai discuté leur ont dit la même chose qu’à moi : « C’est notre frère ». Ils parlaient de leur frère du Soudan, leur frère en humanité, leur frère d’exil, leur frère de galère… Ils ne parlaient pas "État civil", juste de Fraternité. Celle qu’on affiche au fronton de nos écoles. Mais qui pour les autorités de notre pays ne signifie pas grand chose…

Accident ou suicide ? Je ne sais pas.

Ce que je sais c’est que des personnes exilées qui survivent dans de telles conditions et mettent fin à leur jour, il y en déjà eu, ce n’est pas le premier.

Ce que je sais c’est qu’à Paris de nombreuses personnes deviennent folles. Elles ont fui les guerres et les massacres, traversé des milliers de kilomètres d’épreuves, pour venir demander asile et protection dans le pays des Droits de l’Homme. Et ne trouvent finalement ici que des mauvais traitements, des conditions de survie indignes, la violence et la mort. De quoi rendre dingue en effet.

Ce que je sais aussi c’est que depuis 2 ans nous alertons les pouvoirs publics sur la dégradation de la santé mentale que nous constatons chez de nombreuses personnes. Et que rien n’est fait pour les prendre en compte, ni accompagnement, ni soins.

Ce que je sais, c’est qu’aux petit-déjeuners que nous faisons le mercredi, j’en ai vu de ces personnes que la raison abandonne. J’en ai deux en mémoire ce matin : un jeune homme qui a eu un accident grave (routier) mal soigné et en gardait des séquelles physiques et surtout au niveau de la mémoire et de la raison. Et une autre personne un peu plus âgée, que j’ai vu un mercredi au petit-déjeuner errer dans son monde qui n’était déjà plus totalement le nôtre. Et que j’avais vu la veille au repas du mardi soir Porte d’Aubervilliers, nous dire en anglais qu’il allait se suicider. Qui s’était mis en plein milieu de la circulation automobile. Et qu’un bénévole est allé récupérer en catastrophe…

Je pense à eux ce matin en me disant que c’est peut-être l’un d’eux qui est dans la housse blanche ?

Ce que je sais c’est qu’à Paris, l’exil tue.

C’est Flore qui est passé devant en vélo en allant au boulot et a donné l’alerte. Flore c’est la bénévole que la police a embarqué menottes au poignets il y a une quinzaine de jours, au départ d’une maraude en vélo à la Plaine-Saint-Denis. Parce qu’elle s’offusquait des conditions "musclées" d’interpellation d’un gamin noir du quartier, de 14 ans.

Quand je suis arrivé, le corps était emballé sur la berge, dans une housse blanche. Deux policiers le gardaient. Vu la levée du corps par les services funéraires de la Ville de Paris. Discuté avec des personnes sur place… Essayé de comprendre. De savoir quel être humain était empaqueté pour son dernier voyage. Dans cette housse blanche qui lui ôte son humanité. Et qui nous la fait perdre, à nous aussi : Tout autour de nous, des salariés qui vont au boulot en vélos passent à toute vitesse. À cette heure ici, la piste cyclable a des allures d’autoroute. L’indifférence est palpable.
C’est sur le chemin du retour que j’ai pris conscience de ça.

Parce que pour discuter avec des exilés, les policiers, sur place il fallait rester debout, garder la tête froide. Parer au plus pressé. Oublier qu’il y a un être humain dans la housse, oublier qu’une vie et un parcours de vie sont emballés à jamais. Oublier qu’on a peut-être rencontré la personne dans la housse il y a quelques jours. Oublier qu’on a vu tant de choses insupportables qui sont faites ici aux personnes, et qui les tuent à petit feu. Oublier qu’on en verra sans doute encore beaucoup d’autres, des saloperies des Hommes faites aux Hommes. Oublier à en perdre moi aussi un peu de mon humanité.

C’est sur ce chemin du retour que je me suis aperçu que je ne ressentais rien. Et qu’il fallait que mon humanité fasse le chemin du retour elle aussi. Les larmes sont venues. Enfin.


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